Corruption et marchés truqués d’EDF : les réquisitions du parquet (2)

Corruption et marchés truqués d’EDF : les réquisitions du parquet (2)

16.07.2019

Gestion d'entreprise

5 ans de prison ferme pour l’ancien cadre d'EDF, exclusion des marchés publics pour 3 entreprises «corruptrices» non signataires d'une CJIP. Retour sur les peines requises par le parquet à l’encontre des sociétés et des cadres et dirigeants des entreprises mises en cause dans un vaste système de corruption pour l’obtention de marchés auprès d’EDF.

Le procureur a requis à l’encontre de l’ancien cadre d’EDF, Christian M., 5 ans de prison ferme, une amende de 100 000 , la restitution des produits du délit et l’interdiction définitive d’exercer dans la fonction publique. Pour son épouse, poursuivie pour recel, la procureure a demandé une peine de 2 ans de prison ferme mais aménageable, une amende de 100 000  et les mêmes peines complémentaires de restitution des produits du délit et d’interdiction définitive d’exercer dans la fonction publique. Pour son complice, Bertrand A., l’intermédiaire qui facturait de fausses missions de conseil et prélevait 30 % de commission sur chaque transaction, le parquet a requis 3 ans de prison dont 18 mois avec sursis, 82 000 € d’amende et 5 ans d’interdiction de gérer une entreprise. Pour un autre acheteur d’EDF, Patrick Z., dont les malversations, sans aucun rapport avec l’affaire examinée par les juges, ont été découvertes au cours des auditions, le ministère public a demandé deux ans d’emprisonnement dont 1 an avec sursis, 40 000 € d’amende et l’interdiction définitive d’exercer dans la fonction publique.

Prison avec sursis et amendes pour les prestataires externes

Les neuf personnes ayant accepté d’être payées par les sous-traitants d’EDF pour des travaux effectués chez l’acheteur (TPE et artisans : paysagiste, storiste, couvreur, etc.) étaient mises en cause pour faux et usages de faux et complicité d’abus de biens sociaux. La procureure a demandé des peines de prison inférieures à 1 an et avec sursis pour trois d’entre elles et, pour toutes, une amende équivalente à la moitié de la facture encaissée, assortie d’une peine complémentaire d’interdiction de gérer une entreprise pendant 5 ans avec sursis.

L’action publique suspendue par la CJIP

Trois des sociétés mises en cause ont négocié l’an passé une CJIP avec le parquet de Nanterre et ont déjà payé à ce titre une amende publique, ainsi que les frais liés à la mise en place d’un programme de prévention de la corruption. Le responsable de la sous-direction du contrôle de l’Agence française anticorruption (AFA), Salvator Erba, a d’ailleurs été entendu par les juges lors de l’audience du 4 juillet, au cours de laquelle le procureur, qui l’avait cité à comparaître, a rappelé que, pour ces trois sociétés, « l’action publique n’est pas éteinte mais suspendue jusqu’à la remise d’un rapport final par l’AFA au parquet ». La transaction, qui ne concerne que la responsabilité pénale de la personne morale, lui permet notamment de conserver l’accès aux marchés publics. Elle ne concerne pas les responsabilités individuelles des cadres et dirigeants des entreprises signataires, poursuivis pour corruption active et abus de biens sociaux.

L’après CJIP : les responsabilités individuelles

Pour la société Poujaud, qui a payé une amende transactionnelle de 420 000 € dans le cadre d’une CJIP, le parquet a requis 18mois d’emprisonnement ferme à l’encontre du président, 18 mois avec sursis pour le directeur général et le directeur financier, ainsi que, pour chacun d’entre eux, une amende de 29 000 € et une peine complémentaire d’interdiction de gérer de 5 ans avec sursis.

Pour SET Environnement, qui a payé plus de 800 000 € d’amende au titre de la CJIP, le procureur a demandé 3 ans de prison ferme pour le PDG – dont il a souligné la « complaisance à l’égard de l’acheteur » –, 30 mois de prison avec sursis pour les deux autres cadres de l’entreprise, 148 000 € d’amende pour chacun des trois, et 5 ans d’interdiction de gérer une entreprise ferme pour le PDG, avec sursis pour les deux autres.

En ce qui concerne la société Kaefer Wanner, qui a payé plus de 3 M€ d’amende publique au titre de la CJIP, le procureur a pointé « le montant énorme » des commissions illicites versées (un total de 600 000 € en 8 ans) et le « caractère institutionalisé de la corruption » au sein de l’entreprise. « Une société pourrie du bas jusqu’en haut », a-t-il déclaré, avant de demander 4 ans de prison dont 2 avec sursis pour le directeur général de l’époque – dont il a pointé « les aveux tardifs » –, 5 ans de prison dont 2 avec sursis pour le directeur commercial France, 4 ans de prison avec sursis pour un directeur commercial régional qui, après avoir « été tenté de prendre un billet au passage », « m’apparaît comme un repenti », a expliqué le parquetier. Des peines de prisons assorties de 150 000 € d’amende pour chacun d’entre eux et de l’interdiction de diriger une entreprise pendant 5 ans.

5 ans d’exclusion des marchés publics

Sur les six autres entreprises « corruptrices » mises en cause et non signataires d’une CJIP, trois risquent désormais une exclusion des marchés publics pendant 5 ans. Une peine complémentaire assortie de lourdes sanctions financières pour les sociétés Soprovise (750 000 € d’amende + 1,55 M€ de peine complémentaire) et Siemo (750 000 € + 960 000 €), moindre pour TSM France (375 000 €). À l’encontre des cadres et dirigeants de ces trois entreprises, le parquet a demandé des peines de prison allant de 10 mois avec sursis jusqu’à 4 ans dont 3 avec sursis, ainsi que l’interdiction de gérer une entreprise pendant 5 ans, avec sursis pour la plupart d’entre eux. Pour les trois autres sociétés, il n’a pas repuis d’exclusion des marchés publics ni d’amende à l’encontre des personnes morales, mais des peines de 2 à 3 ans de prison avec 1 à 2 ans de sursis à l’encontre de leurs dirigeants, assorties d’une amende de 100 000 et 150 000 € pour deux d’entre eux.

Enfin, l’ancien président de La Luçonnaise de montage, la société qui, après un changement de direction en 2009, a mis fin au pacte de corruption en dénonçant l’ancien acheteur d’EDF à son employeur, est poursuivi pour corruption active et abus de biens sociaux pour la période antérieure à la dénonciation. Le parquet a requis à son encontre une amende de 31 000 €.

Les juges doivent rendre leur décision mi-septembre.

Miren Lartigue

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