Quel rôle peuvent jouer les branches professionnelles dans l'encadrement de la prise des congés payés après une absence pour maladie ? La question se pose après les arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 et la décision de la CJUE du 9 novembre 2023. Réponse avec Hugues Lapalus, avocat associé au sein du cabinet Barthélémy Avocats dans le cadre de notre partenariat avec le Club des branches.
Que retenir de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 9 novembre 2023 ?
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
La question posée à la CJUE était de savoir si le droit à report de congés payés indéfini était contraire à la directive communautaire 2003/88 du 4 novembre 2003. La CJUE, pour répondre à cette question, rappelle la double finalité de la directive : permettre aux salariés de se reposer et leur faire bénéficier d'un temps de détente et de loisirs. Or, si le salarié, absent plusieurs années consécutives, peut bénéficier de l'ensemble de ses congés payés acquis, cela ne répond plus à cette double finalité, le salarié n'ayant pas besoin d'autant de temps de repos. Reste à savoir comment limiter le bénéfice de ces droits à congés payés acquis. Dans sa décision du 22 novembre 2011, la CJUE, concernant le droit allemand, a indiqué qu'il est possible de prévoir une durée minimale de report et que le délai de 15 mois est un délai de report suffisant.
Dans l'affaire du 9 novembre 2023, qui concernait la France qui ne dispose d'aucune législation nationale sur le sujet, la CJUE a confirmé qu'un délai de report de 15 mois pour des salariés dont certains cumulaient deux ans d'absence, n'était pas contraire à la finalité de la directive et constituait un délai de report acceptable.
La CJUE précise également qu'en l'absence de législation, une pratique nationale peut limiter ce risque.
C'est là que les branches professionnelles ont un rôle à jouer ?
A défaut de législation spécifique (ce qui est le cas en France), cela ouvre effectivement des perspectives pour les branches professionnelles. Au rang des pratiques nationales sont visés à l’évidence les accords collectifs. Rappelons à ce titre que la décision de la CJUE de 2011 permettait très clairement aux accords collectifs de déterminer un délai de report. En pratique, l'une des difficultés pour le faire serait d’arriver à convaincre les signataires côté organisations syndicales d'une date limite de report. Pourtant c’est du bon sens ; quand le salarié reprend son travail après une longue période absence, il doit certes bénéficier de droits à repos mais non d'une multitude de semaines de congés payés accumulées pendant ses années de maladie. Ce serait contraire à la double finalité du droit à congé et cela créerait également une rupture d’égalité manifeste entre un salarié qui travaille et un salarié en maladie qui, alors qu’ils ne sont pas placés dans une situation identique face au travail, bénéficieraient d’un même droit à repos !
Existe-t-il déjà des CCN qui ont prévu de telles dispositions ?
La CCN de la métallurgie, à son article 88, prévoit que "lorsque les congés du salarié ont été reportés en raison d'une maladie ordinaire ou d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, survenant avant la date du départ en congés, ceux-ci peuvent être pris dans un délai maximal de 15 mois suivant la date du retour du salarié dans l'entreprise à l'issue de la période de suspension du contrat de travail". Cette disposition vise les droits déjà acquis.
La CCN des professions réglementées auprès des juridictions du 26 janvier 2022, qui vient d'être étendue, prévoit à son article 4.3.3 que le salarié qui n'a pas pu bénéficier, à l'échéance du 30 avril, de ses congés payés acquis ou d'une partie de ceux-ci en raison notamment de son absence due à une maladie, un accident du travail, une maladie professionnelle, bénéficiera du report de son congé à la fin de la période d'absence sans que la date de ce report ne puisse dépasser le 30 avril de l'année suivant la date butoir de prise de ce congé.
Incitez-vous les autres branches professionnelles à ouvrir des négociations rapidement ?
L'arrêt de la CJUE nous donne l'occasion de nous hâter lentement ! Mais là où le dialogue social est mature et où les partenaires sociaux comprennent qu'on n'a pas vocation à accumuler les congés payés en période de maladie, allons-y, ouvrons des négociations sans attendre l'éventuelle intervention du législateur.
Quelles sont les pistes qui s'offrent au législateur et comment pourront-elles se concilier avec le droit conventionnel ?
Plusieurs voies s'offrent au législateur. Il peut décider de fixer un délai de report erga omnes, de 15 mois par exemple. Il peut aussi décider d'ouvrir le champ de la négociation collective laissant aux partenaires sociaux le soin de définir eux-mêmes la durée de ce report, sous réserve que ce délai dépasse substantiellement la durée de la période de référence avec un aléa : les partenaires sociaux pourraient-ils descendre en deçà de 15 mois ? Si on veut vraiment régler le problème de la conformité de la loi par rapport à la charte et à la directive, le législateur lui-même devrait fixer un droit de report de 15 mois, ce qui n'empêchera nullement un accord collectif de faire mieux, quand bien même la disposition serait d'ordre public.
Un accord collectif pourrait-il limiter le nombre de jours de congés payés acquis pendant la maladie ?
Non car cela voudrait dire que la maladie ne génère plus de droits à congés payés. Instaurer une limite à l’acquisition poserait un problème de conformité car la Cour de cassation a clairement indiqué dans ses arrêts du 13 septembre 2023 s'agissant des absence pour cause de maladies, accidents du travail et maladies professionnelles devaient générer des droits à congés payés.
Il n’est possible que de jouer sur l’instauration d’une date limite d’utilisation des droits acquis.
Si une convention collective nationale est signée, ses dispositions sur le délai de report seront-elles rétroactives et pourront-elles s'appliquer aux contentieux en cours ?
Il revient aux partenaires sociaux de définir des règles assez précises afin de limiter les contentieux. A priori, comme indiqué précédemment, l'accord ne peut traiter de l'acquisition des droits à congés payés. Il ne peut traiter que de l’utilisation de ses droits acquis. Ainsi construit, il n’aurait pas d’effet rétroactif. Le délai de report prévu par une CCN pourrait ainsi être d'application immédiate sous réserve de la situation des contentieux en cours.
Les entreprises peuvent-elles également décider de signer un accord collectif sur le sujet ?
Oui, en principe, et si un accord d'entreprise est conclu, il prévaudra sur l'accord de branche car nous sommes dans le champ de l'article L.2253-3 [bloc 3], même si pour l'heure le législateur n'autorise pas formellement de tels accords.
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