La Haute juridiction considère que les bénéfices d'une société d'exercice libéral distribués à sa holding entrent dans l'assiette des cotisations sociales dues par le chirurgien-dentiste qui y travaille, à certaines conditions. L'Unapl demande un correctif.
C'est une décision qui fait déjà couler beaucoup d'encre. Un arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2023 suscite une "vive inquiétude" chez les professionnels libéraux, aux premiers rangs desquels l'Unapl. Le sujet : les modalités d’assujettissement aux cotisations sociales des professionnels libéraux exerçant en société.
Dans cette affaire, un chirurgien-dentiste exerce son activité professionnelle au sein d’une société d’exercice libéral (SEL) dans laquelle il détient 1 % des parts. Il détient par ailleurs la totalité du capital d’une SPFPL (société de participations financières de profession libérale), à parts égales avec son épouse. La SEL verse des dividendes à la SPFPL, laquelle détient 99 % des parts de la SEL.
La caisse de retraite des chirurgiens-dentistes intègre le montant de ces dividendes dans l’assiette des cotisations d’assurance vieillesse dues par le professionnel de santé. Elle notifie au chirurgien un appel de cotisations supplémentaires au titre des années 2016 et 2017.
Le chirurgien-dentiste exerce un recours devant une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale car il estime que ces dividendes ne constituent pas des revenus d’activité perçus par le travailleur indépendant et sont donc exclus de l’assiette des cotisations retraite.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
La Cour de cassation, confirmant l'arrêt d'appel, rejette son recours. Les juges font référence à l'article L. 131-6, III, du code de la sécurité sociale selon lequel entre dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale dues par le travailleur indépendant non agricole la part des revenus mentionnés aux articles 108 à 115 du code général des impôts perçus par ce travailleur (...) qui est supérieure à 10 % du capital social et des primes d'émission et des sommes versées en compte courant détenus en toute propriété ou en usufruit par ces mêmes personnes". Parmi ces revenus, figurent les dividendes.
La Haute juridiction en déduit que :
- "Les bénéfices de la SEL, au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité, constituent le produit de son activité professionnelle".
- Ces bénéfices doivent donc entrer dans l'assiette des cotisations sociales dont il est redevable, y compris lorsqu'ils sont distribués à la holding (SPFPL) qui détient la quasi-totalité du capital de la SEL.
La Haute juridiction indique explicitement que même les dividendes distribués à la holding sont, dans une telle situation, soumis à cotisations sociales dans les mains du professionnel libéral. Ainsi, ils revêtent la nature de revenus d'activités non salariés au sens de l'article L. 131-6, III, du code de la sécurité sociale.
Cet assujettissement aux cotisations sociales est rendu possible à plusieurs conditions :
- le chirurgien-dentiste est le seul associé professionnel en exercice au sein de la SEL ;
- il est le seul à générer des revenus permettant de constituer les dividendes distribués par la SEL à la SPFPL ;
- le dentiste et son épouse sont les deux seuls détenteurs de parts sociales dans la holding.
Ainsi, les dividendes litigieux "correspondent à la rémunération d'un travail plutôt qu'à des revenus d'un patrimoine".
La Cour de cassation balaie les arguments du chirurgien-dentiste selon lesquels les dividendes sont versés à une société (la SPFPL) soumise à l'impôt sur les sociétés et n'ont pas été appréhendés par lui. Les juges indiquent "qu'il importe peu importe qu'au regard de la réglementation applicable, la SPFPL soit dotée d'une personnalité morale distincte et soit soumise à l'impôt sur les sociétés et non à l'impôt sur les revenus".
Selon l'Unapl, la position de la Cour de cassation est "totalement injustifiable". Car elle soumet les professionnels libéraux à cotisations "non seulement sur les revenus qu’ils tirent de la société dans laquelle ils exercent leur activité mais également sur les dividendes distribués à la holding détenant le capital de cette société". "Dans un tel contexte, le recours aux holdings de professions libérales (SPFPL) perdrait toute raison d’être et mettrait en danger les structures existantes", estime l'organisation dans un communiqué.
L'Unapl demande au gouvernement "de saisir l’occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour faire adopter un aménagement des textes propre à conjurer tout risque d’assujettissement aux cotisations sociales des dividendes perçus par les holdings de sociétés libérales".
D'autres réactions ont fleuri sur les réseaux sociaux, de la part notamment des experts-comptables. "Cette décision inédite interroge et inquiète : est-ce la fin du rachat d’activité libérale par une société holding ? Qu’en est-il des opérations actuelles alors que des emprunts sont encore à rembourser ?", se demande Lionel Canesi, président d'ECF. "Quid des dividendes servant à financer les acquisitions c’est de la folie...", lance David Sibony, expert-comptable. "Comment financer sa croissance et son développement si l’intégralité du résultat est soumise au cotisations ?", renchérit Stéphane Petit, expert-comptable. "Le sujet de l’optimisation du revenu va devenir réellement de plus en plus complexe voire inopérant...".
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