Créance non déclarée : ce que le juge peut faire et ne doit pas faire

09.11.2021

Gestion d'entreprise

En cas de créance non déclarée, les juges ne peuvent prononcer la compensation de celle-ci avec une créance du débiteur sur le fondement de la connexité et doivent se borner à constater que les conditions de la reprise d'instance ne sont pas réunies.

Et encore le défaut de déclaration de créance… dont le présent arrêt illustre deux conséquences conduisant à mettre l’accent sur ce qui constitue sans doute l’acte essentiel de tout créancier d’un débiteur défaillant. Les juges du fond s’y perdent en effet parfois et cet arrêt remet les pendules à l’heure.

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Les faits de l’espèce sont simples même si le contentieux au fond a donné lieu à de nombreuses décisions de justice. Des époux souhaitent faire rénover trois appartements. Ils demandent à un architecte d’assurer la maîtrise d’œuvre. Une société réalise les travaux à partir de devis et ordres de service des 28 novembre et 7 et 14 décembre 2000. Les époux prennent possession des lieux le 18 février 2002. Il est à noter qu’il n’est procédé ni à la réception de l’ouvrage, ni au paiement du solde du prix des travaux. La suite est malheureusement prévisible : les époux se plaignent de malfaçons et de non-finitions et assignent la société en indemnisation de leur préjudice. Celle-ci réplique en sollicitant que ces derniers lui paient le solde du prix des travaux. Elle obtient gain de cause en appel mais la décision est cassée. Le 8 juillet 2015, la société est mise en redressement judiciaire et bénéficie d’un plan éponyme. Un commissaire à l’exécution du plan est désigné et les époux l’appellent en intervention forcée.

Un premier aspect de la décision concerne les pouvoirs des juges confrontés à une demande de reprise d’instance. La cour de renvoi déclare les demandes en paiement des époux contre la société irrecevables, comme leurs demandes de fixation de créance au passif de la procédure collective de cette société. C’était aller trop loin : sa décision est censurée au visa de l’article L. 622-22, alinéa 1er du code de commerce selon lequel « (…) les instances en cours sont interrompues jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance ». On rappellera par ailleurs que dans un avis du 8 juin 2009, la Cour de cassation avait estimé qu’en l’absence de déclaration de créance, les conditions de la reprise d’instance ne sont pas réunies, même si la créance du créancier forclos n’est pas éteinte si bien qu’au cas qui lui était soumis, elle avait conclu en énonçant que l’instance demeure interrompue jusqu’à la clôture de la liquidation judiciaire (Cass. avis, 8 juin 2009, n° 0900002). Les juges d’appel ont effectivement pu estimer que les conditions de la reprise devant eux de l’instance en cours en vue de la constatation de la créance des maîtres d’ouvrage et de la fixation de son montant n’étaient pas réunies, faute de déclaration de créance ; ils devaient se borner à constater l’interruption de l’instance l’empêchant de statuer mais ne pouvaient déclarer les demandes irrecevables. La censure, s’expliquant par un dépassement de pouvoir des juges d’appel, mérite approbation.

Le second aspect de la décision est dès lors paradoxal. La cour d’appel a estimé les différents préjudices des époux à une certaine somme (près de 120 000 €, tous préjudices confondus)… qu’elle compense avec ce que ces derniers devaient à la société. La censure s’impose évidemment, au visa de l’article L. 622-7 du code de commerce. La Cour de cassation rappelle ainsi que « lorsqu’un contractant défaillant a été mis en procédure collective, la créance née, avant le jugement d’ouverture, de l’exécution défectueuse ou tardive de prestations convenues ne peut se compenser avec le prix des prestations dû par son cocontractant qu’à la condition que ce dernier ait déclaré cette créance de dommages-intérêts au passif de la procédure collective ». La solution est classique et rappelée avec constance (Cass. com., 19 juin 2012, n° 10-21.641). Or, on sait que tel n’est pas le cas en l’espèce et faute de déclaration de créance des époux : la compensation des dettes pour connexité est donc impossible. Là encore, la censure s’impose incontestablement.

Thierry Favario, Maître de conférences HDR, Université Jean Moulin Lyon 3
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