Crise énergétique : les différentes stratégies des entreprises pour faire baisser la facture d'électricité

Crise énergétique : les différentes stratégies des entreprises pour faire baisser la facture d'électricité

07.12.2022

Gestion du personnel

De l’achat de doudounes au déménagement, en passant par le télétravail, la semaine de quatre jours et demi, le travail de nuit et l’activité partielle, les entreprises cherchent les petits et grands moyens pour pister, dans l’urgence, chaque source d’économie d’énergie. Les DRH sont de plus en plus sollicités pour faire baisser les factures d’électricité. Et éviter la panne de courant.

Un coup de massue. Lorsque Adrien Sfecci, directeur de la Maison Orsteel (25 salariés), spécialisée dans l’éclairage haut de gamme et implantée à Contes, près de Nice, a reçu sa facture d’électricité en octobre, l’angoisse est palpable : les prix ont bondi de 150 % par rapport à l’an dernier. Affolé par cette hausse, il a décidé de réduire drastiquement ses consommations. Désormais, l’atelier de fabrication "véritable passoire thermique" n’est chauffé que deux à trois heures par jour (de 8h à 10h et de 16h à 17h). Dans les bureaux, le thermomètre affiche 19 degrés, contre 22-23 degrés l’an passé.

En contrepartie, le dirigeant a décidé d’équiper les employés, occupant des postes statiques, "de polaires et de vestes" et de fournir "des sous-pulls et des pantalons chauds" aux salariés de l’atelier. Une mesure simple et économique qui permettra de passer l’hiver. Mais aussi de "répercuter ces économies sur les primes versées aux salariés", indique le dirigeant.

Déménagement d’entreprise

Mais Adrien Sfecci sait que ces mesures ne seront pas suffisantes pour inverser la tendance. Plutôt que de faire des investissements sur ce site construit dans les années 70, il a décidé d’avancer d’un an le déménagement de l’entreprise. C’est donc fin 2023 et non fin 2024, que les salariés s’installeront dans un "bâtiment moins énergivore". Il ne reste plus qu’à lancer les travaux avant l’installation.

Comme la Maison Orsteel, les entreprises traquent les sources d’économie possibles. Car avec l’explosion des factures d’énergie la transition écologique devient une nécessité plutôt qu’un engouement. "La sobriété énergétique est un sujet majeur pour la fin de l’année 2022", admet Audrey Richard, la présidente de l’ANDRH. D’autant que les entreprises risquent des coupures d'électricité en cas d'hiver froid.

Réguler les températures

L’une des premières mesures a été de réguler les températures. Chez Bioseptyl, une entreprise qui fabrique des brosses à dents (36 salariés), créée voilà 177 ans (Oise), la température est de 17 degrés dans les ateliers et bureaux "pour assurer une égalité de traitement de tous les salariés", indique Olivier Remoissonnet, le dirigeant. Chez Schneider Electric, elle oscille entre 16 degrés dans les centres logistiques et 19 degrés dans les bureaux où les salariés sont plus immobiles. "Une mesure incontournable et non négociable", insiste Dominique Laurent, le DRH France de l’entreprise, à la manœuvre sur ce dossier.

Le DRH n’a pas attendu l’annonce du plan de sobriété national, le 6 octobre, visant à réduire de 10 % la consommation en deux ans par rapport à 2019, pour passer à l’acte. Le plan de sobriété énergétique communiqué, le 10 octobre aux salariés, comporte une gradation des mesures en fonction des pics de consommation (vert, orange, rouge). Avec, en cas d’alerte maximale, des mesures draconiennes : il est ainsi prévu d’arrêter le chauffage quelques heures dans la journée, de couper les bornes de recharge pour les voitures électriques. Au restaurant d’entreprise, ni frites, ni grillades, ces jours-là ; les appareils de rôtisserie et la friteuses étant plus énergivores. Côté informatique, le plan prévoit le débranchement des chargeurs et la réduction du nombre d’écrans gde communication.

45 ambassadeurs ont également été nommés sur chaque site du groupe. Avec, à la clef, une triple mission : "être l’interlocuteur privilégié des salariés pour expliquer le plan, être garant de sa bonne exécution, collecter les bonnes pratiques et les partager".

Mais d'autres entreprises vont un cran plus loin. "Dans les ateliers, la nuit, il commence à faire froid, indique ce salarié qui préfère garder l'anonymat. La température est à 9 degrés". Certaines entreprises ont même proposé de descendre encore plus bas moyennant un supplément financier... équivalent à "moins de 10 euros par jour", témoigne cet autre salarié. Une proposition refusée à l'unanimité par les ouvriers.

