La première édition du rendez-vous Air2020 organisé par la Cnil dans le cadre de sa mission éthique a eu lieu le 9 novembre. L'occasion d'organiser des débats autour de questions de fond sur la transition massive vers le télétravail. Morceaux choisis de ces échanges, mêlant analyse sociologique et management.
"Les entreprises sont nombreuses à se pencher sur l'encadrement du télétravail, mais seul un petit nombre d'entre elles se saisissent de cette opportunité pour réellement repenser l'organisation du travail, car c'est une transition assez violente d'un point de vue management", selon Bruno Mettling, auteur d'un rapport publié en 2015 sur la transformation numérique au travail. Cet ancien DRH d'Orange était l'un des invités de la table ronde organisée le 9 novembre par la Cnil dans le cadre de son nouvel évènement, dénommé Avenir, innovations, révolutions (AIR).
A l'origine de ce nouveau rendez-vous annuel, la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016, qui a confié à la Cnil la mission de conduire une réflexion sur les enjeux éthiques et les questions de société soulevés par l’évolution des technologies numériques. Cet événement doit permettre d'ouvrir un débat objectif sur l'évolution des nouvelles technologies dans le travail, afin de nourrir la réflexion des décideurs publics et privés.
L'un des sujets centraux de cette première édition Air2020 était évidemment le télétravail. Ce mode d'organisation du travail symbolique de l'intégration des nouvelles technologies dans le travail a pris un essor phénoménal dans le contexte actuel de pandémie.
A la suite du premier confinement, 80 % des salariés ont exprimé le souhait de continuer à télétravailler. Une validation massive que la sociologue Danièle Linhart explique notamment par un besoin de fuir des environnements de travail "peu stimulants et peu réconfortants".
"La mise en place des open spaces n'a pas toujours été bien vécue par les salariés. Alors qu'ils étaient présentés comme des espaces de convivialité propices aux échanges, on constate plutôt un inconfort physique et psychiques des salariés sur leur lieu de travail. En plus de subir parfois des désagréments liés aux bruits et odeurs, ils sont sous le regard permanents de leurs collègues et supérieurs. Ils ont le sentiment de ne pas avoir d'intimité dans leur travail. Et les efforts des DRH en faveur du « bonheur au travail » n'y changent rien."
Oui mais voilà : le travail n'a pas changé. "Le travail reste inspiré par une logique taylorienne de prescription de procédures, selon des protocoles établis par de grands cabinets de consultants. Les salariés sentent prisonniers d'une organisation à laquelle sont pas associés, et sur laquelle ils ne peuvent pas influer."
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Autre inconvénient du télétravail : la distance éloigne les personnes et fait perdre de vue l'objectif du travail, selon Danièle Linhart. "En entreprise, on ne travaille pas pour soi, on travaille avec les autres et pour les autres. Se retrouver soudainement confiné face à son écran peut faire perdre de vue ce pour quoi on travaille, la société dans laquelle on est immergé. In fine, le salarié peut perdre ce qui rendait son travail supportable : savoir qu'il est utile. Et cela peut nuire à son efficacité, même s'il ne le fait pas exprès."
"La réussite d'une transition vers le télétravail repose sur la détermination d'un nouveau mode de pilotage entre entreprise et salariés, affirme Bruno Mettling. Le management repose aujourd'hui principalement sur le présentéisme - le salarié doit se rendre au travail à un horaire précis, effectuer un certain nombre d'heures sur place, puis rentrer chez lui. Intégrer le télétravail c'est repenser ce fonctionnement en s'attachant cette fois à la prestation de travail. Le salarié a l'engagement de fournir une prestation dans un délai établi, et la manière dont il s'organise pour le faire relève de son autonomie."
Le second enjeu des négociations est de trouver les moyens de contrôle du travail des salariés. Des outils qui permettent de s'assurer que la charge de travail des salariés n'est pas excessive, tout en évitant un trop grand contrôle qui pourrait être ressenti comme du flicage". C'est cet équilibre qui sera le plus difficile à trouver. Car la méfiance côté employeur quant à la quantité de travail fournie par le salarié s'oppose à celle du salarié quant aux moyens dont l'employeur dispose pour contrôler ses faits et gestes grâce aux outils technologiques.
D'où l'importance du dialogue social en ces temps de transition. "Les outils de contrôle doivent être mis en débat dans l'entreprise, affirme Amandine Brugière, responsable du département Etudes et capitalisation prospective à l'Anact. Il faut considérer le travail comme un fait social collectif. Les entreprises rassemblent des intérêts qui ne sont pas toujours convergeants. Les offreurs de service en matière d'outils de contrôle doivent être éduqués à cet aspect : les données ne sont que l'infime reflet de l'activité d'une personne, et la collecte de ces données n'est jamais neutre. Or, la question de l'analyse des données récoltées par les outils est rarement posée sur la table des instances de dialogue social."
La Cnil a annoncé qu'elle publierait avant la fin de l'année les "cahiers Air2020", qui synthétiseront les échanges sur ces réflexions éthiques.
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