Conditions particulières de cotisation à l’Agirc-Arrco : comment identifier les bénéficiaires après une modification de la classification de branche ?

Conditions particulières de cotisation à l’Agirc-Arrco : comment identifier les bénéficiaires après une modification de la classification de branche ?

12.02.2024

Gestion du personnel

Dans cette chronique, Louis Ladaigue, avocat au sein du cabinet Avanty Avocats, analyse la doctrine de l'Agirc-Arrco détaillée dans une circulaire en date du 18 décembre 2023 relative aux changements de classifications et leurs conséquences sur l'application des contrats avec conditions d’adhésion spécifiques pour certaines catégories de salariés.

Les professionnels des ressources humaines ayant déjà entendu les expressions "opérations supplémentaires" et "répartitions dérogatoires" savent qu’elles renvoient, en matière de régime de retraite complémentaire Agirc-Arrco, à des obligations financières très concrètes auxquelles sont tenues certaines entreprises vis-à-vis de leurs salariés.

Le champ d’application de ces engagements est étroitement lié aux classifications conventionnelles de branche, qui sont parfois amenées à évoluer, comme ce fut le cas au 1er janvier pour les entreprises de la métallurgie. Ces refontes sont susceptibles de soulever des difficultés pour l’identification des salariés bénéficiaires de tels engagements.

Le régime Agirc-Arrco vient de faire connaître sa position à ce sujet dans une circulaire du 18 décembre 2023 récemment diffusée.

Agirc-Arrco : la possibilité d’avantages particuliers

La plupart des entreprises du secteur privé et leurs salariés ont l’obligation de verser des cotisations au régime Agirc-Arrco (1). Chaque cotisation versée génère individuellement des points de retraite pour les salariés affiliés. Ces points détermineront ensuite le montant de leur pension complémentaire au moment de la liquidation de leurs droits.

Le taux et l’assiette de ces cotisations, ainsi que leur répartition entre employeur et salarié, sont fixés par l’accord national interprofessionnel (ANI) du 17 novembre 2017. Par principe, ces paramètres sont identiques pour toutes les entreprises.

Par exception, certaines entreprises sont tenues d’appliquer des taux de cotisation supérieurs à ceux prévus par l’accord dans le cadre d’opérations dites "supplémentaires", en raison d’obligations antérieures à 1993 pouvant trouver leur origine dans diverses sources (option pour des conditions particulières d’adhésion de l’entreprise à sa caisse de retraite complémentaire au moment de la généralisation des retraites complémentaires, accord collectif de branche, etc.) (2)

Par exemple, la convention collective nationale (CCN) de l’hospitalisation privée à but non lucratif prévoit l’application d’un taux de 8 % (3) (à comparer au taux contractuel de droit commun sur la "tranche 1" de la rémunération de 6,20, appelé à 7,874 %).

Cela peut également être le cas en matière de répartition de la cotisation : un employeur peut toujours appliquer une répartition plus favorable aux salariés que celle prévue par l’ANI (4). L’économie réalisée par le salarié qui en résulte n’est d’ailleurs pas un avantage soumis à charges sociales lorsque que la répartition plus favorable résulte d’une obligation antérieure à certaines dates (5).

Certaines normes, telles qu’un accord collectif de branche antérieur à 1996, peuvent même conduire à l’application d’une répartition moins favorable que celle prévue par l’ANI (6). Par exemple, la CCN précitée prévoit une prise en charge à 55 % par l’employeur (7) (à comparer à la répartition de droit commun de 60 % pour l’employeur et de 40 % pour les salariés).

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

Découvrir tous les contenus liés
Les bénéficiaires de ces avantages

Ces obligatigons peuvent concerner l’ensemble des salariés de l’entreprise, ou être limitées à une catégorie d’entre eux. Cela est souvent le cas lorsque ces conditions particulières de cotisation ont été décidées par l’entreprise, tandis que les accords de branche prévoyant une opération supplémentaire ou une répartition dérogatoire distinguent rarement selon les salariés.

Pour bon nombre d’entreprises, ces catégories de salariés bénéficiaires sont définies en référence aux trois différentes catégories qui existaient, entre 1947 et 2019, pour distinguer les salariés affiliés au régime Agirc : ingénieurs ou cadres relevant de l’article 4 de la CCN "Agirc" de 1947, Etam relevant de son article 4 bis, ou salariés relevant de l’article 36 de son annexe I.

