Délai pour déclarer au FGAO des dommages matériels en cas de non-assurance du responsable

01.12.2021

Gestion d'entreprise

Ce délai de 6 mois, qui a couru à compter de l'audience au cours de laquelle le prévenu a reconnu son défaut d'assurance, n'est pas incompatible avec le droit communautaire.

« Lorsque l’auteur des dommages est identifié, toute victime de dommages aux biens doit, sous peine de déchéance de ses droits à l’égard du fonds de garantie, adresser au fonds une déclaration accompagnée de l’état descriptif des dommages et des justifications relatives à l’identité de l’adversaire, à sa responsabilité et à l’absence ou à l’insuffisance d’assurance ou de garantie de la personne présumée responsable des dommages. Cette déclaration doit être adressée au fonds dans le délai de six mois à compter du jour où la victime a eu connaissance de l’absence ou de l’insuffisance de garantie de la personne présumée responsable des dommages, notamment par le refus de prise en charge du sinistre par l’assureur de cette personne et, au plus tard, dans le délai de douze mois à compter du jour de l’accident » (C. assur., art. R. 421-20).

En l’espèce, un véhicule non assuré s’est immobilisé sur une voie de chemin de fer et a causé le déraillement d’un train en février 2011. En novembre 2013, la chambre correctionnelle d’une cour d’appel a condamné son conducteur à verser à la SNCF une certaine somme en réparation de ses dommages et a déclaré cette créance opposable au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO). A la suite du refus du FGAO de rembourser la SNCF, cette dernière l’assigne en paiement de cette indemnité, mais la cour d’appel estime que sa demande est forclose en application de l’article R. 421-20 précité.

En effet, le responsable, poursuivi pour défaut d’assurance, avait reconnu à l’audience pénale du 19 avril 2011 qu’il n’avait pas souscrit de contrat d’assurance. La cour d’appel en a déduit que la SNCF avait eu connaissance de la non-assurance à compter de cette date, ou à tout le moins le 17 mai 2011, jour du prononcé du jugement, de sorte que le délai de 6 mois était expiré lorsque la SNCF a fait sa déclaration de sinistre au FGAO le 13 février 2012. La SNCF, représentée par son établissement public réseau et mobilité, a alors formé un pourvoi en cassation, dont le moyen comportait notamment deux branches, successivement rejetées par la Cour de cassation.

La SNCF a d’abord soutenu que sa connaissance du défaut d’assurance ne pouvait pas se déduire du seul aveu du conducteur à l’audience, ni du jugement de condamnation, qui avait été frappé d’appel et n’était donc pas définitif. Mais la cour d’appel a énoncé à bon droit que la date à laquelle la victime a eu connaissance de l’absence ou de l’insuffisance de garantie constitue un fait juridique susceptible d’être prouvé par tout moyen. Or, aucune disposition légale ne subordonne cette connaissance à l’existence de poursuites pénales et d’une condamnation définitive pour défaut d’assurance. La cour d’appel a donc pu estimer que la SNCF avait acquis cette connaissance à l’audience à laquelle elle assistait en qualité de partie civile et au cours de laquelle le prévenu avait reconnu son défaut d’assurance.

Par ailleurs, la SNCF s’est prévalue de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 dont un des objectifs, selon le considérant n° 14, serait de placer les victimes dans une situation sinon identique, du moins aussi proche que possible, de celle qui aurait été la leur si le responsable avait contracté une assurance de responsabilité. Or, en imposant à la victime d’agir dans le délai de 6 mois précité, l’article R. 421-20 méconnaîtrait cet objectif puisque la victime d’un dommage causé par un conducteur assuré dispose d’un délai de 5 ans pour agir contre son assureur.

Remarque : sur ce point, la cour d’appel avait énoncé que « la directive laisse toute latitude à chaque État d’appliquer à l’organisation de "son organisme" ses dispositions législatives réglementaires ou administratives. Dès lors, en fixant un délai de forclusion pour la déclaration ou la demande d’indemnité, voire en fixant un plafond au montant de la prise en charge par le fonds de garantie, le code des assurances ne contrevient pas à ladite directive de sorte qu’il n’y a pas lieu d’écarter les dispositions de l’article R. 421-20 relatives au délai de la déclaration à peine de déchéance ».

Remarque : Quant à la directive de codification n° 2009/103/CE, elle traite, au chapitre 4, de l’indemnisation des dommages causés par un véhicule identifié ou non assuré. Selon l’article 10, cette indemnisation est assurée par un fonds de garantie (v. point 13 de l’arrêt). Le considérant 14 précité ne mentionne pas que la victime doit être indemnisée dans des conditions comparables, mais seulement qu’il « est nécessaire de prévoir qu’un organisme garantira que la victime ne restera pas sans indemnisation dans le cas où le véhicule qui a causé le sinistre n’est pas assuré ou n’est pas identifié. Il est important de prévoir que la victime d’un tel sinistre puisse s’adresser directement à cet organisme comme premier point de contact ».

La SNCF ayant soutenu qu’il n’y avait pas lieu d’examiner la conformité de l’article R. 421-20 à la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, la Cour de cassation s’est d’abord attachée à rechercher si elle était directement applicable (points 9 à 13). Elle s’est fondée à cet effet sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 10 oct. 2017, aff. C-413/15), selon lequel un organisme de droit privé qui s’est vu confier par un État membre une mission d’intérêt public et qui détient à cette fin des pouvoirs exorbitants, peut se voir opposer les dispositions d’une directive susceptibles de revêtir un effet direct, ce qui est bien le cas du fonds de garantie.

La Cour de cassation a ensuite recherché dans quelle mesure les dispositions de l’article R. 421-20 étaient compatibles avec la directive, sachant que « chaque État membre applique à l’intervention de l’organisme ses dispositions législatives, réglementaires et administratives, sans préjudice de toute autre pratique plus favorable aux victimes » (art. 10-4). Or, selon la CJUE, en l’absence de réglementation communautaire, les juridictions internes doivent veiller à ce que les modalités procédurales des recours ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires (principe de l’équivalence) et qu’elles ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité).

En l’espèce, la Cour de cassation a considéré que les règles de procédure concernant l’indemnisation des dommages aux biens, dont le délai de 6 mois imparti, à peine de déchéance, à la victime pour adresser sa déclaration au FGAO, « favorisent la rapidité et l’efficacité de son intervention, ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à indemnisation que la victime tire de la directive précitée et lui confèrent un niveau de protection correspondant à celui qu’elle prescrit ». Elle a donc rejeté le pourvoi, par ce moyen de pur droit.

Remarque : on peut s’étonner que le présent arrêt, noté D, fasse l’objet d’une diffusion restreinte, alors qu’il comporte une motivation enrichie et qu’il statue sur la comptabilité avec le droit communautaire de notre réglementation sur les modalités de prise en charge par le FGAO des dommages matériels occasionnées par des conducteurs non assurés. La Cour de cassation aurait pu surseoir à statuer et poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Elle a préféré trancher elle-même la question et donner satisfaction au fonds de garantie.

James Landel, Conseiller scientifique du Dictionnaire Permanent Assurances

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