Covid-19 : «Il est impératif, dès aujourd'hui, de documenter les mesures mises en place», A. Moizan

Covid-19 : «Il est impératif, dès aujourd'hui, de documenter les mesures mises en place», A. Moizan

17.04.2020

Gestion d'entreprise

Si des mesures suffisantes de protection des salariés ne sont pas mises en oeuvre, l'entreprise et son dirigeant peuvent engager leur responsabilité pénale, alerte Antoine Moizan, associé chez Feugère Avocats. Contamination au travail, télétravail, chômage partiel, temps de travail... L'avocat attire l'attention sur les principaux points de vigilance.

Lorsque l'urgence sera passée, les enquêtes et les contrôles sur la gestion de la crise sanitaire par les entreprises seront nombreux et nécessairement engagés, estime Antoine Moizan, avocat associé chez Feugère Avocats, coresponsable de la Commission droit pénal des affaires du Barreau de Paris et président de la Commission pénale des Avocats conseils d’entreprise (ACE). 

Dans quels cas liés à la propagation du Covid-19 la responsabilité pénale du dirigeant ou celle de la société pourra être engagée ?

Le risque de contamination des salariés au Covid-19 doit impérativement être intégré au document unique d’évaluation des risques de l’entreprise. Il y a plusieurs situations qui vont se poser. L’employeur doit s’assurer que les salariés qui peuvent effectuer leur travail à distance poursuivent leurs missions en télétravail. Dans les autres cas, il doit mettre en place des mesures de prévention destinées à éviter la contamination au virus au sein de l’entreprise.

L’entreprise et son dirigeant peuvent être exposés à plusieurs risques : social mais aussi pénal. Des plaintes ont d’ores et déjà été déposées, notamment par des syndicats contre des grandes surfaces auxquelles il est reproché de ne pas avoir prévu de dispositifs de protection suffisants. Il y aura, à n’en pas douter, des plaintes contre les employeurs qui n’auront pas mis en œuvre les mesures de prévention qui s’imposent. La responsabilité pénale de l’employeur personne morale et celle de son dirigeant personne physique suivent des régimes juridiques distincts : une faute simple de la personne morale suffit, tandis qu’une faute « qualifiée » du dirigeant personne physique sera exigée.

Quelles mesures de précaution doit mettre en place l’employeur dont les salariés se rendent sur leur lieu de travail ?

L’employeur doit aménager les postes de travail pour assurer la distanciation sociale demandée par le gouvernement, voire idéalement assurer un roulement de ses salariés si leur présence simultanée n’est pas indispensable. Il doit également assurer la désinfection des postes et des parties communes, informer, par voie d’affichage par exemple, les salariés des gestes « barrières » à respecter, etc. Si ces mesures ne sont pas prises, alors que les pouvoirs publics l’imposent, l’employeur s’exposera à des poursuites.

La sanction dépendra du préjudice subi. Si des mesures particulières de prudence ou de sécurité prévues par la loi ou le règlement n’ont pas été prises mais qu’elles n’ont pas occasionné de dommage, il pourra y avoir des poursuites pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui.  Si le non-respect des mesures entraîne un préjudice (d’une ITT de quelques jours jusqu’au décès du salarié), il pourra y avoir des poursuites sur d’autres qualifications : blessures involontaires, homicide involontaire.

Ne sera-t-il pas difficile pour un salarié de prouver qu’il a été contaminé sur son lieu de travail ?

Il y aura en effet de grandes difficultés sur le terrain probatoire. Comment démontrer de façon certaine que l’employé a été contaminé sur son lieu de travail alors que les périodes d’incubation sont variables et que les sources de contamination peuvent être multiples (sorties pendant le confinement, courses, etc.) ? Il y aura un faisceau d’indices qui sera interprété par le juge en cas de poursuites. Si l’on raisonne par analogie avec la jurisprudence rendue en matière de fautes d’imprudence, le lien de causalité sera retenu en fonction de la gravité des fautes reprochées à l’employeur. Si l’employeur n’a pas respecté les règles et s’il y a eu une exposition importante sur le lieu de travail, il y a tout lieu de penser que l’on pourra retenir la causalité entre la contamination et le non-respect des règles de sécurité par l’employeur.