Ces trois catégories étaient elles-mêmes définies, pour chaque branche, par une instance paritaire de l’Agirc établissant une correspondance entre des critères fixées par la CCN "Agirc" et chaque classification conventionnelle (ces correspondances sont aujourd’hui disponibles sur le site de l'Agirc-Arrco). En cas de modification de la classification conventionnelle, la commission pouvait actualiser cette correspondance.

Cependant, depuis le 1er janvier 2019, les régimes Agirc et Arrco ont fusionné. Ces trois catégories n’existent plus, et aucun organe quel qu’il soit n’a pour mission d’identifier les bénéficiaires de ces avantages de retraite après une modification de la classification de branche.

Tout au plus, en ce qui concerne la catégorie des salariés relevant des articles 4 et 4 bis de l’ancienne CCN "Agirc", il est tentant de mobiliser l’ANI du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres.

En effet, cet accord reprend à l’identique les critères anciennement utilisés pour définir les salariés entrant dans le champ des articles 4 et 4 bis de la CCN "Agirc" pour définir, en ses articles 2.1. et 2.2., les salariés bénéficiaires de l’obligation patronale dite du "1,50 % tranche 1".

Pour ce faire, l’accord confie à une commission paritaire de l’Association pour l'emploi des cadres (Apec) le soin de déterminer dans chaque branche qui sont les salariés relevant des articles 2.1. et 2.2. de l’ANI en appliquant la définition figurant au sein de l’ANI. Par exemple, dans la CCN de la métallurgie, les salariés des niveaux F11 à I18 sont les cadres relevant de l’article 2.1. et les salariés des niveaux E9 à E10 sont les "assimilés cadres" relevant de l’article 2.2 (8).

En cas de changement de la classification de branche, la commission réalise à nouveau ce travail de correspondance, comme elle l’a fait en 2023 pour la nouvelle classification de la métallurgie applicable au 1er janvier 2024, ou comme elle vient de le faire pour la CCN "Syntec" (9).

Cette continuité des définitions entre catégories des "articles 4 et 4 bis" et des "articles 2.1. et 2.2." peut inciter à considérer que, faute de mieux, les décisions de la commission paritaire de l’Apec peuvent servir à identifier les salariés bénéficiaires de conditions de cotisations particulières à l’Agirc-Arrco. En effet, bien que ces catégories soient de nature différente, leur périmètre est identique.

D’un point de vue strictement juridique, cette solution commode revient toutefois à donner à l’ANI relatif à la prévoyance des cadres et aux décisions de la commission paritaire de l’Apec une portée qu’ils n’ont pas.

Aussi et surtout, cette solution ne permet pas de régler la situation des salariés relevant de l’article 36 de l’annexe I de la CCN "Agirc". En effet, cette catégorie de salariés a disparu et n’a tout simplement aucun équivalent dans le cadre juridique d’aujourd’hui.

Là encore, la refonte complète des classifications dans la branche de la métallurgie, connue pour compter de très nombreux salariés "article 36", a mis en évidence cette difficulté source d’insécurité juridique : dans l’ancienne classification, les instances de l’Agirc avaient conclu qu’il s’agissait des salariés du niveau III échelon 2 jusqu’au niveau V échelon 1, mais comment identifier ces salariés au sein de la nouvelle classification ?

La position de l’Agirc-Arrco

Les instances de l’Agirc-Arrco ont récemment diffusé une circulaire datée du 18 décembre 2023 relative au "traitement des changements de classifications pour l'application des contrats avec conditions d’adhésion spécifiques pour certaines catégories de salariés" et ayant vocation à indiquer les solutions à appliquer, en distinguant les salariés relevant du statut "article 36" et les autres.

En ce qui concerne l’identification des salariés appartenant à une catégorie définie par référence aux anciens articles 4 et 4 bis, la circulaire indique que "dans le cas de changements dans les classifications professionnelles sectorielles, les salariés bénéficiant de conditions d’adhésion spécifiques […] par application d’un accord de branche ou d’entreprise sont désormais définis en référence aux nouveaux seuils d’accès fixés par la commission paritaire de l’Apec".

