Contrats et Covid-19 : réussir à faire valoir la clause de force majeure

Contrats et Covid-19 : réussir à faire valoir la clause de force majeure

02.12.2020

Gestion d'entreprise

La force majeure s'appliquera-t-elle aux contrats bouleversés par la Covid-19 ? Les juges, d'ordinaire peu enclins à la faire jouer, devront trancher. Mais cette fois, contrairement aux précédentes épidémies, le contexte est différent et l'optimisme est permis. Avocats et directeurs juridiques tirent les leçons des récentes jurisprudences et invitent, à l'avenir, à repenser la rédaction de ces clauses souvent trop rapidement élaborées.

C’est une évidence : dans un monde bouleversé, secoué par des phénomènes qui ont contrasté l’économie, « on doit revisiter nos obligations, faire un « mapping » de nos engagements », affirme Kami Haeri, associé chez Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan (QE), à l'occasion d'un atelier « Force majeure: a new approach of limitation of liability in international contracts » organisé par le Campus AFJE le 25 novembre dernier. Avec la crise, les projecteurs se sont tout à coup tous tournés vers la même clause, celle que l’on avait tendance à passer un peu vite « avant » : la clause de force majeure. « On la connaît tous, mais personne ne savait vraiment ce qu’elle pouvait donner en pratique », reconnaît Kami Haeri.

C'est peu surprenant, d'autant que la notion est définie dans le code civil depuis la réforme de 2016 seulement (article 1218) et reste éminemment consensuelle. « On est libre de façonner ces clauses, et libres d’y déroger aussi », rappelle Kami Haeri. Surtout, on connaît ses caractéristiques essentielles, mais dans le fond, c’est aux juridictions d’analyser le comportement contractuel au moment de la crise. Et justement, à la lumière des développements jurisprudentiels de ces dernières années, relatifs à d'autres épidémies, comment réussir à faire valoir la clause de force majeure pour la crise, mondiale, de la Covid-19 ?

Epidémies et force majeure : une application pas si évidente

Avocats et juristes ont déjà eu l'occasion de le constater : la jurisprudence a tendance à être réticente à reconnaître les épidémies comme des évènements de force majeure. Généralement, les juges retiennent ainsi que l’une des conditions pour entraîner son application était défaillante. En 2006, la Cour d’appel de Paris rejetait l’argument de la force majeure pour exiger le remboursement, par un agent de voyage, d'un séjour en Thaïlande acheté en mars 2002, prévu pour le mois d'avril 2003 et annulé par un comité d'entreprise à cause du SRAS affectant l'Asie à ce moment-là. Ppour les juges, aucun cas de transmission locale du virus n'avait été observé dans le pays et les risques sanitaires ne menaçaient pas l'exécution du contrat (CA Paris, 29 juin 2006, 04/09052).

S'agissant du chikungunya, les juges ont eu l’occasion de rejeter l’argument de la force majeure au motif que cette épidémie n'a pas un caractère imprévisible et irrésitible, puisqu’il existe des antalgiques, par exemples, pour en atténuer les effets (Basse-Terre, 17 décembre 2018, 17/00739). Plus récemment, ils ont aussi considéré que le caractère avéré de l’épidémie d’ebola, même à le considérer comme un cas de force majeure, ne suffisait pas à établir ipso/facto que la baisse ou l’absence de trésorerie invoquées par la société appelante lui serait imputable : la Cour s'est vraiment bornée à analyser le lien de causalité (CA Paris, 17 mars 2016, 15/04263).

Conseils pratiques

Ces décisions étaient néanmoins très spécifiques. Aujourd’hui, l’optimisme est permis : l’étendue et la létalité de la Covid-19, ainsi que les mesures graves de prévention prises par la plupart des Etats pour le combattre, devraient permettre de retenir plus facilement des situations de force majeure, relève Kami Haeri. Quel conseil, alors ? L’associé invite à s’éloigner de l’argument uniquement basé sur le virus. La caractérisation d’une force majeure dépendra principalement du contrat et du contexte commercial, et de l’impact réel de la pandémie sur la partie invoquant la force majeure. Ainsi, son cabinet recommande « vivement [à ses clients] de constituer une base de données précise et complète reflétant l’évolution de l’environnement économique, afin de se prémunir contre les litiges futurs ». Puisque certaines situations factuelles vont se jouer à quelques jours, il invite à faire un mapping des règles, des obligations imposées par les Etats, et de ses propres obligations. Bref, « le jour où on va en procès, il faut que tous les éléments soient sur la table », conclut-il.

Plus largement, Coralie Bouscasse, group general counsel chez Safran, souligne un point crucial : « avec la crise actuelle, on prend conscience de l’importance de la rédaction du contrat ». Par souci de rapidité, « on est trop souvent amenés à négliger certaines clauses », admet-elle. La crise invite à se reposer ces questions, pour être au plus près des risques et des opérationnels. Là où l’embargo était « facile à vendre » il y a vingt ans dans des clauses de force majeure, c’est plus difficile aujourd’hui. Il est donc primordial de réfléchir à chaque mot, que ce soit en droit anglais – où tout repose sur la rédaction et l’interprétation du contrat – ou en droit français. Pour James Clark, counsel au sein du bureau parisien de QE, ces temps de crise sont ainsi une « opportunité de revisiter le langage que nous utilisons ».  

Et pour les nouveaux contrats ?

On l’aura compris : tout va reposer sur l’interprétation des juges. Qui, de leur côté, ne devraient pas réfléchir de la même façon, selon que le contrat ait été conclu avant l’épidémie ou après. Pour les nouveaux contrats, invoquer la force majeure pour échapper à l’exécution de ses obligations en raison de la Covid risque d’être plutôt compliqué. En droit commun, il est peu probable qu’elle soit retenue : la Covid ne satisfera pas la condition d’imprévisibilité pour les nouveaux contrats. C’est, d’ailleurs, ce qui a été vu avec le chikungunya, dont l'épidémie s'est déclarée en janvier 2006 et « ne peut être retenue comme un évènement imprésivible justifiant la rupture du contrat [de travail] en août suivant », alors que l'embauche datait du mois de juin (Saint-Denis de la Réunion, 29 décembre 2009, 08/2114). Mais aussi avec la dengue, dont le caractère récurrent rend les choses prévisibles (CA Nancy, 22 novembre 2010, 09/00003). C’est simple : personne ne peut, aujourd’hui, prétendre ne pas avoir pu anticiper ou prévoir les effets de la pandémie lors de la conclusion d'un nouveau contrat.

La difficulté, pour Kami Haeri, sera peut-être de déterminer le moment à partir duquel ces effets sont devenus prévisibles : il y a la connaissance de l’évènement, et il y a l’impact sur l’entreprise. Faudra-t-il s’aligner sur la déclaration de l’OMS ? Sur la date de début des mesures de confinement ? Sur l’instauration de l’état d’urgence ? La question n’est pas évidente, pour l’associé, et devra être tranchée par la jurisprudence. Pour le moment, les tribunaux n’ont eu à connaître que très peu de cas – essentiellement du référé pour les assurances -. Mais, selon lui, le point de départ sera sans doute les mesures prises qui ont rendu impossible l’exécution de l’activité (ou d’une partie) de l’entreprise.

Olivia Fuentes

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