De nouveaux aménagements concernant le fonctionnement des juridictions prud’homales en période d’état d’urgence sanitaire

De nouveaux aménagements concernant le fonctionnement des juridictions prud’homales en période d’état d’urgence sanitaire

25.11.2020

Gestion du personnel

Une ordonnance et un décret du 18 novembre 2020 aménagent de nouveau, dans le cadre du deuxième confinement, les procédures devant les juridictions civiles. Anne Leleu-Eté, avocate associée au sein du cabinet Axel Avocats analyse la portée de ces textes sur le contentieux prud'homal.

Le 18 novembre 2020, une ordonnance et un décret sont venus aménager le fonctionnement des juridictions prud’homales du fait de la réactivation de l’état d’urgence sanitaire et de la décision, le 29 octobre 2020, d’imposer un nouveau confinement (loi du 14 novembre 2020 et décret du 29 octobre 2020).

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Pour cette nouvelle période, le paradigme est revu : il n’est plus question de "fermer les juridictions" comme cela avait été le cas dans le cadre du premier confinement de mars 2020, mais de faire en sorte d’en assurer le fonctionnement normal dans un contexte de crise sanitaire. A l’arrêt pendant plusieurs mois, l’activité juridictionnelle – et, par extension, le justiciable – en a trop souffert : la fermeture des conseils de prud’hommes a provoqué l’inflation du nombre d’affaires en cours et une augmentation significative des délais de traitement déjà longs. Les juridictions peinent encore, en novembre 2020, à retrouver un rythme de fonctionnement normal.

C’est d’ailleurs en ce sens que les déplacements en vue de répondre à une convocation judiciaire ou pour se rendre chez un professionnel du droit ont été expressément autorisés dès le 29 octobre, de même que la réception du public au sein des juridictions.

En substance, nous constatons peu de nouveautés avec ces textes. A l’exception des délais qui, cette fois, ne bénéficient pas d’aménagements particuliers, le gouvernement a majoritairement repris les dispositions qui étaient applicables dans le cadre du premier confinement en application de l’ordonnance du 25 mars 2020 (modifiée par une ordonnance du 20 mai 2020). 

Il en est ainsi de certaines mesures de "bon sens", destinées à faciliter le fonctionnement des juridictions et à adapter la procédure civile.

Parmi ces mesures, l’on retrouve notamment :

  • la possibilité pour les juridictions de communiquer avec le justiciable ou son avocat par voie électronique ou par lettre simple, notamment pour informer de la suppression d’une audience et/ou d’une date de renvoi ;
  • l’autorisation, en appel, pour le juge de la mise en état ou le magistrat chargé du rapport, de tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries ;
  • la simplification des modalités d’échanges des écritures et des pièces, dans le respect du principe du contradictoire ;
  • en matière prud’homale, l’autorisation de réception et de transmission, par voie électronique, de certains actes et des requêtes notamment.

Le transfert du contentieux d’un conseil de prud’hommes dans l’incapacité de fonctionner à un autre conseil du même ressort de cour d’appel (par exemple, lorsqu’un cluster est identifié) est de nouveau autorisé. Afin de permettre une application effective de cette mesure, il sera nécessaire, le cas échéant, de s’assurer que la juridiction accueillant le contentieux n’est pas déjà surchargée. En pratique toutefois, il semble que cette mesure n’ait pas encore reçu d’application concrète dans le cadre des précédentes dispositions.

L’ensemble de ces mesures, déjà prévues lors du premier confinement ne posent pas de difficulté particulière, même s’il s’agit de mettre temporairement en place un "mode de justice dégradé", comme le soulignait le rapport d’information au Sénat relatif aux 10 premiers jours d’état d’urgence sanitaire du 8 juillet 2020.

D’autres aménagements appellent en revanche des commentaires plus développés en ce qu’ils sont susceptibles de créer des précédents dont nous ne mesurons pas encore les effets à long terme.

En son article 3, l’ordonnance du 18 novembre 2020 prévoit que le juge ou le président de la formation de jugement peut décider que les débats se dérouleront en publicité restreinte, voire en chambre du conseil. Autrement dit, l’audience peut se dérouler sans être ouverte au public.

En pratique, il doit être noté que certains conseils de prud’hommes avaient déjà pris l’initiative, avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, d’interdire l’accès du public aux audiences, y compris aux parties elles-mêmes dès lors qu’elles étaient assistées d’un avocat. A cet égard, même si la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel permet au législateur d’apporter au principe de publicité des audiences devant les juridictions civiles des limitations justifiées par l’intérêt général, il reste qu’il ne doit pas en résulter des atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi par de telles limitations. De telles pratiques soulèvent tout de même des interrogations.

Ensuite, l’ordonnance, en son article 4, prévoit que le président d’une juridiction peut statuer à juge unique en première instance et en appel dans toutes les affaires qui lui sont soumises. Cette mesure ayant pour effet de remettre en cause le principe de collégialité a été considérée, dans le rapport d’information au Sénat précité, comme "temporairement acceptable mais seulement en cas de tension avérée dans l’effectif de magistrats, de greffiers, et d’agents disponibles dans la juridiction du fait de la crise sanitaire". Concrètement, concernant les contentieux sociaux, cette disposition ne peut être applicable qu’en appel.

Une déclinaison de cette mesure est prévue spécifiquement pour le conseil de prud’hommes. En effet, en tant que juridiction paritaire, le conseil de prud’hommes ne peut pas statuer à juge unique. Pour cette juridiction, le président, après avis du vice-président, peut décider que le conseil statuera en formation restreinte comprenant un conseiller employeur et un conseiller salarié (au lieu de deux conseillers employeurs / deux conseillers salariés). Ce faisant, la règle du paritarisme est respectée. Cette mesure n’est toutefois pas dénuée de conséquences en pratique : supprimer deux conseillers sur les quatre peut avoir pour effet de nuire à la pluralité des échanges.

