Décisions sur le devoir de vigilance de TotalEnergies : l’importance de la mise en demeure préalable et les questions suscitées
27.03.2023
Gestion d'entreprise

Les deux décisions rendues fin février apportent des éclaircissements utiles sur le rôle du juge (et en particulier du juge des référés) lorsqu’il est saisi d’une demande fondée sur le devoir de vigilance. Elles rappellent aussi l’importance de la mise en demeure de l’entreprise, condition préalable à la saisine du juge, évoque Marion Carrega, counsel chez Aramis avocats, dans cette chronique.
Par deux jugements du 28 février 2023, le tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé, a déclaré irrecevables les demandes formées contre TotalEnergies par plusieurs associations. Elles reprochaient à l’entreprise de ne pas avoir respecté ses obligations au titre du devoir de vigilance et, en particulier, de ne pas avoir suffisamment identifié et traité les impacts sociétaux et environnementaux des projets Tilenga et EACOP en Ouganda et en Tanzanie.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
L’encouragement au dialogue et à l’échange amiable
Aux termes des jugements, le tribunal souligne la volonté du législateur d’une collaboration ex ante entre la société et les parties prenantes pour l’élaboration du plan de vigilance. L’article L.225-102-4, I du code de commerce prévoit en effet que « le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, le cas échéant dans le cadre d'initiatives pluripartites au sein de filières ou à l'échelle territoriale ».
Pour le tribunal, cette collaboration dans l’élaboration du plan de vigilance permet d’assurer au mieux le respect de la règlementation et d’éviter les contentieux mettant en cause le plan de vigilance. Le dialogue avec les parties prenantes paraît en effet essentiel pour déterminer de manière pertinente les risques liés à l’activité de l’entreprise et les mesures correctives à mettre en œuvre.
Les jugements relèvent que ce dialogue est d’autant plus important au regard des insuffisances de la loi quant à la méthodologie pour établir le plan de vigilance et la définition précise des droits à préserver. Ces insuffisances sont pointées à plusieurs reprises par le tribunal, qui considère que les textes ne définissent que de façon très générale le contenu des mesures de vigilance à prendre par les entreprises, tout en assignant « des buts monumentaux de protection des droits humains et de l’environnement à certaines catégories d’entreprise ». Le juge a entendu ici signaler que le contenu trop général et flou de la loi ne lui permet pas d’exercer le contrôle qui lui est confié sur un potentiel manquement de l’entreprise à son devoir de vigilance.
En outre, pour le tribunal, ce « processus collaboratif » voulu par le législateur doit se poursuivre une fois le plan de vigilance établi et publié par l’entreprise. Il se concrétiserait également par le mécanisme de mise en demeure préalable de l’entreprise à laquelle il est reproché de ne pas respecter ses obligations.
L'article L.225-102-4, II du code de commerce prévoit en effet que « lorsqu’une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n'y satisfait pas dans un délai de 3 mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d'un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter ». Pour le tribunal, cette mise en demeure ne doit pas être considérée comme un simple préalable au contentieux, mais comme l’opportunité d’instaurer un dialogue visant à la mise en conformité de l’entreprise (à supposer cependant que cette dernière accepte un tel dialogue sur les griefs qui lui sont reprochés).
Cette motivation des jugements est intéressante, en ce qu’elle s’inscrit dans la promotion actuelle des modes amiables de résolution des litiges, portée depuis plusieurs années déjà par le législateur et les juridictions et réaffirmée récemment à l’occasion du lancement le 13 janvier 2023 par le ministre de la justice d’une politique nationale de l’amiable.
Le juge encourage clairement les parties à recourir au dialogue, pour tenter de régler de manière amiable les litiges relatifs à l’élaboration ou au contenu du plan de vigilance. Un tel échange amiable est considéré comme particulièrement pertinent pour les litiges relatifs au devoir de vigilance, en ce qu’il permettrait – plus rapidement et de manière plus concrète et effective – d’atteindre les objectifs recherchés par la règlementation.
Les jugements rappellent d’ailleurs que le juge des référés avait rendu le 1er juin 2022 une ordonnance d’injonction de rencontrer un médiateur, en précisant que les parties ont déféré à cette injonction, mais que seule la société TotalEnergies avait fait part de son accord pour entrer en médiation.
Comme indiqué ci-dessus, la mise en demeure de l’entreprise, dont le plan de vigilance serait inexistant, incomplet ou non-conforme, est une condition préalable à la saisine du juge.
Dans l’affaire TotalEnergies, le tribunal a considéré que cette condition n’était pas remplie et a déclaré irrecevables les demandes formées par les associations demanderesses. Plus précisément, il a jugé que les griefs et demandes exposés dans la mise en demeure étaient substantiellement différents des demandes et griefs formés au jour des débats devant le juge des référés.
La fin de non-recevoir invoquée sur ce point amènent à s’interroger sur la nature de l’obligation d’établir un plan de vigilance et sur les conditions relatives au contenu de la mise en demeure.
En effet, la mise en demeure des associations demanderesses, en date du 24 juin 2019, faisait référence au plan de vigilance établi par TotalEnergies pour l’année 2018 qui avait été publié le 20 mars 2019. Au soutien de l’irrecevabilité, TotalEnergies avançait que ce plan avait par la suite « disparu » et que trois plans successifs avaient été publiés pour les années suivantes. Ainsi, alors que l’action avait été engagée par assignation du 29 octobre 2019 sur la base des griefs exposés dans la mise en demeure concernant le plan en vigueur à cette date, les demandes des associations au jour des débats visaient le plan pour l’année 2021.
Sur ce point, l’argument des associations, tel que rappelé par les jugements, consistait à soutenir que « le litige portait sur le respect par TotalEnergies de ses obligations en matière de vigilance, et non pas, spécifiquement, sur les plans de vigilance qui ne sont que les supports par lesquels elle doit rendre compte des diligences effectuées ». Elles avançaient également le risque de priver la loi de toute sa portée si des mises en demeure devaient être réitérées à chaque nouveau plan.
On perçoit en effet les difficultés à mettre en œuvre l’action en justice prévue par le texte, si une identité stricte est requise entre les demandes formulées dans la mise en demeure et celles présentées devant le juge.
Le plan de vigilance devant être inclus dans le rapport de gestion de l’entreprise présenté à l’assemblée générale annuelle, il a vocation à être adapté ou modifié chaque année. Cela participe de l’essence même du devoir de vigilance, qui demande à l’entreprise de réévaluer régulièrement, au regard des circonstances les plus actuelles, les risques liés à son activité et les mesures permettant de les limiter.
Doit-on pour autant considérer qu’il s’agit de plans distincts et successifs, et qu’un nouveau plan de vigilance est établi chaque année, en remplacement du précédent ? Si c’est le cas, compte tenu du temps nécessaire pour analyser le plan et préparer une mise en demeure, du délai de 3 mois avant d’intenter une action en justice, ainsi que de la durée des procédures, le plan visé par la mise en demeure ne sera très probablement plus celui en vigueur au jour des débats et l’irrecevabilité sera donc presque systématiquement encourue.
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