Plans de sauvegarde de l'emploi plus concentrés, dispositifs de partage de la valeur peu efficients, incertitude sur les seniors … Antoine Rémond et Jade Castaner, respectivement responsable du Pôle Etudes & Prospective et chargée d'études économiques au Centre Etudes & Data du Groupe Alpha analysent à travers leur dernière note de conjoncture les grandes tendances du marché du travail.
Votre dernière note de conjoncture met en avant une croissance économique fragile et un ralentissement de l'emploi. L'année 2025 annonce-t-elle le retour des plans sociaux ?
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

Antoine Rémond : C’est déjà le cas car après avoir atteint en 2022 son plus bas niveau, le nombre de plans de sauvegarde pour l'emploi est reparti à la hausse en 2023 (400 PSE validés ou homologués par l’administration) et 2024 (564 PSE). Ce chiffre est le plus élevé depuis 2017, excepté en 2020 et 2021 en raison de la crise liée au Covid, mais il reste inférieur à celui des années 2014-2016, qui affichaient plus de 700 PSE par an. Depuis la loi de sécurisation de l'emploi de 2013, la diversification des outils juridiques à disposition des entreprises a, en effet, considérablement modifié le paysage des restructurations : on assiste à un recul des PSE au profit de procédures négociées à l'instar des plans de départs volontaires, des ruptures conventionnelles individuelles et collectives, même si ces dernières sont plus marginales (entre dix et trente par trimestre).
En revanche, et c'est ce qui est nouveau, si le nombre de PSE reste contenu, leur ampleur s'accroît significativement : on observe une nette augmentation du nombre de salariés licenciés lors de ces PSE, avec près de 100 personnes en moyenne. Si l’on met de côté l’année 2021, en raison du contexte particulier lié à la pandémie de Covid - ce nombre avait alors atteint 103 - c’est un record.
Les seniors constituent-ils toujours la variable d'ajustement de ces PSE ?

Antoine Rémond : On ne peut que le déplorer. Deux ans après la réforme des retraites, alors que l'âge d'ouverture des droits a été relevé de neuf mois, les grandes orientations sur l'emploi des seniors n'ont toujours pas été précisées, laissant les entreprises dans une incertitude persistante. La méthode pose question. Il aurait été plus judicieux de discuter des questions d'emploi des seniors avant la réforme des retraites, quitte à faire celle-ci quelques mois plus tard. Il n’y a pas aujourd’hui de politique publique visant à favoriser l’emploi des seniors. Il faudra donc attendre que l'accord interprofessionnel du 14 novembre 2024 soit transposé dans un futur projet de loi, dont l'examen débutera au Parlement le 5 juin, pour que le cadre évolue.
Qu'attendez-vous de ce texte ? Et plus particulièrement du CDI seniors ?

Antoine Rémond : Le CDI senior apparaît peu différent du CDD seniors, instauré par l'ANI du 13 octobre 2005. D'une durée initiale de 18 mois, renouvelable une fois, ce contrat, ouvert aux demandeurs d'emploi âgés de plus de 57 ans (soit trois ans avant l’âge légal d’alors), est resté très confidentiel. Le CDI seniors présente pourtant les mêmes caractéristiques : il est accessible, dès 60 ans (57 ans avec accord de branche), soit trois ans avant l'âge légal de départ à la retraite en vigueur (quatre ans avant une fois son relèvement achevé). Il y a très peu de différences. Du point de vue de sa conception même, rien ne permet donc d’anticiper un plus grand succès. Le contexte peut toutefois jouer. Un engagement plus fort des entreprises en faveur de l’emploi des seniors pourrait alors engendrer un recours plus important à ce type de contrat.
Sur les salaires, vous notez une augmentation des salaires réels. Toutefois vous observez que cette hausse ne compense pas les pertes cumulées de pouvoir d'achat. Pourquoi ?

Jade Castaner : La décrue de l'inflation ne signifie pas que les prix baissent. Après une période historique d'inflation de 2021-2022, la croissance des salaires a légèrement dépassé celle des prix, depuis 2024, ce qui ramène le pouvoir d'achat des salariés en territoire positif. Mais ce rattrapage reste insuffisant pour compenser les pertes passées et relancer la consommation.
De plus, la croissance reste fragile (avec une prévision de 0,7 % en 2025). Elle est freinée par le ralentissement des investissements et par la rigueur budgétaire, ce qui ne plaide pas pour rééquilibrer le partage de la valeur ajoutée en faveur des salariés. Ainsi, même si l'inflation baisse, les marges de manœuvre des entreprises restent limitées pour augmenter les salaires.
La loi sur le partage de la valeur du 29 novembre 2023 portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise, n'a pas permis de soutenir le pouvoir d'achat des salariés ? Que constatez-vous ?

Antoine Rémond : Ce texte a joué à la marge. D'autant qu'en 2024, le gouvernement, qui avait jusqu'ici cherché avec la prime de partage de la valeur (PPV) à favoriser le pouvoir d'achat immédiat et la consommation, a décidé d'aligner son régime fiscal et social sur celui de l'intéressement/participation, sauf dans les entreprises de moins de 50 salariés. Il y a donc une forme de redondance entre ces dispositifs. Pourquoi, dans ce cas, recourir à une telle prime quand les entreprises peuvent verser des suppléments d'intéressement/participation déconnectés des formules de calcul des accords ?
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 porte d'ailleurs un nouveau coup à cette prime, qui pourrait s’avérer fatal avec son intégration dans l'assiette de calcul de la réduction générale des cotisations sociales. Cette mesure aura un coût significatif pour les entreprises car nombreuses sont celles qui n’ont pas eu connaissance de ce changement, étant donné les conditions chaotiques de l’adoption du budget et la faible publicité faite à cette mesure. Il eût été plus opportun - en tous cas moins douloureux pour les entreprises - de supprimer directement la PPV en l'annonçant suffisamment en amont pour qu'elles aient le temps d'anticiper cette extinction et de modifier leurs pratiques de rémunération en conséquence. Cela aurait été l'occasion d'en profiter pour valoriser les suppléments d'intéressement et de participation.
Jade Castaner : Notre étude sur les rémunérations de février dernier confirme cette décroissance : 22 % des entreprises de l'échantillon des 630 accords ont intégré cette PPV, contre 30 % lors des NAO 2024. De plus, les montants sont plus faibles : 660 euros en 2025, contre 862 euros en 2024. Cette tendance est similaire parmi les accords analysés début 2025.
Mais quid dans ce cas des PME ne disposant pas de tels accords ?

Jade Castaner : Il est important, en revanche, de pérenniser la PPV dans les entreprises de moins de 50 salariés. Deux raisons à cela : tout d'abord, la part des entreprises de moins de 50 salariés couvertes par un accord d'intéressement ou de participation stagne à un niveau inférieur à celui du début des années 2000 malgré plusieurs mesures de simplification pour y favoriser le développement de ces dispositifs. Ensuite, les petites entreprises sont celles qui négocient le moins sur les NAO, ne serait-ce que parce que les organisations syndicales y sont moins présentes. Or, les hausses de salaires sont plus fortes dans les entreprises ayant conclu des accords.
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