Opportunité, prévisibilité et évaluation des risques en matière de CJIP. Le point avec Guillaume Daieff, premier vice-procureur et chef de la section économique, financière et commerciale du parquet du TGI de Nanterre, ancien juge d’instruction du pôle financier du TGI de Paris.
La CJIP en questions, avec le chef du parquet financier de Nanterre.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Toutes les CJIP conclues jusqu’à présent concernaient des affaires arrivées en fin de phase d’instruction ou à un stade avancé de l’enquête préliminaire. À quel moment et avec quels éléments de preuve conseilleriez-vous à une entreprise qui envisage une transaction pénale d’entrer en contact avec un procureur ?
Guillaume Daieff : Les CJIP de Nanterre ont en effet été conclues tardivement, en phase de règlement de l’information judiciaire, à un moment où l’enquête avait été faite et était terminée et où chacun se préparait déjà pour l’audience. Pour l’une d’entre elle (Kaefer Wanner), l’amende est diminuée du fait de la coopération de l’entreprise « après la première perquisition », et pour l’autre (Poujaud), il est relevé que l’absence de coopération de l’entreprise la « prive de l’application d’un facteur atténuant ». Mais il n’est pas sûr que le parquet de Nanterre accepte à nouveau de négocier ces CJIP in extremis, après que l’autorité judiciaire aura peiné à rassembler les preuves contre la volonté de la société. Le plus tôt est donc le mieux. Cela rend éligible à la CJIP, accroît la décote de l’amende, et peut conduire, si certaines conditions sont remplies, le parquet de Nanterre à faire une enquête allégée, ce qui est de nature à réduire pour l’entreprise son coût financier, médiatique et humain.
La prévisibilité est une composante essentielle de l’attractivité de la CJIP pour les entreprises, à commencer par la prévisibilité du montant de l’amende publique. Comment les parquets peuvent-ils répondre à cette demande de prévisibilité ?
G.D. : L’amende, dit la loi (art. 41-1-2 du CPP), doit être proportionnée aux avantages retirés du manquement. Le parquet de Nanterre a explicité, dans les conventions qui sont en ligne sur le site de l’AFA, son mode de calcul, justement pour le rendre prévisible : c’est l’excédent brut d’exploitation, ou EBITDA. C’est aussi le critère qui a été retenu dans la circulaire du 31 janvier 2018 (publié au BOMJ). L’excédent brut d’exploitation du marché frauduleux a été calculé de manière abstraite, en appliquant à l’EBITDA de l’année la part du marché en cause dans le chiffre d’affaires de l’année. L’intérêt de cette méthode est son extrême simplicité – et prévisibilité. Rien n’exclut qu’un expert contrôleur de gestion vienne évaluer cet excédent brut d’exploitation in concreto, mais cela entraînerait alors un débat sur l’imputation des frais indirects – ce qui diminue la prévisibilité de l’amende. À l’avantage ainsi déterminé, on applique un coefficient d’actualisation, au taux d’intérêt légal. Ensuite, des facteurs atténuants et aggravants sont appliqués. Aggravants, car il ne s’agit pas pour le procureur que l’entreprise s’en tire à coût zéro. Atténuants, essentiellement fondés sur la note de coopération. Il n’y a pas, pour l’heure, de barème de coopération. Mais il y aurait lieu, à mon sens, que les parquets tentent – mais avec quel degré de précision ? – de définir un tel barème.
Le procureur peut refuser de conclure une CJIP alors que l’entreprise lui a fourni un certain nombre d’informations et d’éléments de preuve. Quelle garantie le parquet peut-il offrir aux entreprises qui hésitent à faire le pas de crainte de se retrouver dans cette situation délicate ?
G.D. : Dans le cas où c’est le président du TGI qui refuse de valider la CJIP, l’article 41-2-1 III du CPP interdit au procureur d’utiliser les « déclarations faites ou les documents remis ». Mais dans votre hypothèse, la loi ne le lui interdit pas. Le parquet de Nanterre envisage de proposer dans certains cas d’ouvrir les discussions en vue d’une CJIP dans le cadre de la CRPC, afin de donner à la société la protection de l’article 495-14, équivalente à celle de l’article précité. Ce serait le cas où la société apporte au procureur une enquête interne complète, « poursuites en main » en quelque sorte (courriels, auditions internes, documents et document de synthèse), ce qui peut le conduire à faire une enquête allégée. Selon la loi, la protection s’applique aux documents et aux déclarations recueillis au cours de la procédure de CJIP ou de CRPC. Mais quand commencent-elles ? À mon sens, il appartient à la société, si elle souhaite en bénéficier, de demander au procureur l’application de cette procédure, et au procureur de donner son accord.
Le juge chargé d’homologuer l’accord conclu peut s’y opposer et décider que l’affaire doit passer devant le tribunal. Quels arguments un procureur peut-il avancer pour limiter cette prise de risque pour l’entreprise qui s’est autodénoncée ?
G.D. : Le juge doit vérifier que l’amende d’intérêt public est proportionnée aux avantages retirés de l’infraction, mais il doit aussi vérifier « le bien-fondé du recours » à cette procédure. Les cinq ordonnances d’homologation disponibles se sont bornées à constater que le recours à la CJIP était justifié « en son principe », sans expliquer pourquoi. À Nanterre, le parquet a relevé à l’audience publique que s’il était exact que les entreprises n’avaient pas coopéré à l’enquête, ou tardivement, ce qui pouvait conduire à les déclarer inéligibles à la CJIP, le recours à cette procédure était pertinent parce qu’elle ne privait pas l’autorité judiciaire de la possibilité d’organiser un procès public et complet avec les autres personnes du dossier qui restaient poursuivies en l’espèce, et qu’elle permettait, dans cette perspective, de fixer une échelle de peine d’amende. En outre, elle permettait de mettre les sociétés immédiatement sous le contrôle de l’Agence française anticorruption, ce qui n’était pas possible autrement.
Le sort des personnes physiques concernées par les faits à l’origine de la CJIP constitue une autre source d’incertitude pour les instances de direction. Quelle approche ont adopté les parquets à ce sujet ?
G.D. : Lorsque les dirigeants ont changé depuis les faits, il y a peu « d’incertitude », pour reprendre votre terme. Dans l’autre cas, il est exact que le fait de mettre en œuvre une CJIP à l’encontre de la personne morale n’exclut en rien des poursuites contre les personnes physiques mises en cause (qui ne sont jamais éligibles à la CJIP). Mais comme le rappelle la circulaire précitée, l’opportunité de poursuivre la personne physique devra faire l’objet d’une appréciation au cas par cas, ce qui n’exclut donc pas un classement de l’affaire en ce qui la concerne en opportunité. Peuvent être pris en compte l’absence d’antécédents, l’implication de l’intéressé dans les faits, sa contribution à la coopération de l’entreprise et les sanctions déjà prises contre lui par l’entreprise. Enfin, il y a lieu de rappeler que des poursuites contre les personnes physiques peuvent s’exercer également sur un mode transactionnel, dans le cadre de la CRPC (articles 495-7 et s.) ou de la composition pénale (article 41-2 du CPP). Et, du moins à Nanterre, il n’est pas exclu de mettre les deux sujets sur la table en même temps.
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