Devant la Commission des sanctions de l’AFA, Imerys défend sa conformité

Devant la Commission des sanctions de l’AFA, Imerys défend sa conformité

24.01.2020

Gestion d'entreprise

Le groupe devrait connaître le sort que lui réserve la Commission d’ici un mois au plus tard. Il risque plusieurs injonctions de mise en conformité dans des délais rapides. Et le prononcé effectif des sanctions maximales s’il ne s’y conforme pas.

Patrick Kron, l’actuel directeur général d’Imerys, était attendu ce mercredi dans les locaux de l’Autorité française anticorruption (AFA) pour répondre aux questions de la Commission des sanctions. Mais l’ancien numéro un d’Alstom - dont la société avait eu à faire au Department of Justice entre 2010 et 2014 pour des faits de corruption - ne s’est pas déplacé. C’est la directrice juridique du groupe, Frédérique Berthier-Raymond, également membre du comex et accompagnée par le cabinet Bredin Prat, qui s’en est chargée. Pendant près de 4 heures, ils ont plaidé la conformité du dispositif anticorruption de la société avec la loi Sapin II, programme retravaillé et corrigé depuis le contrôle de l’AFA intervenu au mois de février 2018. Mais pour l’Autorité, il y aurait encore beaucoup à faire : la cartographie des risques, le code de conduite et les contrôles comptables, ne seraient toujours pas à niveau. Le directeur de l’AFA, Charles Duchaine, demande donc, « dans un premier temps », le prononcé de « mesures d’injonction » puis des « sanctions pécuniaires » dans le cas où la société ne s’y serait pas conformée. D’ici le 22 février au plus tard, Imerys pourrait donc se voir enjoindre de modifier sa cartographie des risques avant le 31 mars, et de revoir son code de conduite et ses procédures comptables au plus tard le 30 juin. Si tel n’était pas le cas, le groupe pourrait être effectivement sanctionné à hauteur d’un million d’euros et son représentant légal, Alessandro Dazza, qui remplacera Patrick Kron le 17 février, à 100 000 euros. Dans les deux cas, l’AFA a demandé le maximum à la Commission des sanctions.

« Nous sommes dans un travail d’accompagnement »

Il serait « illégal » de prononcer une injonction et une sanction. « Le directeur de l’AFA, dans sa saisine, demande des injonctions et, en cas de non-respect, des sanctions pécuniaires. Une procédure de ce type n’existe pas », selon Yann Aguila, associé spécialisé en droit public du cabinet Bredin Prat. Il réclame le déroulement de deux procédures, avec deux saisines de l’AFA et deux phases de contradictoire. Mais pour le directeur de l’AFA, dès lors que les deux mesures - injonction et sanction - sont à disposition de l’Autorité dans la loi, « rien n’interdit de les prononcer cumulativement ». Et « l'ajournement de la sanction pécuniaire [un dispositif qui existe en droit pénal bien qu’il ne soit pas précisément repris par la loi Sapin II, Ndlr] - donne une chance à l’entreprise de se mettre en conformité » (…). « Nous sommes dans un travail d’accompagnement », justifie Charles Duchaine.

Une lettre de notification des griefs trop sommaire ?

Second point de droit sur lequel la Commission des sanctions devra trancher : celui de savoir si la lettre de notification des griefs adressée par l’AFA à Imerys, qui « tient en deux pages » et met « en annexe [son] rapport de contrôle de 468 pages », est conforme au principe de « légalité des délits et des peines », interroge Yann Aguila. Car « la lettre ne s’approprie pas le rapport », poursuit-il. Formulée dans des termes trop génériques - en indiquant seulement que sur les trois points mentionnés plus haut l’entreprise ne respecterait pas la loi Sapin II - « la société ne comprendrait pas comment mettre en œuvre les injonctions de l’AFA », poursuit Guillaume Pellegrin, associé spécialisé en contentieux du cabinet Bredin Prat.

