Flambée des carburants et inflation galopante poussent les entreprises à prévoir des coups de pouce au pouvoir d’achat. Bonus, logement, indemnités kilométriques et même "prime de vie chère", chacune a sa méthode. Des initiatives très louables qui permettent de trouver des solutions au cas par cas. Mais les salariés vont-ils s’en contenter ?
O2, une entreprise spécialisée dans les services à domicile, n’a pas attendu l’annonce de Jean Castex sur le plan de résilience et les aides au carburant pour passer à l’acte : la société mancelle a décidé, le 10 mars, de revaloriser le barème kilométriques à 43 centimes (soit une évolution d'environ 30 centimes par litre) alors que la convention collective de la branche plafonne à 22 centimes. Lidl France, qui emploie 45 000 salariés, a aussi fait un geste à hauteur de 10 % pour le remboursement des indemnités kilométriques.
La Saur, spécialisée dans la gestion de l’eau, a, elle, révisé à la hausse les budgets d’augmentation décidés cet été. Ce ne sera donc pas 1,1 % mais 4 % supplémentaires qui seront dédiés aux augmentations en ce début d'année.
Contre l’inflation, la plupart des DRH affirment se mobiliser. Si tous s’accordent à dire que ce sujet est difficile à traiter, contraintes budgétaires obligent, ils se rejoignent aussi pour expliquer que l’inaction n’est pas une réponse.
"Face cette situation, nous avons immédiatement réagi afin de préserver le pouvoir d’achat de nos salariés, prévient Béatrice Revol, DRH de O2. Certains d’entre eux nous disent qu’ils ne vont plus pouvoir venir travailler si le prix de l’essence continue à grimper, que ce ne sera plus intéressant financièrement. Déjà, on observe des arrêts maladie de complaisance".
"Ces revendications sont tout à fait compréhensibles, renchérit Xavier Savigny, DRH de Saur (12 000 salariés, 7 000 en France). Le contexte actuel est beaucoup plus difficile pour les salariés que les autres années".
"On ressent plus d'inquiétude chez les salariés, confie à son tour Séverine Blondeau, DRH d’Axon’Cable, un fabricant et concepteur de câbles et de systèmes d’inter connectique, situé à Montmirail (Marne). Les gens ne le disent pas. On ne perçoit pas tout de suite les problèmes économiques. Mais on constate une augmentation des salariés en difficulté financière".
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Cette année, les salariés ont donc de bonnes raisons de revendiquer des augmentations afin de faire face aux dépenses contraintes : compenser la hausse des prix, du carburant et de l’énergie en particulier.
Par conséquent, les DRH cherchent des arrangements pour soutenir les salariés en difficultés financières. Car celles-ci ont des répercussions bien au-delà du travail de l’individu lui-même : "l’organisation du travail et le climat social s’en trouvent eux-mêmes aussi impactés, assure Stéphane Wilmotte, DRH de Norauto. L’entreprise ne peut pas fermer les yeux. Entre 8 % à 12 % de nos salariés sont en situation de précarité économique".
Mais les tactiques diffèrent pour revaloriser le pouvoir d’achat. Chaque entreprise a sa méthode.
Chez Norauto, les salariés ont reçu une augmentation de 3 %, à laquelle s’ajoute des enveloppes régionales de 2,39 % en moyenne, dans le cadre de la décentralisation de l’activité. Chez Lidl, la revalorisation est de 3,2 %, "la plus importante jamais versée". La société O2 a, elle, investi 7 millions d’euros en avantages sociaux : revalorisation de la prime d’ancienneté (pour 50 % des intervenants à domicile), mise en place de titres-restaurant et surtout réajustement de la grille salariale ; les trois premiers niveaux s’étant retrouvés rattrapés par l'augmentation du Smic, en octobre dernier.
Toutes les négociations annuelles obligatoires ne se concluent pas à un tel niveau. BNP Paribas, qui a ouvert le bal des négociations en novembre dernier, a octroyé 1,5 % de la masse salariale aux augmentations individuelles et 0,6 % aux augmentations collective, pour les salariés percevant un salaire fixe annuel jusqu’à 80 000 euros, avec un plancher de 280 euros bruts.
