Des conventions collectives pour les travailleurs indépendants sans salariés ?

27.01.2022

Gestion d'entreprise

De futures lignes directrices pourraient indiquer les circonstances permettant à des "travailleurs indépendants sans salariés" de conclure des conventions collectives sans enfreindre l’interdiction des ententes édictée à l’article 101 &1 du TFUE.

Le 9 décembre 2021, la Commission a invité les parties intéressées à présenter leurs observations à l’égard d’un projet de lignes directrices sur les conventions collectives portant exclusivement sur les conditions de travail des indépendants sans salariés. La finalité de ces lignes directrices est d’éviter que le droit européen de la concurrence ne fasse obstacle aux efforts des travailleurs indépendants concernés pour améliorer leurs conditions de travail au moyen de conventions collectives.

Apprécié du seul point de vue du droit européen de la concurrence, on saisit mal a priori l’intérêt de lignes directrices qui indiqueraient les circonstances permettant à des « travailleurs indépendants sans salariés » de conclure des conventions collectives non visées par l’interdiction des ententes de l’article 101 du TFUE, tant les conventions collectives conclues par des travailleurs indépendants semblent éloignées de l’objet de cette interdiction.

Mais cet intérêt apparaît clairement si l’on observe que la Commission entend faire de ces lignes directrices un outil de promotion des conventions collectives permettant d’améliorer les conditions de travail des travailleurs indépendants visés. Comme le rappelle la Commission, étant en principe considérés comme des entreprises par la jurisprudence européenne en matière de concurrence, les travailleurs indépendants risquent d’enfreindre l’article 101 du TFUE s’ils négocient collectivement leur rémunération et d’autres conditions de leur activité. C’est pourquoi le projet de lignes directrices définit deux grandes catégories de travailleurs indépendants sans salariés insusceptibles d’enfreindre l’article 101, soit parce qu’ils ne relèvent pas de cet article, soit parce que la Commission s’engage à ne pas intervenir.

1 - Travailleurs indépendants sans salariés ne relevant pas de l’article 101 du TFUE

Sont visés uniquement les travailleurs indépendants qui « n’ont que peu d’influence sur leurs conditions de travail » et que la Commission distingue selon qu’ils sont dans une position de négociation déséquilibrée vis-à-vis de leur contractant, ou qu’ils se trouvent dans une situation comparable à celle des travailleurs.

Indépendants dans une position de négociation déséquilibrée vis-à-vis de leur contractant

Il s'agit :

- des indépendants confrontés à un déséquilibre de pouvoir de négociation en raison du potentiel économique de leur contractant : tel est le cas des indépendants qui fournissent leurs services à des contractants représentant l’ensemble du secteur ou de l’industrie et des indépendants qui traitent avec un ou plusieurs contractants dont le chiffre d’affaires annuel total est égal ou supérieur à 2 millions d’euros, ou dont l’effectif dépasse 10 travailleurs individuellement ou conjointement ;

- des indépendants habilités à participer à des négociations collectives conformément à leur législation nationale ou au droit de l’UE. Il s'agit notamment d’indépendants exerçant certaines professions auxquels est reconnu le droit de négocier collectivement pour corriger leur position de négociation déséquilibrée, et accéder à une rémunération équitable et appropriée comme prévu par la directive de l’UE sur le droit d’auteur à l’égard des auteurs, artistes interprètes ou exécutants.

Indépendants dans une situation comparable à celle des travailleurs

Sur le fondement des arrêts rendus par la CJUE dans les affaires Albany (CJUE, arrêt du 21 sept. 1999, aff. C-67/96) et  FNV Kunsten (CJUE arrêt du 4 déc. 2014, aff. C-413/13), le projet de lignes directrices distingue trois catégories d’indépendants sans salariés qui ne relèvent pas de l’article 101 du TFUE parce qu’ils se trouvent dans une situation « comparable à celle des travailleurs » :

- indépendants économiquement dépendants, c’est-à-dire qui fournissent leurs service exclusivement ou principalement à un seul contractant, le projet de lignes directrices précisant que sont considérés comme économiquement dépendants les « indépendants » sans salariés qui dépendent d’un seul contractant pour au moins 50% de leurs revenus professionnels ;

- indépendants qui travaillent aux côtés de travailleurs en ce sens qu’ils assurent des tâches identiques ou similaires « aux côtés » de travailleurs travaillant pour le même contractant ;

- indépendants qui fournissent leurs services à une plateforme de travail numérique ou par l’intermédiaire d’une seule plateforme, cette catégorie d’indépendants représentant, selon le projet de lignes directrices, la tendance croissante de la jurisprudence nationale et des lois nouvellement introduites reconnaissant la dépendance économique de ces « indépendants » sans salariés à l’égard des plateformes de travail numérique.

De plus, le projet de lignes directrices considère que les travailleurs indépendants sans salariés peuvent être considérés comme étant dans une situation comparable à celle des travailleurs, dès lors qu’ils concluent certaines conventions collectives relatives à leurs conditions de travail. Selon la Commission, tel est le cas notamment des « indépendants » économiquement dépendants.

2 - Travailleurs indépendants sans salariés pour lesquels la Commission s’engage à ne pas intervenir

La Commission s’engage à ne pas intervenir à l’encontre des travailleurs indépendants sans salariés qui ne sont pas dans une situation comparable à celle des travailleurs, mais ont peu d’influence sur leurs conditions de travail, comme les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants qui  négocient une rémunération équitable conformément à la directive sur le droit d’auteur. Il n’est pas exclu que les conventions collectives relatives aux conditions de travail de ces indépendants puissent relever de l’article 101 du TFUE, mais la Commission s’engage à ne pas intervenir à leur encontre.

Pour illustrer la situation précédente, le projet de lignes directrices cite le cas du musicien qui utilise son propre instrument chaque fois qu’il joue pour un orchestre en qualité d’indépendant.

Remarque : le projet de lignes directrices n'entend introduire aucune mesure sociale ou modifier les définitions des termes «travailleur» ou «indépendant» en droit national. Il n'entend pas davantage empêcher les individus qualifiés d’indépendants de contester cette qualification par des procédures administratives ou judiciaires, ou d'être reclassés en tant que travailleurs salariés par les autorités ou les juridictions nationales. Ce projet explique uniquement la manière dont la Commission appliquera les règles de concurrence de l'UE aux conventions collectives sur les conditions de travail de certains indépendants en position de faiblesse. Les prérogatives des États membres en matière de politique sociale ou l'autonomie des partenaires sociaux n'en seront pas affectées.

Commission européenne, Communiqué de presse du 9 décembre 2021- Pratiques anticoncurrentielles : la Commission invite les parties intéressées à présenter leurs observations concernant le projet de lignes directrices sur les conventions collectives relatives aux conditions de travail des indépendants sans salariés

Max Vague, Docteur en droit, Maître de conférence des universités, Avocat

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