CJIP Areva/Orano : focus sur le nécessaire respect des principes fondamentaux du droit pénal tout au long du processus

CJIP Areva/Orano : focus sur le nécessaire respect des principes fondamentaux du droit pénal tout au long du processus

14.01.2025

Gestion d'entreprise

Le 2 décembre dernier, le PNF a conclu une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) avec Areva SA et Orano Mining SAS appliquant à la première une amende de 4,8 millions d’euros et fixant au bénéfice de la seconde une obligation de mise en conformité. Cette CJIP est l’occasion de rappeler que l’exécution d’une telle mesure est soumise au respect des principes fondamentaux du droit et tout particulièrement du droit pénal. Dans cette chronique, Antoine Beauquier, avocat associé Marie-Sophie Goldschmidt, collaboratrice et Clothilde Hennequin, counsel de BCTG Avocats décryptent cette CJIP.

La CJIP du 2 décembre 2024 validée le 9 décembre 2024 marque le début d’une longue collaboration entre le Groupe Orano et l’Agence Française Anticorruption (AFA). Cette collaboration prendra la forme d’un audit initial, d’audits ciblés et de travaux de mise en conformité analysés lors d’un audit final. Au terme de ce processus, soit le PNF constatera la bonne exécution de la CJIP et l’extinction de l’action publique, soit il décidera de la reprise des poursuites pénales. 

Tout au long de ce parcours, le Groupe devra veiller à faire respecter ses droits légitimes, droits souvent mis à mal lors de l’exécution des CJIP, au préjudice des entités contrôlées. Ces atteintes aux droits fondamentaux ont diverses causes, dont la principale est l’imprécision de la loi s’agissant de la définition du programme de mise en conformité.

Imprécision de la définition pénale du programme de mise en conformité

L’obligation de mise en conformité est définie par l’article 131-39-2 du code pénal prévoyant la mise en place des mesures suivantes : un code de conduite, un dispositif d’alerte interne, une cartographie des risques, une procédure d’évaluation des tiers, des contrôles comptables internes ou externes, des formations du personnel et un régime disciplinaire en cas de violation du code de conduite.

Le code pénal ne contient que très peu de précisions sur la substance de ces mesures. Cette imprécision, peu compatible tant avec le principe de la légalité des délits et des peines qu’avec celui de l’interprétation stricte du droit pénal, a pour conséquence que « la durée et le contenu du programme de mise en conformité sont déterminés par le parquet en coordination avec l’AFA », sous la forme d’un plan d’action.

Autrement dit, la fixation du « contenu » de l’obligation pénale de mise en conformité se fait in concreto au terme d’un audit initial. Au regard de cet état insatisfaisant du droit s’imposent les précautions fondamentales suivantes.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Vigilance au stade de l’élaboration du plan d’action

La conduite d’un audit initial permet de dresser l’état des lieux de l’existence et de la pertinence du dispositif anticorruption de l’entité contrôlée. A l’issue de cet audit, un plan d’action est établi, qui doit impérativement se cantonner aux mesures fixées par l’article 131-9-2 du code pénal.

Discipline attendue des équipes de contrôle

Le contrôle de l’exécution de la CJIP doit être opéré au regard du plan d’action – référentiel déjà dérogatoire aux principes généraux du droit pénal – et s’y tenir strictement. L’équipe de contrôle doit donc procéder aux opérations d’audits ciblés et d’audit final en s’attachant au cadre de ce référentiel, sans y retrancher, ni y ajouter. Ce rappel nous semble déterminant tant les dérives sur ce point sont fréquentes et majeures. Il est nécessaire que les équipes de contrôle rattachent chacun de leurs constats/recommandations au plan d’action, afin d’éviter tout arbitraire contraire au principe de sécurité juridique dont doit bénéficier l’entité contrôlée. Cette dernière doit être particulièrement vigilante au respect de cette obligation tout au long du processus.

Vérification nécessaire de la valeur accordée aux recommandations de l’AFA

Autre écueil : il est fréquent que les équipes de contrôle de l’AFA (ou de ses sous-traitants) confèrent aux recommandations de cette dernière une valeur dont elles sont dépourvues, en les érigeant en référentiel de contrôle. Or, ainsi qu’elles le rappellent elles-mêmes, les recommandations de l’AFA « ne créent pas d’obligation juridique pour ceux à qui elles s’adressent ».  Elles ne se substituent en aucune manière au référentiel légal de l’article 131-39-2 du code de procédure pénale. Pour cette raison, l’AFA prend soin de préciser que l’entité contrôlée « qui déciderait de ne pas mettre en œuvre tout ou partie des méthodes préconisées dans ces recommandations ne peut être a priori considérée comme ne respectant pas la loi. ». L’entité contrôlée doit s’assurer de ce que les constats / recommandations de l’équipe de contrôle n’érigent pas les recommandations de l’AFA en référentiel autonome.

Le respect impératif du contradictoire

Le principe des droits de la défense, de valeur constitutionnelle, « implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties », ce à quoi fait écho l’alinéa 1er du I. de l’article préliminaire du code de procédure pénale en ces termes : « la procédure pénale doit être équitable et contradictoire ». A ce titre, nous rappellerons qu’à l’instar de tous les principes généraux du droit, le principe des droits de la défense (et ses déclinaisons) trouve à s'appliquer « même en l'absence de texte », notamment par les autorités administratives auxquelles les services à compétence nationale tels que l’AFA ne font pas exception. D’ailleurs, l’AFA précise que « dans le cas où l’AFA contesterait lors d’un contrôle tout ou partie des mesures prises par cette organisation, il reviendrait à cette dernière de démontrer que les choix qu’elle a faits lui permettent de satisfaire aux exigences posées par la loi. ». Il va sans dire qu’une telle perspective n’est envisageable qu’à la condition que le principe du contradictoire – très souvent malmené au cours de ces opérations – soit scrupuleusement respecté.

L’on ajoutera que les droits de la défense dépassent le cadre strictement juridictionnel et trouvent à s’appliquer toutes les fois où une mesure, quelle qu’en soit la nature, mais ayant « le caractère de punition », peut être prononcée. Or, la reprise des poursuites à l’encontre d’une personne morale en cas d’inexécution d’une CJIP a, de toute évidence, un caractère punitif. L’ensemble du processus d’exécution de la CJIP étant susceptible de conduire à une telle décision, l’entité contrôlée doit bénéficier de l’exercice effectif des droits de la défense à chaque étape de ce processus.

Les rapports de l’AFA et de ses sous-traitants sur le fondement desquels le PNF statue doivent en conséquence être soumis au contradictoire et communiqués en temps utile à l’entité contrôlée. Toute méconnaissance de ces principes fondamentaux doit être recensée par l’entité contrôlée, signalée à l’AFA aux fins de rectification de la méthodologie des équipes de contrôle et rapportée au Parquet, garant du bon déroulement de la procédure.

Antoine Beauquier Co-auteur : Marie-Sophie Goldschmidt et Clothilde Hennequin (BCTG Avocats)
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