Si en 2015 (loi du 6 août 2015, article L.1454-1-1 du code du travail), le bureau de conciliation et d’orientation avait été autorisé à renvoyer l’affaire devant le bureau de jugement en composition restreinte, deux garde-fous venaient toutefois encadrer ces dispositions : d’une part, le litige devait porter sur un licenciement ou une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et d’autre part, la mise en œuvre d’une telle mesure nécessitait l’accord préalable des parties. Cette mesure n’a pas fonctionné, en pratique. Elle est introduite ici sans possibilité d’opposition et sans limitation au regard des litiges concernés.

En application de l’article 5 de l’ordonnance, les audiences peuvent de nouveau se tenir par visioconférence ou même par téléphone, à condition que les moyens utilisés permettent de s’assurer de l’identité des personnes participant à l’audience et garantissent la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges. Cette mesure, qui peut aussi concerner la phase de délibéré, peut être mise en œuvre par simple décision du juge ou du président de la formation de jugement et n’est pas susceptible de recours.

Le rapport d’information précité soulignait déjà, le 8 juillet 2020, qu’il n’était pas certain que les garanties prévues par le texte alors en vigueur soient suffisantes pour assurer le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense et le droit à un procès équitable au regard des exigences du Conseil constitutionnel, ni d’ailleurs que les moyens donnés à la justice soient suffisants pour permettre une application convenable de ces dispositions.

Par ailleurs, ces dispositions sont a priori valables pour toutes les instances, qu’elles se déroulent avec ou sans représentation obligatoire par avocat. De telles dispositions soulèvent de fortes interrogations en pratique : comment garantir au justiciable un procès équitable si les différents acteurs (tant les conseillers / greffier que les parties) ne bénéficient pas des mêmes moyens techniques et matériels ? Comment garantir un même niveau de suivi et d’attention lors d’une audience virtuelle, de surcroît dans des affaires qui nécessitent des explications techniques approfondies ? A l’évidence, la prudence s’impose et ces éléments devront être analysés avant toute décision en faveur d’une audience par visioconférence ou, qui plus est, par téléphone.

L’ordonnance du 18 novembre 2020 permet enfin de nouveau au juge ou au président de la formation de jugement, à tout moment de la procédure, de décider d’examiner une affaire selon la procédure sans audience. Cette possibilité n’est ouverte que lorsque la représentation par avocat est obligatoire ou lorsque les parties sont assistées ou représentées par un avocat. Les dispositions précédentes ont été remaniées ici de manière à garantir l’existence d’un délai d’opposition à tout moment (délai de 15 jours, éventuellement réduit en cas d’urgence).

Sur ce point, il doit être noté que, par une décision du 19 novembre 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions issues de l’ordonnance du 25 mars 2020 qui prévoyaient la mise en œuvre de la procédure sans audience conformes à la Constitution. Selon le Conseil constitutionnel, l’intervention d’un avocat permet de garantir la possibilité aux parties de défendre utilement leur cause dans le cadre d’une procédure écrite, cette procédure étant contradictoire et restant, en outre, une simple faculté pour le juge.

En pratique, s’agissant des contentieux sociaux dans le cadre desquels la procédure est en principe orale, il est peu probable que cette mesure rencontre un franc succès.

Dans le rapport d’information au Sénat du 8 juillet 2020 (1), les audiences par visioconférence ou téléphone et la procédure sans audience étaient érigées en points de vigilance. L’on ne saurait que trop approuver cette analyse, qui plus est dans un contexte où l’état d’urgence sanitaire pourrait perdurer dans le temps.

Précisons que les dispositions évoquées supra ne doivent en principe être applicables que pendant la période de l’état d’urgence sanitaire plus un mois, soit jusqu’au 16 mars 2021 (loi du 14 novembre 2020à la date du présent article.

Ainsi, en théorie, la situation devrait revenir "à la normale" après cette période. La décision du Conseil constitutionnel, qui a validé le principe des procédures sans audience, semble en effet avoir conditionné la conformité de ces dispositions à la Constitution au "contexte sanitaire particulier résultant de l’épidémie de Covid-19".

Une telle précision est la bienvenue mais ne peut rassurer totalement.

Notre expérience du contentieux social nous amène à la plus grande prudence, face à l’évolution observée ces dernières années de la pratique judiciaire, avec des temps réservés aux plaidoiries de plus en plus courts, y compris dans des dossiers à fort enjeux humains ou financiers. Au regard de l’encombrement des conseils de prud’hommes, l’enjeu ne serait-il pas que ces dispositifs, justifiés aujourd’hui par un contexte de crise rentrent, à terme, dans le droit commun ?

De tels aménagements, s’ils étaient amenés à durer dans le temps, pourraient avoir plus d’impact que prévu.

 

(1) Extrait du rapport d’information – L’Essentiel, II, B, 2 : "La mission de suivi sera vigilante sur les conditions dans lesquelles il est recouru, sans l'accord des parties, aux audiences par visioconférence, voire par téléphone, et sur les cas dans lesquels le juge aura usé de sa faculté de ne pas tenir audience, nonobstant la possibilité de les organiser à distance. Il importe que ces dérogations soient utilisées par les juridictions de manière exceptionnelle, proportionnée et en fonction de la nécessité de chaque affaire afin d'éviter les situations les plus attentatoires aux droits du justiciable".

Anne Leleu-Eté
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