Soit une hausse bien en deçà des niveaux escomptés. "Dans ce contexte inflationniste qui succède à un recours massif à l’activité partielle dans plusieurs secteurs et au gel des salaires dans certaines entreprises, les attentes sont fortes de la part des salariés. On est cependant en dessous du niveau de l’inflation, indique Louise Peugny, avocate spécialisée en droit social au sein du cabinet MGG Voltaire. On constate par ailleurs une préférence marquée des entreprises pour des augmentations individuelles et non des augmentations générales. Elles ne doivent pas non plus perdre de vue l’objectif de réduction des écarts salariaux entre les femmes et les hommes, leurs obligations s’étant encore récemment renforcées".
De fait, selon les calculs du cabinet conseil Mercer, les coups de pouce devraient se situer autour de 2,80 % d’augmentation cette année.
Face à ce contexte, la prime Pepa a repris du service. Lidl a ainsi versé 600 euros en février dernier. La Saur a, elle, octroyé 500 euros pour la première fois depuis la création de cette aide, en 2019.
Selon Bruno Rocquemont, de Mercer, 45 % des entreprises affirment avoir distribué cette prime cette année.
De même, la prime inflation fait recette. "C’est le choix du cash, immédiatement visible pour les salariés lorsqu’ils vont faire leurs courses", avance Xavier Savigny. Carrefour a décidé de doubler son montant. L’aide a donc été portée à 200 euros. Idem chez Amazon France pour l’ensemble des agents logistiques, en CDI et saisonniers, sans condition d’ancienneté, ni de revenu à l’ensemble des agents logistique. Pour Sévérine Blondeau, toutefois, d’Axon’Cable cette prime a viré au casse-tête, en raison des effets de seuil ; "certains salariés étant écartés pour quelques euros au-dessus du salaire de référence requis". "Elle a aussi créée un sentiment d’iniquité entre ceux qui travaillaient et ceux en arrêt maladie. L’entreprise n’était que le secrétariat de l’Etat. Elle ne pouvait pas agir sur les conditions de versement", insiste la DRH qui précise que l’entreprise a préféré réactiver la plateforme de co-voiturage, lancée il y a quelques années, pour faciliter la mise en contact entre salariés et mutualiser le coût de l’essence. Avec à la clef, des effets immédiats.
D’autres initiatives existent. A l’instar de cette entreprise de travaux publics de la région parisienne qui envisage de verser "une prime de vie chère", d’un montant de 100 euros mensuels, aux conducteurs de travaux parisiens. Des disparités qui ne riment pas nécessairement avec inégalités de traitement selon Louise Peugny, notamment si elles se justifient dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. C’est, par exemple, le sens des décisions de la Cour de cassation du 21 juin 2005, du 16 mars 2011 ou encore du 14 septembre 2016 et de celle du TGI de Paris du 28 octobre 2008 (n° 08-8842).
En réponse à la flambée des loyers et des prix d’achat élevés du mètre carré, le logement peut également contribuer à adoucir les fins de mois.
Axon’Cable (770 salariés à Montmirail, 970 en France) met ainsi à dispostion des employés nouvellement recrutés des logements à proximité de son site, à des prix inférieurs à ceux du marché.
Le temps du travail constitue également une réponse à la crise économique. Norauto a ainsi proposé, en 2019, une augmentation du temps de travail des employés et agents de maîtrise "volontaires". L’accord, conclu par la CFDT, CFE-CGC, FO, CFTC (à l’exception de la CGT) fixe ainsi la durée à 38 heures hebdomadaires de travail effectif et à une heure de pause (39 heures dans l’entreprise), contre 34h30 jusqu’avant. En contrepartie, la rémunération mensuelle est basée sur 151,67 heures auxquelles s’ajoutent 13 heures supplémentaires par mois majorées à 25 %. "Avec 200 euros de plus par mois, cet accord constitue un levier important pour répondre aux préoccupations des salariés sur le pouvoir d’achat", indique Stéphane Wilmotte qui précise que le coût d’une telle mesure s’élève à 8 millions d’euros par an pour l’entreprise.
