Consultation publique sur le projet de code de droit international privé

21.06.2022

Gestion d'entreprise

Après trois années d’échanges et de consultation, le groupe de travail réuni autour du président Jean-Pierre Ancel a remis au garde des Sceaux, le 31 mars 2022, un projet de code (français) de droit international privé composé de six livres et 207 articles. A présent, le ministère de la Justice lance une consultation publique sur le projet : réponses attendues jusqu’au 30 septembre 2022 !

L’originalité des sources du droit international privé français est bien connue, la place centrale de la jurisprudence dans la construction historique de la discipline ayant fait des « grands arrêts » - eux-mêmes souvent inspirés autant qu’enrichis des analyses de la doctrine - la référence incontournable pour pénétrer la matière. Cela donna lieu à la fameuse expression du professeur Oppetit : « droit international privé, droit savant » (titre de son cours à l’Académie de La Haye, tome 234, 1992-III, Martinus Nihoff Publishers, pp. 339-433). Le rôle essentiel des auteurs – universitaires comme praticiens – en la matière n’a (paradoxalement ?) jamais permis l’adoption d’un code, pourtant vecteur certain, dans la tradition continentale romano-germanique, d’une meilleure accessibilité et lisibilité du droit. Et l’on se souvient que des projets avaient successivement été proposés par d’éminents penseurs de la discipline (J.-P. Niboyet, H. Batiffol puis J. Foyer) au milieu du XXe siècle, sans succès.

Moderniser les règles et favoriser une meilleure articulation des normes

De manière peut-être surprenante aujourd’hui pour les praticiens du droit européen des affaires, à l’heure du droit international privé de l’Union européenne – dont l’acquis occupe une part largement majoritaire dans la pratique quotidienne de la discipline –, la France décide à nouveau de tenter l’aventure de la codification, au niveau national. L’on doit certainement s’en réjouir pour plusieurs raisons. L’enjeu est à la fois de clarifier et de moderniser les règles françaises de droit international privé (qui, rappelons-le, s’appliquent uniquement à défaut de règles internationales et européennes sur une question donnée), mais également, bien sûr, de le faire en contemplation du droit international et européen, en particulier en vue de favoriser une meilleure articulation des normes, qu’il s’agisse d’identifier le bon champ et/ou niveau normatif, ou de combler une lacune réglementaire.

Il est également question, à n’en pas douter et peut-être de manière un peu moins convaincante, d’inspirer l’harmonisation supranationale de futures règles de droit international privé « sur le modèle français » (règles qui sont aujourd’hui encore d’origine nationale), voire même, suivant la philosophie d’ensemble du (projet de) code, d’inspirer une future codification européenne.

Six livres et 207 articles

Le projet de Code déposé par le groupe de travail, composé de six experts de la discipline – universitaires et praticiens de renom – sous la présidence de Jean-Pierre Ancel (président de chambre honoraire à la Cour de cassation), a été préparé collégialement pendant quelque trois années avant d’être remis, accompagné d’un rapport explicatif, le 31 mars 2022, au garde des Sceaux. Il comprend six livres et 207 articles qui, soit consolident les acquis, soit consacrent des avancées, soit encore comblent des lacunes (v. p. 15 et s. du rapport).

Le premier livre est consacré au champ d’application du code qui s’insère dans l’ordre juridique national français ainsi qu’aux règles générales relatives au droit applicable et à la compétence juridictionnelle, suivant la dichotomie classique en la matière, entre conflit de lois et conflit de juridictions. On pourra peut-être regretter que l’ordre ne soit pas inversé, suivant la chronologie du raisonnement de droit international privé : se placer d’abord du point d’un ordre juridique de référence – compétent donc –, avant de pouvoir rechercher, suivant ses règles (i.e. son système de conflit de lois), la loi applicable au rapport international en cause. On se félicitera, en revanche, de l’attention portée à l’articulation des sources « multiniveaux » dès l’article 1er, alinéa 3 du projet de code : « Les dispositions du présent code s’appliquent hors du champ d’application du droit de l’Union européenne et des conventions internationales, sauf renvoi à leurs dispositions ». C’est, ensuite, de manière récurrente, en début de « titre » pour chacune des matières couvertes par le code, que l’articulation normative, particulièrement entre droit interne français (le code) et droit de l’Union (les principaux règlements de droit international privé), est explicitée (v. infra pour un exemple).