« Imerys ne peut pas accepter d’être considérée comme une société corrompue ou potentiellement corrompue », insiste Guillaume Pellegrin. Car à la date de la tenue de l’audience les manquements constatés par l’AFA lors de ses contrôles n’existeraient plus. Ou tout du moins seraient sur le point d’être corrigés.

Débat technique sur la cartographie des risques

Concernant la cartographie des risques, une feuille de route mise en place par la société depuis 2019 - et se poursuivant jusqu’en 2021 - ainsi que l’aide du cabinet de conseil Protiviti, auraient permis de corriger le tir. Pas pour Salvator Erba, sous-directeur du contrôle à l’AFA. L’identification des risques de corruption, encourus par la société, n’aurait pas été opérée selon une « une analyse fine » de ses processus internes. Un nombre trop restreint d’opérationnels auraient été entendus sur le sujet, la cartographie serait basée sur des zones géographiques trop vastes pour un groupe ayant 230 sites dans le monde. Et en dépit de « patchs » correctifs appliqués ici ou là, le cheminement méthodologique choisi par l’entreprise pour évaluer ses risques serait « curieux », indique-t-il.

Pour une zone aussi vaste que l’Europe, couvrant 27 pays dont l’Ukraine, pointe Salvator Erba, seuls « trois gestionnaires de sites » sur les 98 détenus par l’entreprise, auraient participé à la définition des risques de corruption. Et une seule personne sur la zone Amérique du Sud, par exemple, aurait été consultée. Quant à l’évaluation des risques, elle découlerait moins des entretiens des opérationnels de l’entreprise, que du classement réalisé par Transparency international sur le sujet. Et serait une nouvelle fois trop « macrozone ». « Nous aurions pu la faire nous-même », prévient Salvator Erba. Résultat, le plan d’action mis en place par l’entreprise pour répondre aux risques de corruption serait « imprécis », trop calibré sur « des mesures génériques ». En définitive l’AFA « n’aurait pas l’assurance que la cartographie évalue les risques auxquels Imerys est réellement exposée ». Et que le groupe « identifie les mesures adaptées pour [les] maîtriser ».

« Jusqu’où doit-on aller dans l’exercice ? »

De son côté, Frédérique Berthier-Raymond évoque « une cartographie efficace », avec 25 scénarios de risques identifiés et une « granularité » géographique « suffisante ». « Jusqu’où doit-on aller dans l’exercice ? », questionne-t-elle. Quant à la méthode suivie par l’entreprise, en partie tirée du framework anticorruption de l’OCDE, elle serait équivalente à celle proposée par l’AFA dans ses recommandations. « L’AFA ne peut pas tirer les conséquences qu’un manquement est caractérisé si l’entreprise ne suit pas ses recommandations (…). Sinon elle édicte une norme », argumente Guillaume Pellegrin.

Le débat d’experts devra être tranché par la Commission. Tout comme le fait de savoir si la société bénéficie d’un code de conduite au sens de la loi Sapin II. La lutte anticorruption est mentionnée à la fois dans le code éthique du groupe, puis développée dans un document spécifique - auquel ne renvoie pas pour l’instant le code éthique - et abordée dans les règlements intérieurs des entités. Mais l’AFA regretterait le manque d’interdépendance entre les trois documents et dès lors un souci de lisibilité pour les salariés.

Des procédures de contrôle comptable inachevées

« Une lutte efficace contre la corruption repose d’abord sur de très bons contrôles comptables. Vous admettez que le travail n’est pas achevé ? », demande Pâquita Morellet-Steiner, rapporteur de la Commission des sanctions, sur le dernier point étudié à l’audience. « A la date du contrôle de l’AFA nous ne disposions pas d’un dispositif complet de contrôle comptable dédié à la lutte anti-corruption. Depuis nous avons travaillé d’arrache-pied », répond Frédérique Berthier-Raymond. L’ensemble des points de contrôle comptable spécifiques aux questions de corruption et de trafic d’influence auraient été identifiés mais pas nécessairement déployés. « Tout est défini » mais pas « encore appliqué », concède finalement la directrice juridique.

 

Sophie Bridier

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