Compte épargne-temps universel : qu’en pensent les DRH ?

Compte épargne-temps universel : qu’en pensent les DRH ?

12.12.2023

Gestion du personnel

Alors que les partenaires sociaux ouvrent la négociation, le 22 décembre, sur la mise en œuvre du compte épargne-temps universel, les DRH restent divisés. Ils s’inquiètent de la complexité du dispositif notamment de sa portabilité. Le point de vue de Fabien Gillen de Nexans, de Geoffrey Fournier de Linagora, d’Alain Everbecq de Poclain, et d’Arnaud Gilberton, fondateur d'Idoko.

Un compte épargne temps "portable" et "opposable" ? C’est l’objectif du gouvernement qui a invité les partenaires sociaux à négocier sur le compte épargne-temps universel (Cetu). D’ici le 15 mars, ils devront définir le périmètre des salariés bénéficiaires, les modalités d’alimentation et d’utilisation du compte, selon le document d’orientation qui leur a été transmis le 21 novembre.  

Sur le papier, l’idée est séduisante. Le Cetu pourrait permettre à l’ensemble des salariés d’accumuler des congés, des RTT, des heures supplémentaires, voire leur 13e mois pour les convertir en vue de financer une formation, rémunérer une année sabbatique, prendre de longues vacances, alimenter un plan d’épargne d’entreprise (PEE) ou de les récupérer sous forme de monnaie sonnante et trébuchante.

Mais comment passer de la théorie à la pratique sans créer un dispositif complexe et rendre ce dispositif accessible à toutes les entreprises ?

Un outil de gestion des fins de carrière

D’ores et déjà plusieurs sont passées à l’acte. Selon le bilan de la négociation collective de 2022, établi par la Direction générale du travail, 9,5 % des accords liés au temps de travail abordent la question du CET (1 640 accords), contre 7,1 % en 2020 (1300 accords).

Le groupe Poclain, spécialisé dans les moteurs hydrauliques, est l’un des pionniers. Les salariés peuvent alimenter leur compte de cinq jours de congés payés, de 10 jours RTT et de trois jours supplémentaires pour les cadres au titre de l’ancienneté, en plus du 13e mois. Pour Alain Everbecq, à l’origine du dispositif, aujourd’hui directeur qualité et HSE du groupe, le bilan est "très positif" car il permet aux salariés "de réduire progressivement leur activité, par exemple avant de partir en retraite, en organisant une transition en douceur".

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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… Ou de rémunération supplémentaire

Le CET peut aussi être monétisé. "Dans ce cas, chaque jour stocké doit être payé sur la base du salaire journalier brut que le salarié perçoit à la date de cette liquidation", explique Michel D., DRH d'une grande entreprise publique qui préfère garder l'anonymat. En clair : "il s’agit, au moment du départ, de prendre en compte les augmentations de salaire survenues entre le dépôt des jours de congés ou de RTT et leur rachat". Soit une plus-value bienvenue.

"C’est un dispositif dans l’ère du temps, résume Arnaud Gilberton, fondateur d'Idoko, cabinet de conseil en ressources humaines. Comme le compte personnel de formation, le Cetu permet d’individualiser le temps de travail, en créant un dispositif à la maille du salarié susceptible de décider de son investissement en termes de temps tout au long de sa carrière".

"Il pourrait même être utilisé pour compenser un surcroît d’activité, avance Geoffrey Fournier, DRH de Linagora, un éditeur de logiciels libres français. Par exemple, en abondant les comptes des salariés qui ont fait des heures supplémentaires pour améliorer la productivité de l’entreprise".

"Densifier la période d’activité professionnelle"

Mais le dispositif a aussi ses détracteurs. Pour Fabien Gillen, VP HR & communication et coordinateur RH France de Nexans, l’un des principaux handicaps du CET est de "densifier la période d’activité professionnelle pour générer du temps disponible a posteriori". "Nous avons toujours été très réservés sur ce principe". Il existe un risque que les gens sacrifient des congés au prix de leur santé.

De plus, "le CET peut être perçu pour les seniors comme une nouvelle invitation à quitter le marché du travail prématurément alors qu’il faut plutôt créer les conditions pour favoriser leur maintien dans l’emploi, en agissant sur les conditions de travail et le temps de travail, par exemple via la retraite progressive. Au risque sinon d’être totalement contre-productif".

"Peu en phase avec les préoccupations des salariés"

Autre faiblesse pointée par Geoffrey Fournier : "ce projet n’est pas très en phase avec les attentes réelles des salariés qui sont aujourd’hui davantage préoccupés par leur pouvoir d’achat que par la possibilité d’accumuler des jours de congés ou de RTT en fin de mois". Sauf à pouvoir les monétiser.

De nombreux obstacles à sa mise en place

Surtout, le dispositif se heurte aussi à plusieurs obstacles.