On notera que les questions de compétence internationale indirecte sont, quant à elles, détachées de ce premier chapitre, pour s’insérer dans le livre quatre consacré aux règles relatives à la reconnaissance et l’exécution des actes et des jugements étrangers. Il est pertinent et très lisible pour le praticien d’avoir, en sus, intercalé ce livre entre, d’un côté, un livre trois consacré à la procédure et un livre cinquième portant sur les mesures provisoires et conservatoires.

Finalement, il nous reste à mentionner le cœur du Code, à savoir le deuxième livre qui contient l’ensemble du droit international privé spécial, c’est-à-dire les règles spécialement applicables aux différentes catégories du droit international privé, telles que le mariage, le divorce, la responsabilité contractuelle et extracontractuelle, les procédures collectives ou encore les biens et les relations de travail.

Exemple concret

On peut alors prendre l’exemple d’un contentieux contractuel international en matière de services qui serait soumis au juge français. Ce dernier est-il compétent et quelle est la loi applicable ? Alors que les règles en la matière sont en principe unifiées par le droit de l’Union, à travers les règlements « Bruxelles I bis » (Règl. (UE) n ° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, 12 déc. 2012 : JOUE n° L 351, 20 déc.) et « Rome I » (Règl. (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, 17 juin 2008 : JOUE n° L 177, 4 juill.), on peut s’interroger sur l’apport du (projet de) code dans le for français. Selon l’article 88, « sous réserve des conventions internationales liant la France, la compétence des juridictions françaises en matière contractuelle est déterminée par le règlement (UE) n° 1215/2012 » et si ce dernier n’est pas applicable et renvoie aux règles nationales de compétence, par exemple parce que le défendeur n’est pas domicilié dans l’Union (à défaut de clause attributive de juridiction en faveur du juge d’un État membre), « les juridictions françaises sont compétentes pour connaître des demandes en matière contractuelle lorsque […] le lieu de l’exécution de la prestation de service est situé en France ou, à défaut, en application de l’article 17 du présent code, lorsque l’une des parties est de nationalité française ». Plus besoin de manier ici l’article 46 du code de procédure civile, étendu à l’ordre international, ni les 14 et 15 du code civil relatif aux privilèges de juridiction. La simplification et l’efficacité sont réelles. Quant au droit applicable, par le juge français qui se reconnaîtrait compétent, l’article 89 prévoit que « le droit applicable aux obligations contractuelles est déterminé par le règlement (CE) n° 593/2008 » et, en cas de questions exclues de son champ d’application, et « hormis les cas où la loi française en dispose autrement et sous réserve des conventions internationales liant la France », la loi applicable sera à nouveau celui désigné « en vertu dudit règlement ». Si on doit saluer l’extension du champ d’application, par défaut et à titre subsidiaire des règles européennes de conflit de lois, il restera aux juges et praticiens à déterminer à quelles hypothèses, concrètement, répondent de cette exception…

Consultation ouverte jusqu’au 30 septembre 2022

Afin de donner place au débat démocratique et de faire vivre les propositions soumises par le groupe de travail, le ministère de la Justice vient de lancer, le 8 juin 2022, une consultation publique visant à recueillir des commentaires sur le projet de code avant la fin septembre. Elle est construite en trois temps : le principe même de l’adoption, en droit français, de règles écrites et codifiées de droit international privé, la rédaction de commentaires généraux sur le projet de code et enfin la soumission de commentaires article par article. C’est à la lumière des résultats de cette consultation que la direction des affaires civiles et du sceau déterminera, ensuite, les « éventuelles prochaines étapes » du processus de codification de la matière. A vos crayons !

Marion Ho-Dac, professeure à l’Université d’Artois, CDEP UR 2471

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