Défis, difficultés et bonnes initiatives : face à la crise, la recherche universitaire s'adapte

Défis, difficultés et bonnes initiatives : face à la crise, la recherche universitaire s'adapte

22.11.2020

Gestion d'entreprise

Du bon et du moins bon : c'est ce que vivent les thésards en droit depuis le début de la pandémie. Deux doctorants et la directrice adjointe de l'Ecole doctorale de droit de l'Université Paris-Saclay nous racontent les changements qu'ils ont pu observer, à l'échelle de leur thèse, de leur vie professionnelle annexe, ou, plus largement, de la recherche et de l'enseignement.

« Un doctorat est éprouvant sur le plan psychologique, il y a de longs moments de doute ». Ce constat, posé par Hélène Aubry, directrice adjointe de l'Ecole doctorale « droit économie management » et responsable du pôle droit de l'Université Paris-Saclay, est déjà valable quand tout va bien. Il l’est encore davantage en temps de pandémie. Et la liste est loin d’être exhaustive, puisqu’on pourrait y ajouter l’annulation des projets de recherche à l’étranger et la raréfaction des interactions avec les autres doctorants, qui joue sur le sentiment d'isolement comme sur le processus de recherche, car il « se construit aussi au fil des échanges », comme le souligne Omid Majidi-Ahi, qui prépare une thèse en droit international économique à l'Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne.

Pour autant, si ces difficultés sont globalement communes à tous les doctorants, l’impact de la crise sur le travail de recherche n'est pas nécessairement vécu de la même façon par tous. L’état d’avancement de la thèse ou la nature de l’activité professionnelle exercée à côté pourra ainsi faire de la crise un challenge pour certains… et une opportunité pour d’autres, comme Lydia Méziani, directeur juridique en charge de la compliance, des droits humains et de l’éthique chez Nestlé, qui a su tirer parti du temps supplémentaire offert par le confinement et le télétravail. Quoiqu’il en soit, une chose est sûre : la pandémie a apporté avec elle son lot de défis et de changements pour les doctorants et, plus largement, pour la recherche et l’enseignement.

Défi n°1 : réussir à jongler entre la thèse et l'activité professionnelle

C'est peut-être le principal défi rencontré par les doctorants qui exercent une activité à côté de leur travail de recherche : conserver du temps pour leur thèse, alors que leur vie professionnelle s'intensifie. Sa thèse universitaire - et non professionnelle -, Lydia Méziani l’a commencée il y a un an, par curiosité intellectuelle d'une part… Et aussi pour enrichir son travail de directeur juridique, après avoir constaté qu’elle ne parvenait pas à trouver toute la littérature nécessaire pour pouvoir anticiper les évolutions de son domaine d’expertise. Ses fonctions chez Nestlé lui offrent « un incroyable poste d'observation : le travail nourrit la thèse, et la thèse nourrit le travail », analyse-t-elle. Par contre, à des fonctions déjà exigeantes et une thèse tout aussi prenante est venue s'ajouter une difficulté supplémentaire : la gestion de la crise. En compliance particulièrement, elle a constaté un « accroissement incroyable des activités » (évaluation des parties tierces, devoir de vigilance, etc.). C’est donc « le contexte qui est difficile », et qui rend cruciale une bonne prise en charge du volet compliance de l’entreprise. Pour la directrice juridique, la période est un « test de crédibilité » pour nos entreprises, et il n'est pas question de baisser la garde.

Omid Majidi-Ahi est, de son côté, chargé de travaux dirigés dans son université. Et pour lui aussi, la charge de travail a été amplifiée par la crise. Il a fallu « improviser des cours en ligne du jour au lendemain », avec tout le temps d’adaptation et de formation qu’un changement si brusque peut impliquer. Les chargés d'enseignement ont ainsi dû revoir toute la préparation de leurs cours et veiller à faire en sorte qu’ils soient accessibles à tous, y compris à ceux qui n’ont pas les moyens de suivre en ligne. Et ont également dû redoubler d'attention pour maintenir un lien avec les étudiants, face à un risque de décrochage accru. Au total, ces heures accumulées pour adapter les TD sont donc autant de temps en moins pour la recherche. De quoi rendre « le travail de thèse encore plus solitaire et le travail d’enseignement plus chronophage », résume le doctorant.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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De bonnes initiatives et du temps supplémentaire

