Compliance : révolution culturelle à tous les étages

Compliance : révolution culturelle à tous les étages

20.03.2017

Gestion d'entreprise

Pour redorer le blason de la France en matière de lutte contre la corruption, la loi Sapin II a misé sur la prévention active. Ce faisant, elle bouleverse repères et pratiques au sein de l’entreprise, et au-delà. C'est l'analyse partagée par des professionnels du droit lors du "Global Anti-Corruption Summit" (GACS) organisé le 10 mars 2017 par le "Business & Legal Forum".

1er juin 2017 : c’est la date couperet à partir de laquelle les grandes entreprises devront être en règle avec les dispositifs anticorruption prévus par la loi du 9 décembre 2016 dite loi Sapin II. Pour rappel, les sociétés employant au moins 500 salariés (ou appartenant à un groupe dont la société mère a son siège social en France et dont l’effectif comprend au moins 500 salariés) et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros devront avoir instauré, à cette date, code de conduite, procédure d’alerte interne, cartographie des risques et autres dispositifs de contrôle et d’évaluation interne (voir notre article).

De nouveaux repères encore flous

En attendant, les débats et interrogations vont bon train. Si directeurs juridiques, avocats et représentants de l’administration se sont accordés à dire que cette loi était nécessaire pour rehausser la crédibilité et la souveraineté de la France en matière de lutte anticorruption, ils demeurent sceptiques ou inquiets sur certains points.

Quel sera le dispositif de certification des procédures mises en place ? L’obligation de vigilance est-elle une obligation de résultat ou de moyen ? Quelle politique contractuelle mettre en œuvre avec ses partenaires ? « Les clauses anticorruption ne sont pas toujours faciles à négocier », a expliqué Dominique Bourrinet, directeur juridique groupe de la Société générale. « La compliance s’arrête-t-elle à l’organisation de l’entreprise ou pénètre-t-elle la sphère contractuelle ? C’est un véritable enjeu ».

La sanctuarisation des directeurs juridiques en jeu

Par ailleurs, l’entreprise susceptible d’être mise en cause pour des faits de corruption peut avoir intérêt à licencier le lanceur d’alerte, y compris l’un de ses cadres dirigeants. Elle anticiperait ainsi sur les substantielles indemnités qui lui seraient payées après des années de procédure plutôt que de perdre un marché, et ce même si l’alerte est transmise à l’Agence française anticorruption (AFA, créée par la loi « Sapin II », voir ci-dessous). Une manière d'inviter les autres collaborateurs à rester taisants. « Du fait de la loi Sapin II, les directeurs juridiques peuvent se trouver en première ligne comme récepteurs d’alerte et ainsi en quelque sorte "receleur" d’alerte, a souligné William Bourdon, président de Sherpa et avocat. Ils peuvent être très exposés et la question de leur sanctuarisation et de les mettre à l’abri de risques de représailles et parfois de leur hiérarchie, va se poser ».

Une chose est sûre : pour satisfaire aux nouvelles obligations, la culture de « check-the-box » n’est pas de mise. Tous ont reconnu que le succès de la compliance reposera sur l’exemplarité du management, qui conditionne la diffusion de la culture d’intégrité à tous les niveaux de l’entreprise.

Transaction pénale du troisième type

Autre nouveauté de la loi Sapin II : la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Cette transaction pénale du troisième type, réservée aux personnes morales, est possible tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement. Validée par un juge du siège, elle permet aux sociétés mises en cause d’éviter une déclaration de culpabilité et un jugement de condamnation, et donc l’exclusion de marchés publics. En contrepartie, la personne morale devra s’acquitter d’une amende pouvant aller jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel des trois dernières années, de la mise en œuvre, sous le contrôle de l’AFA, d’un programme de mise en conformité à ses frais, et elle verra sa convention publiée sur le site de l’agence.

« La convention judiciaire d’intérêt public permettra de nationaliser la répression de la corruption d’agent public étranger par des sociétés françaises, qui est aujourd’hui le fait des autorités étrangères, notamment américaines », a plaidé le ministre de l’ Économie, Michel Sapin, en ouverture du GACS.

Assurer Ne bis in idem…

Mais là aussi, des questions demeurent sans réponse. Comment la reconnaissance des faits est-elle formalisée ? Quelle garantie a-t-on que le Parquet ne s’en serve pas si la convention n’aboutit pas ? Et surtout, la conclusion de cette convention promet-elle le respect du principe ne bis in idem par une juridiction étrangère ? « Nous n’en avons aucune assurance », a analysé Didier Rebut, professeur à l’université Paris II. Se trouve aussi en jeu la possibilité de ne pas avoir à communiquer des informations stratégiques à des autorités étrangères. « Je crois que nos partenaires étrangers sont assez pragmatiques : si la sanction française est réelle, ils ne repasseront pas derrière pour punir une seconde fois », a pondéré Charles Moynot, conseiller législation pénale du garde des Sceaux. « Il est vital de changer la manière de coopérer entre entreprises, autorités judiciaires et avocats. C’est une révolution culturelle pour chacun ».

 

L’Agence française anticorruption s’organise

Créée par la loi Sapin II et placée sous la double tutelle des ministères de la Justice et de l’Économie, l’Agence française anticorruption (AFA), chargée de la détection et de la prévention des atteintes à la probité, est dotée de son organisation depuis le 15 mars 2017 : elle est dirigée par Charles Duchaine (voir notre interview) et comprend, outre la commission des sanctions, un conseil stratégique et deux sous-directions, respectivement du conseil et du contrôle.

Le décret du 14 mars 2017 précise la procédure devant la commission des sanctions. Notamment, concernant le principe de la publicité de l’audience, il prévoit la possibilité de l’écarter « pour préserver l’ordre public ou lorsque la publicité est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ou à tout autre secret protégé par la loi ».

La sous-direction du conseil, de l’analyse stratégique et des affaires internationales est, entre autre, chargée de centraliser et d’assurer la diffusion des informations et des bonnes pratiques auprès des personnes morales. Elle participe à la définition de la position des autorités françaises au sein des organisations internationales et à la mise en œuvre des actions de coopération.

La sous-direction du contrôle des acteurs économiques a, quant à elle, en charge le contrôle sur pièces et sur place, le respect des mesures de conformité, et le contrôle de l’exécution des décisions de la commission des sanctions, des peines et du programme de mise en conformité.

Selon des proches de l’AFA, les effectifs dans ces deux sous-directions devraient être respectivement de 20 et 42 agents, composés de profils diversifiés, avec une dominante d’expérience en contrôle fiscal pour la seconde.

Comme prévu, l’AFA remplace le Service central de prévention de la corruption (SCPC) créé par la précédente loi Sapin du 29 janvier 1993.

 

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Laure Toury
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