Demande d'autorisation au titre de REACH : divulgation d'informations confidentielles versus intérêts commerciaux
02.02.2017
Environnement

Dans une décision très riche en enseignements, le Tribunal de l'Union européenne fait le point sur les règles de divulgation par l'ECHA des informations contenues dans le dossier de demande d'autorisation d'utilisation d'une substance.
Quelles informations contenues dans le dossier de demande d’autorisation d’utilisation d’une substance peuvent être divulguées par l’Agence européenne des produits chimiques ? C’est à cette question que le Tribunal de l’Union européenne donne quelques riches éléments de réponse dans une décision rendue le 13 janvier 2017, opposant la société Deza et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).
Environnement
La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)
Dans cette affaire, la société Deza avait déposé auprès de l’ECHA un dossier de demande d’autorisation d’utilisation de la substance phtalate de bis (2‑éthylhexyle) (DEHP) en application du règlement n° 1907/2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances, dit REACH.
Étaient jointes à sa demande d’autorisation une version confidentielle et une version non confidentielle des documents requis, dont un rapport sur la sécurité chimique, une analyse des solutions de remplacement et une analyse socio-économique. L’ECHA avait par la suite organisé une consultation publique sur cette demande et avais mis à disposition du public plusieurs documents. Considérant que certains de ces documents divulgués par l’ECHA étaient incomplets, deux entreprises ont demandé l’accès au rapport sur la sécurité chimique et à l’analyse des solutions de remplacement inclus dans la demande d’autorisation.
L’ECHA avait alors demandé à la requérante de reconsidérer sa position et de procéder à un réexamen des informations qu’il convenait de considérer comme confidentielles. Si la société Deza avait ensuite transmis une version modifiée des documents confidentiels, l’ECHA avait toutefois estimé que, parmi les informations que la requérante ne voulait pas voir divulguées, certaines n’étaient pas confidentielles et devaient ainsi être transmises aux demandeurs d’accès aux documents. L’ECHA avait alors préparé une autre version des documents, dont plusieurs extraits ont été occultés pour demeurer confidentiels et d’autres ont été conservés pour être divulgués. La société Deza, considérant que plusieurs informations allant être divulguées par l’ECHA devaient rester confidentielles, a effectué un recours devant le Tribunal pour obtenir l’annulation de la décision de l’ECHA faisant part de sa décision de divulguer une partie des documents du dossier de demande d’autorisation.
L’arrêt rendu par le Tribunal mérite un commentaire au regard de ses nombreux apports concernant les règles de divulgation des données, la présomption de confidentialité ou encore la définition de l’intérêt commercial.
Il est également très intéressant de voir comment le tribunal interprète les dispositions du règlement REACH en parallèle du règlement n° 1049/2001 relatif à l’accès au public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission.
La requérante soutient qu’il existe une présomption générale de confidentialité des informations présentées dans le cadre de la procédure d’autorisation, ce qui est contesté par l’ECHA.
REACH prévoit que le règlement n° 1049/2001 relatif à l’accès au public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission s’applique aux documents détenus par l’ECHA. Si ce règlement vise à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible, ce droit est toutefois limité si cela peut porter atteinte à des intérêts commerciaux, des procédures juridictionnelles ou à des objectifs d’inspection, d’enquête ou d’audit (art. 4). L’article 118 de REACH identifie en ce sens certaines situations pouvant porter atteinte à la protection des intérêts commerciaux.
Selon le Tribunal, aucune présomption générale de confidentialité ne résulte des dispositions de REACH et les documents communiqués à l’ECHA dans le cadre d’une procédure d’autorisation ne doivent pas être considérés comme étant « dans leur intégralité, manifestement couverts par l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux des demandeurs d’autorisation ». Il appartient à l’ECHA d’effectuer un « examen concret et effectif de chaque document » pour vérifier que les informations puissent être divulguées dans le respect du règlement n° 1049/2001. En effet, il ne suffit pas, en principe, que des documents relèvent d’une activité ou d’un intérêt mentionnés à l’article 4 du règlement n° 1049/2001, l’institution concernée devant également expliquer comment l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à cet article.
Selon la requérante, les informations litigieuses étaient de nature confidentielles car elles revêtaient un intérêt commercial. Pour pouvoir faire appliquer l’article 4 du règlement n° 1049/2001 qui prévoit que les institutions doivent refuser l’accès à des informations qui porterait notamment atteinte à des intérêts commerciaux, elle fait valoir que ces informations relèveraient de son savoir-faire et de son secret commercial, celles-ci n’étant pas aisément accessibles, étant exploitables sur le plan commercial et ayant impliqué des moyens financiers et des efforts considérables pour les collecter et les organiser de manière à permettre l’obtention d’une autorisation pour la mise sur le marché et l’utilisation ultérieure du DEHP.
Il ressort de cet arrêt qu’il peut être porté atteinte aux intérêts commerciaux lorsque les documents demandés contiennent :
- des informations commerciales sensibles relatives, en particulier, aux stratégies commerciales des entreprises concernées ou à leurs relations commerciales ; ou
- des données propres à l’entreprise qui mettent en avant son expertise.