Tout d’abord, l’entreprise doit provisionner les sommes disponibles sur les comptes. Chez Poclain, ce sont ainsi quelque deux millions d’euros qui ont été mis de côté, pour préserver les 10 000 jours déposés par les 600 salariés titulaires d’un CET. Or, toutes les entreprises n’ont pas la trésorerie nécessaire pour provisionner les sommes. Qui plus est, la gestion de ces comptes "nécessite beaucoup de rigueur qui relève plus de la technicité bancaire que de la gestion RH, assure Alain Everbecq. À moyen et long terme, c’est compliqué car les salariés prennent peu leurs jours. Et les comptes deviennent énormes".

D’autant que la monétisation "peut constituer de réelles bombes à retardement en cas de revalorisations salariales", avance Geoffrey Fournier.

Le casse-tête de la portabilité

Difficile ensuite de transférer les comptes d’une entreprise à une autre. Traditionnellement, en cas de rupture du contrat de travail, le salarié reçoit une indemnité correspondant à la conversion monétaire de ses droits. Mais attention : ces sommes sont fiscalisées et chargées.

Pour éviter ce surcoût, il est aussi possible de consigner les droits acquis sur le CET auprès de la Caisse des dépôts, conformément au décret du 5 octobre 2009, pris en application de la loi du 20 août 2008 si l’accord d’entreprise ou de branche le prévoit. Mais le dispositif ne fait guère recette. 160 dossiers y étaient déposés en 2022 pour un montant global de 4 millions d’euros.

Un frein à l’embauche des seniors

Surtout, tous les DRH sont unanimes : le Cetu risque de constituer un sérieux frein à l’embauche ou à la mobilité des seniors qui mécaniquement disposeront d’un compte bien doté, contrairement à leurs cadets. "Imaginez un salarié de 55 ans, qui a une ancienneté de 20 ans dans notre entreprise, détaille Michel D. S’il dépose ne serait que cinq jours par an sur son CET, il accumule au total une centaine de jours, soit un capital de six mois de congés. Ce qui peut refroidir un employeur de le recruter". Cette cagnotte ne le place donc pas en position favorite. Pire : elle constitue un handicap, non pas en termes financier (l’argent aura été transféré par l’ancien employeur), mais en termes d’organisation du travail. Car le nouvel employeur aura l’obligation d’accepter des prises de congés accumulés chez des employeurs précédents. D’où un préjudice important, a fortiori dans les PME.

De plus, il "sera difficile de garder la confidentialité sur ce sujet lors d’un entretien de recrutement", prédit Geoffrey Fournier de Linagora. À moins, suggère Arnaud Gilberton, "de fixer, via des accords de branches professionnelles, des limites d’ancienneté avant de pouvoir activer son CET, par exemple cinq ans, pour donner du répit au nouvel employeur".

A défaut, le CET risque d’avoir impact négatif sur l’employabilité des salariés en fin de carrière alors que l’exécutif veut garantir qu’un maximum de seniors restent en emploi.

De nouvelles fonctionnalités pour le SIRH

Au passage, il bénéficie surtout "aux cadres" et aux grandes entreprises qui en font "un élément de rétention", assure Arnaud Gilberton. "Le CET figure en bonne place des packages salariaux".

"Il génère également des surcoûts inévitables car il nécessite de doter les SIRH de nouvelles fonctionnalités pour prendre en compte cette gestion du temps parallèle", prévient Geoffrey Fournier.

Une dose de capitalisation

Enfin, comme les partenaires sociaux, les DRH restent divisés sur la possibilité d’introduire une dose de capitalisation dans le système de retraites, en rattachant le Cetu aux caisses de retraite Agirc-Arrco. Si Geoffrey Fournier voit d’un bon œil ce mécanisme, en considérant "qu’il donnerait la possibilité aux jeunes générations de se constituer une épargne par capitalisation, en cumulant les trimestres supplémentaires et en améliorant ainsi leurs futures pensions", Alain Everbecq voit dans ce système un "effet pervers et contre-productif" : "celui d’utiliser le CET comme un instrument financier et non plus un dispositif un d’aménagement du temps de travail d’équilibre des temps de vie. Soit un projet bien loin de l’objectif affiché".

L’idée avait été émise en mai dernier par la CPME mais constitue une ligne rouge pour les syndicats de salariés.

En tout état de cause, pour Fabien Gillen, si les partenaires sociaux décident d’aller sur ce terrain-là, cette approche doit être "particulièrement bien encadrée".

Ce sujet, éminemment sensible, constituera, de fait, un point clivant de la négociation. Si la CPME a posé, sans tarder, les jalons de ces discussions, le Medef attend, lui, l’ouverture des discussions pour avancer ses pions…

Anne Bariet
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