Charges administratives : le rôle ambigu des experts-comptables

Charges administratives : le rôle ambigu des experts-comptables

21.07.2016

Gestion d'entreprise

Le développement du titre emploi service entreprise (Tese) est freiné par le manque d'engouement des experts-comptables pour sa promotion, pointe un rapport de la Cour des comptes. Et la DSN ne profitera pas aux TPE si les cabinets ne répercutent pas, à terme, sur leurs tarifs les gains tirés de cette simplification.

"La diffusion du Tese est de fait très limitée : en raison de l’opposition des experts-comptables, l’Acoss n’effectue aucune promotion directe de ce dispositif, avance la Cour des comptes. Elle y avait renoncé pour le CETPE, à la suite d’un avis du Conseil de la concurrence (12 juillet 2004) qui avait estimé que les Urssaf devaient s’abstenir «d’utiliser les fichiers de cotisants pour proposer [le dispositif], par voie de circulaire, aux établissements entrant dans le champ [de ce dernier]», compte tenu des similitudes de sa contribution à la gestion du contrat de travail et de la paie avec les prestations des experts-comptables. Par la suite, elle a délégué par convention aux experts-comptables la promotion du Tese. La COG de l’Acoss avec l’État pour les années 2014 à 2017 mentionne de même la promotion du Tese «dans le cadre de partenariats externes». Or, sauf à développer une offre de service spécifique au Tese en direction de leurs clients, les experts-comptables n’ont pas intérêt à promouvoir le Tese, sauf pour les salariés occasionnels, domaine où ils sont moins investis, le turnover important de ces salariés ne permettant pas d’amortir les coûts fixes de création de données", développent les magistrats de la rue Cambon dans PDF iconun nouveau rapport consacré à la collecte des prélèvements versés par les entreprises.

Le Tese, un dispositif gratuit aux avantages significatifs ?

Cette situation préoccupe d’autant plus la Cour des comptes que le Tese procurerait des avantages significatifs aux entreprises. Gratuit — en tout cas il n’est pas facturé par les Urssaf —, le titre emploi service entreprise apporterait l’universalité des prélèvements, l’inversion de la charge déclarative ("c’est l’Urssaf qui calcule le montant des prélèvements exigibles") —, un intérêt pour la trésorerie des entreprises (règlement plus tard des prélèvements) et la réduction des coûts de gestion ("dispense de devoir s’équiper d’un logiciel de paie comportant une fonction de production d’une DUCS et d’une DADS ou d’une DSN et/ou de recourir à un expert-comptable").

Qui va profiter de la DSN ?

La Cour des comptes s’interroge aussi sur les bénéficiaires des gains attendus de la DSN. Non pas en ce qui concerne les grandes entreprises — "des gains importants d’efficacité sont annoncés pour les entreprises qui effectuent elles-mêmes leurs déclarations", avancent les magistrats — mais pour les TPE. "Pour celles qui recourent à des experts-comptables, la possibilité de gains est tributaire de l’évolution des tarifs de ces derniers pour tenir compte de l’allègement de la charge de travail liée à chaque déclaration, de l’augmentation de la fréquence des déclarations (de 4 à 12 par an pour les entreprises de moins de 10 salariés) et de leur politique commerciale".

Un sujet complexe

La Cour des comptes reconnaît toutefois que la complexité administrative constitue un sujet global sur lequel le politique porte une responsabilité importante. "Sur un plan général, la portée des mesures de simplification mises en oeuvre sur les charges administratives des entreprises s’érode sous l’effet de la complexité croissante et de l’instabilité des règles de droit, qui nécessitent pour les entreprises et leurs prestataires de service (éditeurs de logiciels, experts-comptables) de consacrer des ressources importantes à leur appropriation. À cet égard, les mesures adoptées afin de mieux prendre en compte la complexité pour les entreprises dans le cadre du processus d’élaboration des textes législatifs et réglementaires n’ont qu’une portée réduite", soulignent les magistrats de la rue Cambon.

Le business de la complexité administrative

Ces derniers ont même chiffré le coût de la collecte des prélèvements sur les entreprises. Il s’élève à 5,2 milliards d’euros en 2014, sur la base des chiffres fournis par les organismes de collecte (voir le tableau ci-dessous). Il faudrait probablement ajouter à cela le coût facturé par les prestataires pour l’ensemble du travail administratif qui leur est délégué de fait. Cela représente probablement une bonne partie des 12 milliards d’euros annuels facturés par les experts-comptables à laquelle il faut ajouter le coût des autres prestataires administratifs. De plus, le secteur informatique bénéficie de ce marché. Selon la Cour des comptes, "le chiffre d’affaires des éditeurs de logiciels relatif aux domaines de la comptabilité, de la paie et des prélèvements fiscaux et sociaux peut être estimé à 1,5 Md€. En prenant pour hypothèse que le marché des services est 2,5 fois plus important, le volume total du marché des logiciels et des services serait compris entre 3,5 et 5 Md€ par an". Bref, la complexité administrative, c’est aussi un business. Question : ce marché contribue-t-il de manière proportionnée à l’intérêt général ?

Coûts de collecte des prélèvements versés à titre principal par les entreprises (2014)
Organisme de collecte Montant (en millions d'euros)
DGFip 2 433
DGDDI 517
Urssaf (y compris Isu) 1 418
RSI (Isu) 111
Organismes conventionnés du RSI (cotisations maladie professions libérales) 16
Groupements de protection sociale (retraites complémentaires des salariés, estimation Cour des comptes à partir des données du GIE Agirc-Arrco) 406
MSA (exploitants et salariés) 146
CNAVPL (retraites des professions libérales) 55
OPCA (estimation Cour des comptes d'après des données DGEFP) 53
CIL (estimation Cour des comptes d'après des données UESL) 5
Total 5 160

Source : Cour des comptes à partir des informations des organismes concernés.

Ludovic Arbelet

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