Le 17 avril 2024, le Tribunal de l’Union Européenne a confirmé que le signe « Pablo Escobar » ne pouvait être enregistré à titre de marque, dans une rare décision sur le fondement de l’atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Dans cette chronique, Mathilde Carle, avocate aux barreaux de Paris et New-York du cabinet Kramer Levin Paris et Flore Boulai, étudiante, expliquent quels enseignements en tirer.
L’atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs est un motif absolu de refus au titre du Règlement 2017/1001 rarement invoqué. La décision commentée est, par la défense de la déposante, l’occasion d’en approfondir la portée.
En l’espèce, la déposante est la société holding Escobar Inc., établie à Porto Rico et gérée par le frère de Pablo Escobar afin de « gérer les actifs de la famille Escobar, en ce compris mais de manière non limitative, gérer les droits de propriété intellectuelle et leur concession en licence ». Le 30 septembre 2021, elle dépose la marque de l’Union Européenne « Pablo Escobar » n°018568583 en pas moins de 33 classes. La demande de marque vise ainsi des produits et services aussi disparates que des peluches, des armes à feu, bombes et chars, des tests de grossesse, de l’alcool, du tabac, des hélicoptères, avions et bateaux, des sex-toys ou encore des services juridiques.
L’Examinateur de l’Office de l’Union Européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a refusé d’enregistrer cette demande de marque estimée contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, décision confirmée par la chambre des recours de l’EUIPO, en raison de l’évocation de l’organisation criminelle du cartel de Medellin dont Pablo Escobar était le chef présumé.
Devant le Tribunal de l’Union Européenne, la société Escobar Inc. conteste le bien-fondé de ce refus, faisant valoir que Pablo Escobar serait perçu positivement par une partie du public comme en témoigne son entrée dans la culture populaire (produits dérivés, série Netflix à succès « Narcos ») et son surnom de « Robin des Bois de Colombie » et en invoquant l’atteinte à la présomption d’innocence.
Cette pugnacité donne au Tribunal l’opportunité de définir, d’une part, l’atteinte à l’ordre public et, d’autre part, la méthode pour définir le public pertinent et déterminer le risque d’atteinte aux bonnes mœurs, soit le fait que le signe choque ou puisse choquer ce public.
Qui détermine ce qui est choquant ? Selon le Tribunal, il s’agit :
- D’un public plus large que les seuls consommateurs des produits et services couverts par la demande de marque en cause. L’appréciation se fait donc du point de vue de toutes les personnes susceptibles d’être confrontées à ce signe au quotidien.
- D’un public qui peut être limité à certains territoires de l’Union Européenne. En l’espèce, la chambre des recours, dans sa décision de première instance, avait désigné comme public pertinent le public espagnol du fait des liens particuliers avec la Colombie (colonisation espagnole jusqu’au XIXème siècle, langue commune, importante communauté colombienne en Espagne, etc.). Cette appréciation n’est remise en cause, ni par la déposante, ni par le Tribunal de l’Union Européenne.
- D’une personne moyenne raisonnable ayant des seuils moyens de sensibilité et de tolérance, c’est-à-dire ni « que rien ne choque », ni « très facilement offensée ». La jurisprudence souligne l’importance de cette figure de personne raisonnable, placée dans un contexte social actuel concret pour cette évaluation.
Gestion d'entreprise
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Il s’agit des intérêts fondamentaux, selon le système de valeurs de l’UE ou d’un de ses États membres particulièrement concerné. Parmi les raisons variées de refus pour atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, on retrouve les marques blasphématoires, discriminatoires, offensantes (e.g. l’exploitation d’un évènement tragique à des fins commerciales) ou encore les marques qui incitent à la consommation de drogue.
Les juges concluent dans cette affaire que le public pertinent, au regard de sa tolérance et sensibilité intermédiaire comprenant les principes et valeurs de l’Union Européenne (particulièrement les principes de paix sociale, de démocratie et de droit à l’intégrité physique) associerait le signe « Pablo Escobar » à une figure du narcoterrorisme et au trafic de drogue au détriment de ses actions de charité mises en avant par la société requérante.
Ainsi, le signe en cause pourrait être perçu comme une apologie du crime ou encore une banalisation des souffrances des victimes du cartel. Cette interprétation semble contraire par exemple à celle de l’Office américain des marques (USPTO) qui a accepté plusieurs marques Pablo Escobar déposées par Escobar Inc.
Escobar Inc. fait valoir, dans son recours, deux arguments reposant sur des principes fondamentaux de l’Union Européenne : le respect de la bonne administration de la justice et de l’égalité de traitement, d’une part, et la présomption d’innocence, de l’autre.
Selon la déposante, il n’y a pas lieu de refuser d’enregistrer à titre de marque le nom d’un présumé criminel alors que ceux de personnalités similaires telles que Che Guevara, Bonnie and Clyde et Al Capone auraient été acceptées par le passé.
Par ailleurs, elle reproche à la décision de l’EUIPO de ne pas tenir compte de la présomption d’innocence devant bénéficier à Pablo Escobar, décédé sans avoir été condamné.
Néanmoins, outre le principe bien connu des praticiens selon laquelle l’EUIPO et les tribunaux ne sont pas liés par des « pratiques décisionnelles antérieures », les juges vont détailler les raisons de cette apparente différence de traitement.
Ils balaient rapidement la question de la présomption d’innocence au motif que Pablo Escobar est publiquement perçu en Espagne comme un symbole d’une criminalité organisée, responsable de nombreux crimes.
Sur le premier point, les juges motivent leur décision par le caractère d’actualité de la personne de Pablo Escobar contrairement aux autres figures citées, dont le caractère offensant se serait émoussé avec le temps.
Cette décision est par ailleurs en ligne avec la pratique de l’EUIPO et du Tribunal ayant refusé une demande de marque figurative « Escobars » en 2021 pour des boissons en raison de son lien étroit avec des attaques violentes et terroristes envers la vie humaine. De la même manière, les marques « La Mafia SE SIENTA A LA MESA » et « Mafia » ont été refusées, respectivement en 2018 pour un restaurant thématique sur le thème des films « Le Parrain » ((TUE 15 mars 2018) et en 2023 pour des chips, car banalisant des activités illicites et donnant une image positive d’une organisation criminelle, ce qui est choquant et possiblement offensant (12 septembre 2023, EUIPO).
La seule marge de manœuvre semble concerner les produits relevant du domaine de la fiction. Ainsi, la marque semi-figurative « Mafia II » a été acceptée par l’EUIPO en 2012 pour des jeux en ligne, proposant notamment de combattre la criminalité.
En somme, cette décision fait application de mesure face à la mauvaise foi du déposant, caractérisée par le large éventail de produits et services visés et sa défense jusqu’au-boutiste d’une personnalité encore présente dans la mémoire récente pour sa violence extrême.
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