Sensibilisation aux éco-gestes

L’accent est également mis sur la sensibilisation aux éco-gestes. La Sécurité sociale qui emploie 145 000 salariés, répartis dans 300 organismes de sécurité sociale dont les Caf, les Carsat, les CPAM, ou les Urssaf, doit chauffer 4, 5 millions de mètres carrés. L’institution, via sa fédération l’Ucanss, vient de lancer une campagne ad hoc "au ton un peu décalé", intitulée "petits gestes, grands effets" sur la sobriété énergétique et numérique. L’Ucanss réactualise également un Mooc d’une heure (deux sessions de 30 minutes) pour l’ensemble du personnel. "C’est important la sensibilisation, il faut faire prendre conscience de la crise énergétique, ne pas négliger les étapes de sensibilisation, de pédagogie", assure Sébastien Barré, directeur délégué de l’Ucanss. 

Au sein de la maison Orsteel, la consommation d’électricité sera affichée tous les mois à la machine à café. De son côté Schneider Electric a mis en place une action participative, avec des groupes de travail pour réfléchir aux actions qui pourraient être demandées aux salariés via une boîte à idées.

Investissement dans le photovolataïque

Mais quand le b.a-ba ne suffit pas, d’autres mesures plus drastiques sont envisagées. Les entreprises étudient d’autres pistes d’économie d’énergie. Schneider prévoit, par exemple, un plan d’investissement de 6 millions d’euros afin d’équiper tous ses sites de panneaux photovoltaïques d’ici à 2024. Idem chez Bioseptyl qui doit chauffer 4 000 m2 d’ateliers et de bureaux.

 

Une compétences nouvelle pour les DRH

Si les DRH se sont, au cours de la pandémie, aventurés au-delà de leur champ habituel de compétences, en préparant les protocoles sanitaires, cette année, ils doivent s’emparer d'un nouveau dossier : la sobriété  énergétique.

Tous n’ont pas pris la mesure de l’enjeu. 52 % des DRH sondés par l’ANDRH, en octobre, réfléchissaient à des plans d’action portant sur des économies d’énergie, la réduction de l’impact carbone ou encore sur les mobilités douces.

"La communauté RH doit monter en compétences sur ces sujets de transition environnementale", insiste Audrey Richard, la présidente de l’ANDRH qui rappelle que l’association développe des programmes de développement des compétences sur le plan national comme au niveau local (notamment programme de formation d'une semaine, webinar et memo).

D’autres formations existent à l’image du cours (complété par un quiz) de l’Ecole du climat, notamment le cursus "Préparer la fonction RH à la transition énergétique".

 
Organisation du travail

Surtout, les entreprises comptent sur une réorganisation du travail pour éviter des additions trop salées.

Certains organismes de sécurité sociale ont mis en place le flex-office "pour garder le strict minimum de mètres carrés nécessaires", déclare Sébastien Barré, son directeur délégué qui constate une moyenne de sept bureaux pour 10 personnes là où ce type d'organisation est mis en oeuvre. Au passage la branche professionnelle Sécurité sociale a renouvelé son accord de télétravail permettant d’aller jusqu’à trois jours de travail à distance, comme le préconise le plan de sobriété du gouvernement dévoilé en octobre. Avec à la clef, une réévaluation des indemnités de télétravail chaque année, en fonction de l’indice Insee logement, eau, gaz combustible. Une mesure plutôt rare. L’ANDRH n’observe pas de renégociation des indemnités de télétravail en raison de la crise énergétique.

La semaine de quatre jours

Pour faire baisser la facture d’électricité, d’autres entreprises privilégient le travail sur quatre jours ou quatre jours et demi. C’est la décision prise par Bioseptyl qui a revu son organisation du travail pour fermer le vendredi après-midi. Les équipes, organisées en deux huit, travaillent désormais une heure de plus chaque matinée pour effectuer les 35 heures hebdomadaires. "L’adaptation des horaires permet ainsi d’économiser 10 % de notre facture", constate Olivier Olivier Remoissonnet, le dirigeant.

Chez Colliers, une société de conseil en immobilier d'entreprise, le télétravail est privilégié le vendredi. Les bureaux sont fermés ce jour-là durant la période hivernale, avec une possibilité de recourir au co-working. Une initiative prise aussi par Air France qui a annoncé en septembre la fermeture de son siège social et de plusieurs sites le vendredi.

Vigilance sur le télétravail

Mais le télétravail généralisé le vendredi suscite des inquiétudes, côté RH. "Un employeur ne peut pas obliger son salarié à accepter le télétravail", assure Audrey Richard. D’ailleurs, les DRH ne sont pas tous adeptes du travail à distance. "Les multiples confinements ont déjà mis à mal les collectifs de travail. Attention, il sera ensuite très difficile de faire revenir les salariés  en présentiel si le télétravail est étendu".

