Déconfinement : «une possible priorisation des dossiers par les tribunaux est une préoccupation», C. Féral-Schuhl

Déconfinement : «une possible priorisation des dossiers par les tribunaux est une préoccupation», C. Féral-Schuhl

12.05.2020

Gestion d'entreprise

Si la réouverture des tribunaux se profile, les délais de traitement des dossiers demeurent incertains, notamment en raison des vacations judiciaires. La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a certes annoncé leur report du 5 au 10 ou 17 juillet, mais Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB, regrette un manque d’information qui laisse présager d’un allongement des durées des procédures.

Avec le déconfinement, l’activité des tribunaux devrait être intense durant les prochains mois. Entre la gestion des anciens dossiers et des nouveaux, un risque « d’embouteillage » est à craindre.  

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Le report des vacations judiciaires est-il suffisant pour espérer voir les dossiers en souffrance être plaidés au tribunal ?

C’est une première étape positive, même si nous soutenions une suppression totale de ces vacations. Il faut évidemment s’attendre à des délais importants sur les procédures en cours, mais nous manquons de visibilité pour les estimer plus finement. Il faudrait en effet connaître les statistiques d’écoulement des stocks pendant le confinement, c’est-à-dire savoir si des jugements en attente ont pu être émis. Or, ces statistiques ne nous ont pas été communiquées, pas plus que le nombre de dossiers en souffrance. Le scenario du pire serait celui d’un double embouteillage : un premier au niveau des sorties de décisions des tribunaux et un autre sur les prises de rendez-vous pour les nouveaux dossiers. 

D’autres pistes de reprise se dessinent : des situations différentes en fonction des juridictions, une priorisation des dossiers par les tribunaux. De quoi fluidifier le fonctionnement de la justice ? 

Au cours de cette crise, pas moins de 164 plans de continuité ont été faits en matière de justice. Nantes et Saint-Nazaire, deux villes proches, se sont ainsi vues assigner des plans différents. Cela ajoute à la complexité de la situation ; des instructions nationales auraient été les bienvenues. En matière de plan de reprise de l’activité des tribunaux, je crains donc que nous assistions à 164 vitesses différentes à travers la France.

La priorisation des dossiers est également une préoccupation. Sur quels critères vont-ils être évalués ? Nous n’en savons rien à ce jour. Il s’agit d’une généralisation du concept de tri, qui existe déjà en matière administrative, mais qui jusqu’ici n’avait pas cours dans le judiciaire. Le risque est de faire des choix, forcément subjectifs, entre les dossiers, en fonction de leur taille, des enjeux, des secteurs, etc., et donc d’instaurer une hiérarchie dans leur traitement. 

Nous avons observé au cours de ces dernières années des mesures exceptionnelles s’installer ensuite durablement dans le droit commun. Nous allons donc veiller à ce que toutes les mesures d’exception prises actuellement ne puissent durer au-delà de cette crise sanitaire.

Va-t-on voir se généraliser une justice dématérialisée, ce qui permettrait d’avancer plus rapidement sur certains dossiers ? 

Pour cela, il faudrait que la justice soit correctement équipée, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Une présidente de Chambre m’a proposé de déposer le dossier d’un de mes clients, sans le plaider. Nous avons accepté, même si nous regrettons de ne pas avoir l’opportunité de plaider en audience. Au terme d’une journée d’échanges informatiques, il s’est avéré qu’il était impossible de verser toutes les pièces de manière électronique. Une collaboratrice a dû les apporter au tribunal. 

J’ai cependant des retours positifs sur le recours à la visioconférence, à l’arbitrage et à la médiation par les juridictions commerciales, qui semblent s’être bien organisées pour fonctionner au mieux pendant le confinement.  

Le recours à l’arbitrage, à la conciliation et à la médiation a été encouragé par Nicole Belloubet. Est-ce une alternative que les entreprises devraient favoriser ? 

En tant que médiatrice, je vois là une opportunité de faire émerger les modes amiables de résolution des différends. Je regrette toutefois que cela soit présenté comme un palliatif. Les justiciables doivent étudier et se voir proposer par leur avocat toutes les options disponibles face à un différend, et pouvoir effectuer le choix le plus judicieux en fonction de leur dossier. 

D’après les membres du CNB, quelles sont actuellement les principales préoccupations juridiques des entreprises ?

Le recours à la force majeure - que l’entreprise souhaite l’invoquer ou se le voit opposer - demeure un sujet majeur pour les sociétés. A cela s’ajoutent de nombreuses questions sur la mise en œuvre des contrats d’assurance, ainsi que des problématiques de cybersécurité, avec des failles de sécurité dans les systèmes, des pertes de données…  sans oublier les très nombreuses questions juridiques en lien avec le droit du travail. 

 

 

 

propos recueillis par Ingrid Labuzan
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