Gaël Chantepie, professeur de droit à l’Université de Lille et spécialiste du droit des contrats, nous explique pourquoi la dernière ordonnance publiée en la matière invite les parties à renégocier l’exécution de leurs obligations contractuelles en période de crise sanitaire.
Dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, le confinement a amené l’exécutif à légiférer par ordonnance, le 23 mars, pour « prorog[er] [l]es délais échus pendant la période d’urgence sanitaire ». Les délais contractuels sont traités par ce texte qui vient d’être modifié par une seconde ordonnance du 15 avril.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Que retenir de ce nouveau texte par les directions juridiques ?
Il faut tout d’abord contextualiser les choses. L’ordonnance prise par le gouvernement est issue de l’habilitation législative accordée par la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19. Celle-ci donnait pouvoir à l’exécutif, pendant la période d’état d’urgence sanitaire, de « modifier, dans le respect des droits réciproques, les obligations des personnes morales de droit privé exerçant une activité économique à l’égard de leurs clients et fournisseurs ». L’état d’urgence sanitaire court, pour l’instant, du 12 mars au 24 mai et pourrait être prolongé par une loi, bien que le gouvernement évoque un déconfinement progressif à partir du 11 mai prochain. Une autre période est à avoir en tête : celle dite « juridiquement protégée », mise en place par l’ordonnance du 25 mars 2020. Elle a débuté le 12 mars et s’achèvera un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 juin s’il n’y a pas de prolongation [à la suite de cet entretien, une ordonnance du 13 mai 2020 est venue sceller la fin de la période juridiquement protégée au 23 juin 2020 inclus. Les hypothèses émises dans cette interview restent donc correctes, ndlr].
Pour les directions juridiques, ce qui est à noter réside dans l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars telle que modifiée par celle du 15 avril qui porte sur les sanctions contractuelles, c’est-à-dire les clauses pénales et résolutoires. Attention toutefois à la pluralité de normes : en plus des ordonnances, il faut tenir compte des deux rapports au Président de la République qui contiennent des informations voire des exemples et des circulaires ainsi que des foires aux questions. Or, il peut y avoir de légères contradictions ou des éléments que l’on ne retrouve pas dans l’ensemble de ces documents. Et des interprétations sont parfois fournies mais elles sont sans certitude. Les juristes et les praticiens ne doivent donc pas se contenter de la lecture des textes mais doivent aller un cran au-delà pour négocier avec leurs partenaires.
Le rapport au Président de la République sur l’ordonnance du 15 avril indique aux parties au contrat qu’elles sont libres d’écarter l’article 4 par des clauses expresses. On peut le conseiller aux directions juridiques. L’état d’urgence sanitaire ne doit pas mettre en sommeil tous les contrats. Au contraire, c’est un moment propice pour aller vers son partenaire, voir ce qu’il en est et essayer d’aller de l’avant. Tout le monde est dans une situation qui le dépasse : on ne peut pas raisonner en terme de délais tels qu’initialement prévus. Il y a une exigence de bonne foi particulière dans le contexte de la crise sanitaire que nous traversons. Cela devrait inciter les parties à chercher ensemble une solution. C’est l’intérêt de l’ordonnance du 15 avril.
Qu’est ce que cela implique en pratique ?
Pour les contrats conclus en ce moment, tout d’abord, les directions juridiques peuvent choisir d’écarter l’application du dispositif. Il faudra recourir à la technique contractuelle classique, c’est-à-dire aux clauses « MAC », de force majeure, etc. Pour les contrats conclus avant le 12 mars, elles peuvent aussi, via un avenant, choisir de renoncer au bénéfice de cet article. Les directions juridiques peuvent donc opter pour une autre voie que celle prévue. Mais cela doit résulter d’une clause expresse.
Cette faculté n’est prévue que pour l’article 4. Ne sont donc pas concernées les sanctions légales du contrat, comme la résolution unilatérale, l’exception d’inexécution, la réduction du prix, la mise en œuvre de la force majeure, etc. Toutes les sanctions classiques de l’inexécution contractuelle prévues par la loi ne sont pas visées par l’ordonnance.
Au regard de ces éléments, les responsables juridiques doivent définir leur méthode de travail.
Que prévoit cet article 4, tel que modifié par l’ordonnance du 15 avril ?