Un avis également partagé par Dominique Laurent qui redoute une "fracture des collectifs de travail, notamment entre les salariés en télétravail et ceux qui vont continuer leurs activités en présentiel". "La cohésion sociale est primordiale".

Travail de nuit

Certains chefs d’entreprise optent pour des mesures plus sévères encore. Et proposent le retour du travail de nuit pour bénéficier de tarifs plus attractifs. C’est le cas d'usines très consommatrices d’énergie comme Setforge, en Lorraine (groupe Farinia), spécialisée dans la fabrication de pièces forgées. L’entreprise a revu son organisation du travail à l’automne, fonctionnant jusqu’ici en trois équipes de huit heures. Désormais, la production se fait essentiellement la nuit (de 21h/ 22 h à 5h/6h) et le week-end. En contrepartie, la quarantaine de salariés concernés (sur 70 personnes) perçoit une prime de panier de nuit ainsi qu’une majoration de 15 % due au travail nocturne.

Activité partielle

Reste que la "chasse au gaspi" est parfois insuffisante face à l’envolée des coûts énergétiques. C’est le constat dressé par Arc France et Duralex qui ont dû recourir à l’activité partielle. Les deux directions ont décidé de diminuer leur production.

Le numéro un mondial des arts de la table, Arc France (4 800 salariés), à Arques (Pas-de-Calais ) a ainsi réactivé l’accord d’activité partielle de longue durée (APLD), conclu en 2019, pour faire face à un outil de production très consommateur d’énergie. En octobre et novembre, 2 000 salariés ont été placés en activité partielle de un à huit jours par mois pour diminuer la consommation d’énergie.

L’an prochain, les prévisions sont en moyenne de deux jours par semaine d'APLD sur le premier trimestre. Six fours sur neuf, fonctionnant au gaz et à l'électricité, seront à l'arrêt. Plus de 4 000 personnes seront touchées sur tous les secteurs de l'usine (production, logistique, fonctions supports). "L’APLD doit permettre de passer la crise énergétique, assure Cécile Decloy, la DRH du groupe (pour la France et Europe du sud). Mais d'ores et déjà nous travaillons sur le projet d'arrêt d'arrêt définitif d'un de nos fours en janvier 2023". 320 salariés devront être repositionnés.

Le groupe Cofigeo (William Saurin, Garbit et Zapetti…) se prépare également à stopper ses lignes de production. Il vient d’annoncer l’arrêt début 2023 d’environ 80 % de sa production sans préciser la durée de cette suspension. 800 salariés sur 1 200 se verront appliquer un accord d’activité partielle de longue durée (APLD). "Cette décision a pour objectif de faire face à la hausse spectaculaire de ses coûts d'énergie (gaz et électricité nécessaires à la cuisson et à la stérilisation des plats et recettes cuisinés), qui seront multipliés par 10 dgès le début de l'année", s'est justifié le groupe dans un communiqué.

Comme chez Arc France, les salariés percevront durant cette période 70 % de leur salaire brut (84 % du net). 

D’autres entreprises pourraient-elles suivre ? "C’est un sujet d’inquiétude majeur car il existe un risque systémique pour les entreprises qui pourraient ne pas réussir à payer leurs factures", alerte Eric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales de la CPME.

Un avis partagé par Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH : "l’explosion des factures d’énergie conduit certaines PME à produire à perte. Cette situation se répercutera sur les rémunérations et le volume d’emplois".

 

Des partenaires sociaux vigilants

Le sujet était au coeur des discussions des partenaires sociaux qui ont ouvert un cycle de discussions dans le cadre de l’agenda social à l’autonome. Ils viennent de finaliser un document commun qui esquisse des pistes d’action pour permettre aux entreprises de contribuer au plan de sobriété énergétique. Un texte ni "normatif", ni "prescriptif" destiné à "donner des clefs de compréhension aux entreprises", explique Eric Chevée, de la CPME. Les sept des huit organisations patronales et syndicales représentatives signataires (sauf le CGT) mettent toutefois en garde contre les conséquences économiques et sociales de la crise énergétique, en enjoignant les entreprises qui recourent à l’activité partielle à prendre en charge "100 % du salaire des salariés" pour qu’ils ne subissent pas "à la fois une diminution de leur pouvoir d’achat provoquée par l’augmentation des coûts d’énergie, et également une baisse de leur revenu en cas d’activité partielle".

Ils se montrent également prudents sur le télétravail qui présente le "double inconvénient d’entraîner un transfert des dépenses d’énergie vers les salariés, et, lorsqu’il est généralisé, de présenter un risque de fragilisation des collectifs de travail". Aussi, les signataires renvoient aux entreprises le soin de définir les modalités de recours au télétravail "adaptées à leur situation".

 

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Anne Bariet
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