Coup d'accordéon : conséquences de la suspension de l'augmentation de capital prononcée en référé

30.01.2023

Gestion d'entreprise

La réduction à zéro du capital d'une société par actions n'est licite que si elle est décidée sous la condition suspensive d'une augmentation effective de son capital le ramenant au montant minimum légal ou statutaire. Dès lors, la suspension par le juge des référés de l'augmentation du capital prive d'effet la décision ayant réduit le capital à zéro.

L’assemblée générale extraordinaire des actionnaires d’une société par actions simplifiée (SAS) décide la réduction à zéro du capital social et son augmentation subséquente par la création d’actions nouvelles, avec maintien du droit préférentiel de souscription des actionnaires. À l’issue de cette opération, le président de la SAS devient l’actionnaire unique de la société. Estimant ne pas avoir été mis en mesure de souscrire à l’augmentation du capital, un minoritaire saisit, en référé, le président du tribunal de commerce. Ce dernier suspend la résolution de l’assemblée constatant que l’associé majoritaire a souscrit à l’intégralité de l’augmentation de capital, mais non celle relative à la réduction du capital à zéro.

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Par la suite, la SAS et son président constituent une nouvelle société. Par délibération de son actionnaire unique, la SAS décide un apport partiel d’actifs au profit de cette nouvelle société. Le minoritaire évincé de la SAS assigne alors les deux sociétés en annulation de l’apport partiel d’actifs. Les juges du fond déclarent l’action irrecevable. Selon eux, le minoritaire évincé n’avait plus la qualité d’associé au jour de l’introduction de son action, ce qui le privait de toute qualité à agir en nullité de la délibération litigieuse. Pour justifier sa solution, la cour d’appel retient que le juge des référés avait suspendu uniquement la résolution relative à la souscription de l’augmentation de capital. Celle relative à la réduction du capital était toujours effective, de sorte que le minoritaire avait perdu sa qualité d’actionnaire.

L’arrêt est cassé pour violation des articles L. 210-2 et L. 224-2 du Code de commerce. La Cour de cassation rappelle que « la réduction à zéro du capital d’une société par actions n’est licite que si elle est décidée sous la condition suspensive d’une augmentation effective de son capital amenant celui-ci à un montant au moins égal au montant minimum légal ou statutaire ». Elle reproche aux juges du fond de ne pas avoir déduit de la suspension de l’augmentation de capital « que la résolution décidant la réduction à zéro du capital de la société ne pouvait, sauf à priver cette société de tout capital, légalement produire effet, peu important que la suspension de cette résolution n’ait pas été ordonnée en référé ». Par conséquent, l’actionnaire minoritaire avait nécessairement conservé la qualité d’actionnaire de la SAS lors de l’introduction de l’instance. Son action était donc recevable.

Indivisibilité du « coup d’accordéon »

Les juges procèdent, en l’espèce, à un rappel classique : le « coup d’accordéon » repose sur deux opérations sur capital social indivisibles (Cass. com., 17 mai 1994, n° 91-21.364, Usinor). Le coup d’accordéon vise, en effet, l’opération par laquelle est décidée concomitamment une réduction de capital motivée par des pertes suivie d’une augmentation de capital par apport de ressources nouvelles. Les bienfaits de cette opération de haut de bilan sont connus. Elle permet de rendre attractif un investissement en capital en apurant les pertes préalablement à l’augmentation du capital, ce qui dispense les souscripteurs d’y contribuer indûment. Cependant, afin d’éviter que la société ne se retrouve avec un capital social inférieur au minimum légal (notamment dans les SA) ou statutaire, voire avec un capital égal à zéro, la réduction de capital n’est valable que sous la condition suspensive d’une augmentation subséquente.

De prime abord, le visa de l’article L. 224-2 du Code de commerce surprend. Cet article, applicable aux SA et dont le premier alinéa impose un capital minimum de 37 000 euros, est expressément exclu des textes applicables à la SAS (C. com., art. L. 227-1, al. 3), forme sociale dont il était question en l’espèce. Le lien opéré par les juges du droit a semble-t-il vocation à préciser qu’il n’y a pas lieu de distinguer entre les SA et les SAS pour ce qui est du principe énoncé à l’alinéa 2 de l’article L. 224-2 précité, selon lequel une réduction du capital social à un montant inférieur au minimum légal n’est possible que sous la condition suspensive de corriger cette anomalie par une augmentation de capital subséquente. S’agissant de la SAS, ce principe invite à considérer que toute réduction du capital social en-dessous du minimum légal (un euro) ou statutaire, a fortiori à zéro, ne peut être  décidée que sous la condition suspensive d’une augmentation de capital réparatrice.

La solution paraît transposable à toutes les sociétés, que le législateur leur impose, ou non, de respecter un capital social minimum. En l’état actuel des textes, toute société doit disposer d’un capital social (C. com., art. L. 210-2 et C. civ., art. 1835), ce qui exclut tout capital égal à zéro.

Suspension de l’augmentation de capital privant d’effet la réduction de capital

Ce rappel effectué, les Hauts magistrats en tirent une conséquence logique. Le coup d’accordéon étant indivisible, la suspension du second temps de l’opération (l’augmentation de capital) prive mécaniquement d’effet le premier temps de l’opération (la réduction de capital à zéro). Cette analyse évite que la société soit privée de tout capital social. Elle respecte donc les prescriptions des articles L. 210-2 et L. 224-2 du Code de commerce relatifs au capital social minimum légal ou statutaire. Cette solution appelle deux observations.

Tout d’abord, la question se pose de savoir si la solution est transposable à la suspension qui viserait, cette fois, le premier temps du coup d’accordéon, c’est-à-dire la réduction de capital à zéro. L’obstacle de la privation de tout capital social ne tient plus, l’augmentation de capital pouvant très bien se justifier sans apurement préalable du passif au moyen d’une réduction à zéro du capital. Cependant, la nature indivisible de l’opération devrait également conduire à priver d’effet  l’augmentation de capital social. La solution doit fonctionner dans les deux sens.

Ensuite, sur le plan procédural, lorsqu’un associé entend contester le coup d’accordéon, il sera conseillé d’agir, d’abord, en référé afin d’obtenir la suspension de l’intégralité de l’opération, rappelons-le indivisible, et, ensuite, au fond afin de solliciter la nullité (v. pour l’annulation d’un coup d’accordéon frauduleux : Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-18.785).

Adeline Thobie, Maître de conférences en droit privé à l’Institut d’Études Politiques de Rennes, Membre du Centre de droit des affaires de la Faculté de droit de Rennes
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