Le tableau semble plutôt sombre, certes. Mais pas dénué de couleurs pour autant : Lydia Méziani, Hélène Aubry et Omid Majidi-Ahi notent aussi plusieurs points positifs. De là à parler de la crise comme une aubaine ? Lydia Méziani confie « danser avec le moment », et profiter du temps supplémentaire gagné pour avancer sur sa thèse. Les déjeuners de travail ont fait place à davantage de rencontres – virtuelles – avec des directeurs juridiques, des avocats, des journalistes. Des gens qui, eux aussi, ont envie de parler, de réfléchir, de continuer à échanger, et ont désormais bien plus de temps à lui accorder. Le temps, c’est aussi ce qu’ont gagné les doctorants déjà lancés dans l’étape de la rédaction : Helène Aubry raconte ainsi le cas d'étudiants ravis d’avoir pu profiter du confinement pour se concentrer pleinement sur leur thèse. « Ces deux mois ont été un tunnel pour avancer, sans distraction », en somme.

Surtout, les écoles doctorales ont montré qu’elles pouvaient s’adapter - malgré, comme le regrette Hélène Aubry, des moyens limités -. Premier point positif : le lien avec le directeur de thèse est loin d’avoir été rompu. Si Omid Majidi-Ahi concède que les rencontres sont plus rares, « les échanges ne sont pas moins productifs pour autant ». Hélène Aubry souligne, à ce propos, que les directeurs de thèse ont aussi été davantage présents par mail.

Deuxième bon point à mettre au crédit des universités : la mise en place d’initiatives pour accompagner les doctorants à distance, faute de pouvoir les accompagner « en vrai ». A l’université Paris 1, les doctorants ont ainsi accès à des séminaires en ligne et des modules de rencontres entre doctorants. Ces séminaires existaient déjà avant la crise sanitaire, mais sont désormais ouverts à tous, virtuellement. Un bon moyen, pour les doctorants, de garder ce lien social si précieux. Et du côté de Paris-Saclay aussi, les doctorants peuvent compter sur le numérique. L’école doctorale propose, chaque année, des formations pour les aider soutenir une thèse, donner des conseils de rédaction ou revoir certaines notions transversales de droit. Reportées pendant le premier confinement, ces formations sont maintenues durant le second, à distance cette fois. Evidemment, le virtuel ne remplace pas les rencontres réelles. Mais compte tenu de la situation actuelle, et du manque de visibilité pour les mois à venir, c’est déjà mieux que rien.

Et pour rattraper le temps « perdu » ? Les universités permettent de demander la prolongation des contrats doctoraux, pour gagner quelques mois supplémentaires et pallier les contraintes subies par les doctorants ces derniers mois.

Quels lendemains pour les enseignants-chercheurs ?

C’est un fait : la crise, aussi imprévisible soit-elle, a aussi été l’occasion de réfléchir à de nouvelles façons de travailler. Sur le long terme, faut-il ainsi anticiper une mutation de la profession d’enseignant ? Pas vraiment, pour Hélène Aubry. « Les enseignants-chercheurs ont constaté que les cours en ligne ne remplaçaient pas les cours en présentiel, et ne souhaitent pas en faire une norme », indique-t-elle. D’autant qu’en droit, la communication informelle est déjà moins aisée que dans d’autres domaines. La matière est isolée par essence, et il ne faudrait pas l’isoler davantage. Même constat pour les examens à distance, qui, pour la professeure, « ne sont pas souhaitables sur le long terme, car ils ne permettent pas un contrôle satisfaisant ».

Par contre, elle reconnaît que le numérique a aussi ses avantages, notamment pour tenir des réunions ou organiser de courts webinaires : à utiliser de façon exceptionnelle donc, pourquoi pas.

Olivia Fuentes
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