Ces "nouveaux seuils d’accès" renvoient selon toute vraisemblance aux catégories des salariés relevant des articles 2.1. et 2.2. de l’ANI de 2017 tels qu’identifiés par la commission paritaire de l’Apec, pour lesquels l’Agirc-Arrco considère ici qu’ils permettent d’identifier respectivement les salariés relevant auparavant des articles 4 et 4 bis de la CCN "Agirc".

Nous l’avons vu, cette solution pragmatique ayant le mérite de la simplicité et de la continuité était prévisible. Elle n’est toutefois pas aussi satisfaisante que l’aurait été un avenant à l’ANI relatif au régime Agirc-Arrco.

Concernant les bénéficiaires identifiés par leur appartenance à la catégorie des "article 36", la circulaire est beaucoup plus confuse.

Ainsi, hors changement de classification conventionnelle, la circulaire indique que, depuis le 1er janvier 2019, "les employeurs continuent de déclarer ces salariés au titre de ce contrat particulier pour appliquer ces taux et assiettes spécifiques". Dans cette hypothèse, le périmètre des bénéficiaires reste donc inchangé.

À l’inverse, en cas de changement de classification, la circulaire part du postulat que cette modification doit entrainer la "détermination de nouveaux seuils d’accès [au statut "article 36"] par l’Apec".

Cette position est surprenante dans la mesure où, comme vu précédemment, aucun texte ne confère une telle mission à la commission paritaire. D’ailleurs à ce jour la commission n’a rendu aucune décision à cet effet et son site internet ne prévoit rien non plus en ce sens.

Il aurait pu sembler plus évident que l’Agirc-Arrco considère que les salariés relevant de l’article 36 sont maintenant ceux relevant de la 3e catégorie susceptible d’être définie par la commission paritaire de l’Apec : celle des "cadres intégrés" (dits aussi "intégrés Apec").

En synthèse, cette catégorie, qui trouve son fondement à l’article R. 242-1-1, 1° du code de la sécurité sociale, a pour objet de permettre aux entreprises, en conformité avec les conditions d’exonération Urssaf, d’affilier des salariés non-cadres mais relevant d’un certain niveau conventionnel, à un régime de protection sociale complémentaire (frais de santé, prévoyance ou retraite supplémentaire) spécifique aux cadres.

Mais cette position n’en aurait pas moins été critiquable dans la mesure où, outre son absence de fondement juridique, l’intention de partenaires sociaux de branche faisant agréer une catégorie de "cadres intégrés" par la commission paritaire de l’Apec n’est pas d’encadrer les obligations des entreprises en matière de retraite complémentaire Agirc-Arrco…

Quoi qu’il en soit, en dehors de cette circulaire sans valeur opposable, en cas de refonte d’une classification conventionnelle, il n’existe donc à ce jour pas réellement de fondement textuel permettant à des salariés de revendiquer le bénéfice de conditions particulières de cotisation au régime Agirc-Arrco réservées aux salariés "article 36".

Les partenaires sociaux signataires de l’ANI relatif à l’Agirc-Arrco auraient tout intérêt à y insérer enfin des dispositions réglant définitivement cette difficulté.

Parmi toutes les décisions possibles, ils pourraient d’ailleurs adopter la solution, classique en droit du travail et de la protection sociale, de la constitution de "groupes fermés". Cette pratique consisterait à figer le champ des bénéficiaires à la date de la refonte de la classification. Les entreprises continueraient à faire bénéficier des avantages en cause les salariés qui en bénéficiaient avant la modification, mais en ne les appliquant pas à des salariés nouvellement embauchés après cette date, quand bien même ils auraient appartenu à la catégorie des "article 36" s’ils avaient été embauchés avant la refonte. La solution, qui entrainerait l’extinction progressive du statut "article 36" en matière de retraite complémentaire serait, qui plus est, cohérente avec la disparition de ce statut de tous les textes applicables.

 

(1)  Article 35 de l’ANI du 17 novembre 2017 relatif au régime Agirc-Arrco de retraite complémentaire.

(2)  Article 35 de l’ANI.

(3) Article 15.03.3.

(4) Article 38 de l’ANI.

(5) Circulaire n° DSS/5B/2009/31 du 30 janvier 2009 relative au régime social des contributions des employeurs destinées au financement des régimes de retraite complémentaire légalement obligatoires.

(6) Article 39 de l’ANI.

(7) Article 15.03.3.

(8) Agrément du 4 octobre 2023.

(9) Agrément du 20 décembre 2023.

Louis Ladaigue
Vous aimerez aussi