Trois grandes hypothèses sont prévues. D’abord celle dans laquelle la clause pénale aurait déjà pris effet avant le 12 mars 2020, soit le point de départ de la période juridiquement protégée. Prenons l’exemple d’un contrat de construction débuté le 15 février avec une prise d’effet de la clause pénale au 1er mars et une astreinte de 1 000 euros par jour. Pendant 12 jours, la clause pénale aurait dû prendre effet. L’article 4 prévoit la suspension et la reprise des effets à la fin de la période juridiquement protégée, soit le 24 juin si l’état d’urgence sanitaire n’évolue plus. Toutefois, la reprise de l’astreinte aura lieu uniquement si l’exécution de l’obligation n’a pas eu lieu entre-temps.
La deuxième hypothèse vise une clause pénale devant prendre effet au cours de l’état d’urgence sanitaire. Elle s’intéresse, par exemple, à un contrat conclu avant le 12 mars, devant être exécuté avant le 30 mars. On calcule alors le délai entre les deux, soit 18 jours, que l’on va rajouter à compter du 24 juin. Ce qui nous amène au 12 juillet. Cette hypothèse est assez crédible. Au 12 mars, personne n’imaginait encore que nous serions confinés [le confinement ayant débuté le 17 mars en France, ndlr].
Une autre hypothèse est celle d’une obligation née depuis le 12 mars, dans le cadre de contrats conclus depuis le 12 mars. C’est toutefois moins crédible. Pour la plupart des contrats conclus à partir de l’état d’urgence sanitaire, les rédacteurs de contrats auront très probablement pris des précautions et choisi d’écarter les clauses pénales quand on sait le chaos complet qu’entraîne le confinement. On peut toutefois imaginer le cas de contrats conclus depuis le 12 mars et avant l’adoption de la loi sur l’état d’urgence sanitaire. Dans ce cas, on calcule à partir de la date à laquelle l’obligation est née et de la date à laquelle elle aurait été exécutée. Par exemple, pour un contrat conclu le 1er avril et devant être exécuté le 30 avril, cela fait un délai de 30 jours à reporter à l’issue de l’état d’urgence sanitaire soit le 24 juin, ce qui amène probablement au 24 juillet.
Il y a enfin une dernière hypothèse : celle des obligations à échoir après le 24 juin. Il s’agit de contrats conclus avant mais devant être exécutés après : le 15 juillet, par exemple. A priori, il n’y a pas de difficulté. Mais le législateur a cependant considéré que, à l'exception des obligations de somme d'argent, l’exécution aura sans doute été rendue plus difficile pendant l’état d’urgence. Il y a donc un report de l’astreinte ou de la clause pénale qui aurait pu être mise en œuvre à compter du 15 juillet. On calcule alors un délai : entre la date à laquelle l’obligation est née et le 24 juin, délai que l’on reporte à partir du 15 juillet. Cela peut repousser assez longuement le dispositif dans la limite de la durée totale de la période juridiquement protégée : soit 3 mois environ à l’heure actuelle (du 12 mars au 24 juin).
Les difficultés d’exécution sont considérables aujourd’hui : qu’elles soient logistiques, relatives au transport, à l’indisponibilité d’une partie du personnel, ou à des mesures imposées à des secteurs particuliers, comme le tourisme, la restauration ou les loisirs, etc. Il est probable qu’elles demeurent après le début du déconfinement jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire. C’est à nouveau un argument pour neutraliser les effets de l’article 4. Les gestionnaires de contrats doivent négocier, au cas par cas, une modification des clauses, préciser la défaillance et ses conséquences et envisager, avec le partenaire contractuel, ce qui peut être fait ou non ainsi qu’un report des délais. Il faut instaurer un dialogue !
Il y aura nécessairement du contentieux, notamment celui mené par les liquidateurs d’entreprises ayant sombré dans l’intervalle.
Sur les délais légaux, que modifie l’ordonnance du 15 avril ?
L’ordonnance du 23 mars prévoit, en son article 2, que les délais légaux sont reportés à l’issue de l’état d’urgence sanitaire sans pouvoir dépasser le 24 août. Mais une des difficultés était de savoir si les délais de réflexion ou de rétractation qui concernent particulièrement les consommateurs - contrats d’emprunt, de droit immobilier, d’assurance ou conclus à distance, notamment - sont concernés. Depuis l’ordonnance du 15 avril, ces délais sont exclus et elle précise qu’elle a une portée interprétative ce qui lui confère un effet rétroactif. Il convient donc de considérer que depuis le début de l’état d’urgence, les délais de réflexion ou de renonciation ne sont pas concernés ce qui évite de paralyser tous les contrats en détenant. Dans le cas contraire, ils auraient été mécaniquement paralysés jusqu’au 24 juin. Les parties doivent donc se rétracter ou renoncer dans les délais normalement prévus.
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