Pour rappel, en application de l’article 118 du règlement REACH, la divulgation d’information porte atteinte à la protection des intérêts commerciaux lorsque cela concerne la composition complète d’un mélange, l’utilisation d’une substance en tant qu’intermédiaire, la quantité exacte d’une substance ou d’un mélange mis sur le marché ou les liens existant entre un fabricant ou un importateur et ses distributeurs ou ses utilisateurs en aval.
Selon la requérante, l’intérêt qui s’attache à la protection de ses droits fondamentaux et notamment de ses intérêts commerciaux l’emporte sur l’intérêt public justifiant la divulgation des informations litigieuses. Rappelons que l’article 4 du règlement n° 1049/2001 dispose qu’il ne peut pas être refusé l’accès à certains documents si cela est justifié par un intérêt public supérieur quand bien même cela porterait atteinte à des intérêts commerciaux.
Par exemple, l’arrêt précise qu’en ce qui concerne les valeurs DNEL (niveau dérivé sans effet) et PNEC (concentration prévisible sans effet) figurant dans le rapport sur la sécurité chimique et dans l’analyse des solutions de remplacement, même si ces valeurs relèvent de l’intérêt commercial de la requérante, le règlement REACH prévoit qu’elles sont d’office accessibles au public de donner aux citoyens de l’Union des informations sur les substances auxquelles ils risquent d’être exposés afin de pouvoir prendre, en connaissance de cause, des décisions sur l’utilisation qu’ils souhaitent faire de ces substances. Pour le législateur ces informations présentent donc un intérêt majeur. Il en va de même s’agissant des valeurs d’exposition NOAEL – c’est-à-dire celles visant à indiquer la concentration maximale sans effet nocif observé – contenues dans les approches, les méthodes et les réflexions.
Ainsi, comme certaines informations sont essentielles pour que le public ait une indication sur les risques associés à l’utilisation d’une substance, c’est sans commettre d’erreur que l’ECHA peut estimer qu’il existe un intérêt public à ce que ces informations soient divulguées.
La question est de savoir si la compilation de données scientifiques connues qui sont déjà accessibles au public et reprises dans le dossier d’autorisation, avec des données scientifiques secrètes peuvent être divulguées par la suite par l’ECHA lors que la consultation publique ou alors l’ensemble doit-il recevoir un traitement confidentiel ?
Il est acquis dans cette affaire que certaines informations données par la requérante sont issues d’études scientifiques publiques et qui sont dès lors accessibles à tous. Certaines informations considérées comme litigieuses par la requérante sont donc un assemblage d’extraits d’études et de rapports déjà existants et publics.
Concernant la compilation des données, le Tribunal juge que :
- la compilation des données objectives ne saurait, en tant que telle, suffire à révéler le contenu de la stratégie commerciale ou des choix futurs quant à la fabrication d’une substance ;
- la nature confidentielle ou non des informations ne se détermine pas par le travail qu’implique le fait de compiler les données contenues dans des études accessibles au public ;
- le fabricant doit démontrer que le résultat de la compilation d’informations accessibles au public contient des appréciations présentant une plus-value et que ces informations relevaient de l’intérêt commercial ;
- s’il convient d’admettre que le travail de systématisation des informations publiques pourrait avoir une certaine valeur commerciale, encore faudrait-il démontrer que la systématisation desdites informations a été accompagnée d’appréciations débouchant sur des conclusions scientifiques nouvelles ou sur des considérations relatives à une stratégie inventive de nature à procurer à l’entreprise un avantage commercial sur ses concurrents et qui seraient, de ce fait, à l’évidence de nature confidentielle ;
- la divulgation ne donne pas droit à un concurrent de se contenter de renvoyer, dans sa demande d’autorisation d’utilisation d’un produit chimique, au dossier d’autorisation d’un tiers contenant la compilation des études et de bénéficier de ce fait d’un avantage concurrentiel.
Le fait que les données sur les DNEL et PNEC ne soient pas confidentielles est un problème récurrent pour la requérante. Elle conteste le fait que ces données auxquelles elle se réfère puissent être considérées d’office comme publiques au sens de l���article 119 de REACH.
Selon le Tribunal, il ressort du règlement REACH que « compte tenu de l’importance des données correspondant aux valeurs DNEL et PNEC pour protéger la santé publique et l’environnement, l’évaluation de la sécurité chimique d’une substance et les données qui en résultent doivent concerner l’ensemble des utilisations identifiées et couvrir toutes les étapes du cycle de vie de ladite substance et que ces données doivent être publiées ». Si leur publication n’est pas obligatoire, il appartient toutefois à l’ECHA d’estimer s’il est nécessaire, dans un souci de transparence et d’égalité, de les publier.
En autorisant la divulgation d’informations sur les DNEL et PNEC, le législateur de l’Union a estimé que cela présentait un intérêt majeur et que l’intérêt de la divulgation de ces informations « pesait plus lourd par rapport à l’intérêt de la requérante à leur non-divulgation, puisque ces informations concernaient des intérêts parmi les plus importants qui existaient, à savoir ceux touchant à la santé humaine et à l’environnement ».
Le Tribunal précise qu’une « information soumise à une institution ou à une agence de l’Union dans le cadre d’une procédure administrative telle qu’une procédure d’autorisation pour l’utilisation d’une substance chimique ou pour la mise sur le marché d’un médicament peut, en principe, être divulguée même si cette information ne devait pas être obligatoirement soumise dans le cadre de la procédure concernée et qu’elle a été transmise volontairement par son détenteur ».
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