Il appartiendra en tout cas à l’employeur de rapporter la preuve des mesures de prévention mises en place et de leur suffisance, notamment au regard de l’évaluation des risques qu’il aura faite. C’est pourquoi il est impératif, dès aujourd’hui, pour les employeurs de documenter les mesures mises en place : il ne s’agit pas seulement de faire, il faut être en mesure de prouver qu’on a fait.

Qu’adviendra-t-il des entreprises qui ont contourné les règles du chômage partiel ou celles relatives au fonds de solidarité ?

Le ministère du travail a mis en garde les entreprises sur ce sujet : ce type de comportement peut être pénalement sanctionné. Il y aura, après le confinement, des contrôles qui seront engagés et des poursuites contre les entreprises qui ont contourné les règles. Par exemple, en demandant à un salarié de continuer à travailler en télétravail alors qu’il a été placé en chômage partiel à 100 %. Il y a un double risque : s’exposer à des poursuites pour fausse déclaration, mais aussi pour travail dissimulé. Les sanctions sont très lourdes, avec des peines complémentaires importantes, notamment l’interdiction d’exercer. Il y aura aussi des conséquences en matière sociale : les salariés qui ont continué de travailler alors qu’ils étaient en chômage partiel pourront demander un rappel de salaires, outre une indemnisation pour travail dissimilé. Là encore, l’impératif est de documenter les régimes de travail pour lesquels l’entreprise a optés.

Concernant le fonds de solidarité, l’entreprise qui demande indûment à en bénéficier s’expose aussi à des risques de poursuites. Les contrôles sont pour l’instant très rares, l’heure est à la gestion de la crise. Mais des vérifications a posteriori seront nécessairement engagées.

Que risque l’entreprise si l’un de ses salariés travaille un jour de chômage partiel de son plein gré ?

L’employeur doit informer le salarié du régime dans lequel son contrat de travail va se poursuivre pendant la période de confinement. C’est à lui de lui expliquer s’il peut continuer de travailler ou non, s’il sera en télétravail, etc. C’est une preuve qui devra être rapportée par l’employeur.

Il devra pouvoir démontrer le régime qu’il a choisi, le fait qu’il y était éligible et qu’il a informé le salarié de ce régime. Si le salarié continue de travailler à l’insu de l’employeur, il est difficile d’imaginer que l’employeur pourra être tenu responsable. En revanche, si l’employeur le constate, il ne peut pas laisser faire, il devra rappeler au salarié le régime auquel il est soumis.

Comment l’obligation de sécurité doit-elle être respectée par l’employeur lorsque ses salariés sont en télétravail ?

L’obligation de sécurité et de santé s’impose toujours à l’employeur, même lorsque le salarié est en télétravail. Ce sont alors de nouvelles obligations et de nouveaux risques qu’il faut identifier : la conformité du poste de travail, les risques psychosociaux comme l’isolement du salarié et ses potentielles conséquences sur sa santé. Bien entendu, la responsabilité pénale de l’employeur n’est pas absolue et systématique. L’employeur ne pourra pas être jugé fautif pour un accident domestique qui n’a aucun lien avec le travail du salarié par exemple.

J’insiste aussi sur la question du contrôle du temps de travail. Attention aux heures supplémentaires, lorsque les tâches confiées au salarié, les sollicitations de l’employeur par mail ou visioconférence excèdent son temps de travail.

Quelles mesures de prévention recommandez-vous aux entreprises au sortir de la crise ?

La reprise du travail dans des conditions normales ne se fera pas tout de suite. Il y aura de nouvelles mesures de prévention à respecter, et un retour sans doute progressif des salariés sur le lieu de travail, avec des dispositifs comme le port du masque qui seront peut-être rendus obligatoires. A ce stade, il faut se tenir informé au quotidien des évolutions législatives et réglementaires, et documenter les mesures mises en place. De manière générale, le flou juridique actuel sur les conséquences de la crise sanitaire, notamment sur les contrats en cours, va inciter les professionnels du droit à mieux prévoir le cas de pandémie, pour en aménager de façon précise les conséquences.

propos recueillis par Leslie Brassac

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