S’y ajoutent aussi des mesures additionnelles, à l’instar de la majoration de la cotisation patronale sur la complémentaire santé, les titres-restaurant ou encore les chèques Cesu, selon le cabinet MGG Voltaire.
Initiatives suffisantes ? Les entreprises peuvent-elles s’en contenter ? Pour Héloise Petit, professeure d’économie au Centre d’études de l’emploi et du Travail du Cnam, ces initiatives sont louables. Mais elles restent limitées. D’une part, parce que depuis la crise financière de 2008, la modération salariale est à l’œuvre. "Il n’y a plus d’automatisme, l’inflation a pu dépasser les augmentations cette année-là". D’autre part, parce que l’individualisation des salaires a freiné les augmentations collectives au détriment des moins qualifiés ; les primes étant souvent proportionnelles au salaire de base. Surtout, selon la chercheuse, "l’inflation ne doit pas être négociée entreprise par entreprise. Cette question doit être portée par les branches professionnelles. C’est le niveau le plus adéquat".
La question est suffisamment prise au sérieux pour que, côté gouvernement, on exhorte les branches à ouvrir des négociations sur le sujet. Mais pour l’heure, hormis l’accord de la branche café-hôtel-restaurant, conclu le 16 décembre, qui prévoit une revalorisation de 16,3 % en moyenne des minimas de branches pour plus de 600 000 salariés du secteur, le bilan est maigre : dans la coiffure, les discussions ont été suspendues, en raison de la faiblesse des propositions patronales.
Les entreprises mettent également en avant le partage de la valeur ajoutée. L’épargne salariale permet, en effet, d’associer les salariés aux bénéfices de l’entreprise. Mais si, les salariés des grands groupes, en particulier du Cac 40 sont bien lotis, la réalité varie énormément selon les entreprises. Surtout, "la rémunération différée est moins perceptible, elle ne répond pas aux demandes immédiates de revalorisation de pouvoir d’achat", observe Xavier Savigny.
Enfin côté logement, "la tendance historique va plutôt dans le sens d’un désengagement des entreprises, constate Jules-Mathieu Meunier, chercheur associé au Lab’urba. Hormis quelques sociétés disposant de leviers d’intervention en propre (détention d’un patrimoine immobilier et surtout de filiales HLM), telles que la SNCF ou la Ratp, la plupart sont tributaires du fonctionnement d’Action logement (ex 1 % logement), l’institution paritaire qui gère les fonds de la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC)". Avec plus ou moins de résultats. "On cotise mais sans retombées concrètes pour les salariés", fulmine Stéphane Wilmotte.
La loi 3DS pour "décentralisation, différenciation, déconcentration et simplification", adoptée le 9 février 2022, qui vise à favoriser l'accès au logement social des travailleurs des secteurs essentiels, changera-t-elle la donne ?
En attendant les premiers effets de cette mesure, les candidats à l’élection présidentielle promettent tous des réformes de fond sur le pouvoir d’achat. Ils ont imaginé des solutions allant de l'augmentation du Smic à la diminution des charges patronales, l'encadrement des prix de l'énergie ou encore la défiscalisation des heures supplémentaires. Chacun a son outil pour répondre à la problématique principale du moment. A raison.
Selon l’enquête réalisée par Ipsos-Sopra Steria en partenariat avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) et la Fondation Jean Jaurès pour Le Monde, le 18 mars, 53 % des Français placent le pouvoir d’achat en tête de leurs préoccupations.
L’enjeu est d’importance : car sans parler de "Big quit" (la grande démission en français) qui frappe les Etats-Unis, pour Héloïse Petit, d’autres craintes ne sont pas à minorer. "En premier lieu un désengagement professionnel potentiel qui pourraient gagner toutes les strates de l’organisation et être préjudiciable". Qui ajoute : "ne pas augmenter les salaires, ce n’est pas le meilleur pari que l’on peut faire pour l’avenir de l’entreprise et sa cohésion".
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