Débat autorités – entreprises : entre envie de prévisibilité et de confidentialité

Débat autorités – entreprises : entre envie de prévisibilité et de confidentialité

19.04.2019

Gestion d'entreprise

Les entreprises veulent mieux évaluer le montant de la sanction infligée lors d’une transaction et améliorer le dialogue avec les autorités. Mais elles souhaitent aussi l’instauration de la confidentialité des avis juridiques internes.

Deux volontés ont été exprimées par les représentants des entreprises mercredi dernier : augmenter le dialogue avec les autorités et préserver une confidentialité des avis des juristes. Ce jour-là, une table ronde intitulée « politiques de sanctions et issue transactionnelle » a été organisée par l’Association française des juristes d'entreprise (AFJE) et le syndicat Avocats conseil d'entreprise (ACE). Une conférence marquée par le souhait d’approfondir les relations entreprises-autorités et l’envie d’une véritable protection des échanges internes.

La question de la prévisibilité des sanctions, dans les transactions effectuées avec le parquet national financier, l’Autorité de la concurrence ou encore l’AMF, était au cœur des discussions.

« Il y a de très bonnes raisons de ne pas y aller »

Dans « 60% de cas transigés sur le total des sanctions [en matière de concurrence], les entreprises y ont clairement un intérêt », a constaté Gabriel Lluch, directeur juridique concurrence d’Orange. Avant d’ajouter qu’il « y a de très bonnes raisons de ne pas y aller, quel que soit les efforts pour les rendre secure ».

La première raison est l’image de la transaction auprès des tribunaux qui vont trancher les questions connexes. La transaction n’est pas un « aveu » car il n’y a pas de reconnaissance de culpabilité et il ne peut y avoir de « bataille contentieuse sur les griefs ». Elle porte sur leur totalité. Pourtant Gabriel Lluch a remarqué une confusion, « en tout cas des tribunaux de première instance » qui, face à une transaction, en déduiraient une culpabilité.

La seconde raison est le souhait de mieux pouvoir jauger le montant de la sanction des transactions. « On vous soumet une fourchette qui peut être large. Je peux prendre un risque très très large », a dénoncé Gabriel Lluch. Pourtant, le refus de réduire la fourchette a clairement été exprimé par Fabienne Siredey-Garnier, vice-présidente de l’Autorité de la concurrence, car « si on fournit une fourchette étroite, on réduit [la] marge de manœuvre [du collège] ».

Des points positifs à la transaction avec l'AMF ont aussi été mentionnés par Sophie Schiller, professeur et membre de la commission des sanctions de l’Autorité comme :

  • la « rapid[ité] » de la procédure,
  • l’absence de « reconnaissance de culpabilité »,
  • l’absence « de risque financier » en aval de la transaction, car il y a peu de demandes « des tiers sur le champ indemnitaire ».

RGPD : des directives pour mieux évaluer les sanctions futures ?

A la CNIL on ne transige pas mais... Mathias Moulin, directeur de la protection des droits et des sanctions, a exprimé sa position par rapport aux autres autorités des États membres. Sans cacher la « nécessité de dissua[der par la sanction] », la CNIL souhaite éclairer les entreprises sur leur gestion des données, contrairement à l’Espagne qui serait plus axée « contrôles et sanctions ». « En France, [on est] entre accompagnement et sanctions ». Justement, « la gestion des données n’est pas naturelle dans les entreprises », a souligné Marc Mossé, directeur des affaires publiques et juridiques de Microsoft Europe, partisan du « dialogue CNIL- entreprises ».

La question de la prévisibilité des sanctions s’est posée aux Pays-Bas qui ont publié leur grille de calcul du montant des amendes. A cela, la réponse de Mathias Moulin est tranchée : « à moins d’un an d’application du règlement, on ne va pas publier une grille de sanctions ». « Il faut faire vivre les dispositions ! [Il serait nécessaire de connaître] suffisamment de cas pour avoir un référentiel robuste », a-t-il expliqué en mentionnant également l’existence de travaux européens dédiés à ce sujet. « Il va y avoir des codes de conduit, et des certifications ».

Confidentialité

Même si le rapport Gauvain n’a pas été rendu public, Dalloz actualité a dévoilé quelques unes des propositions qu’il pourrait contenir. Il défendrait notamment la création d’une protection des avis juridiques en entreprise et doterait les entreprises d’outils efficaces pour se défendre contre les mesures à portée extraterritoriale.

Plus précisément, le rapport souhaiterait la confidentialité des échanges de « l’avocat en entreprise ». Selon Dalloz actualité, ce ne serait : ni « un avocat libéral dans l’entreprise » ni « une nouvelle profession réglementée de juriste d’entreprise ». Devant ce flou, le rôle de conseil du juriste a été soulevé par Marc Mossé et Gabriel Lluch afin d'encourager la protection des échanges. « Il ne faut pas que les autorités craignent notre confidentialité », a appuyé Gabriel Lluch. Car le juriste spécialisé en droit de la concurrence est perçu dans l’entreprise comme « l’œil de Moscou de l’Autorité de la concurrence » pour assurer des comportements conformes au droit. Le juriste aiderait l’entreprise à faire des choix, comprendre les procédures et prévenir les mauvais comportements.

Les États-Unis accorderaient-ils la même confidentialité aux juristes étrangers que celle qu’ils appliquent aux leurs ? Marc Mossé a maintenu à ce propos qu’il faudrait « doter les juristes français des mêmes outils que leurs homologues ». Il a partagé le fait que le « FBI [a voulu saisir] les documents de Microsoft en Europe », plus exactement les emails stockés en Irlande. Le refus de l’entreprise a abouti à des procédures judiciaires, mais il y a eu « une réflexion de la justice américaine pour protéger la confidentialité » des échanges internes avec les juristes européens. Les procédures judiciaires ont pris fin avec le Cloud Act, qui donne la permission aux forces de l’ordre ou aux agences de renseignement américaines de saisir toutes les données, qu’elles soient situées aux États-Unis ou à l’étranger, stockées par les opérateurs télécoms et les fournisseurs de services de cloud computing.

Lydia Bebawy

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