Devoir de vigilance : bientôt les premiers débats sur le fond

06.12.2022

Gestion d'entreprise

Plus de 3 ans après les premières mises en demeure de sociétés françaises sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance, le tribunal judiciaire de Paris n’a encore prononcé aucune décision sur le fond. Des injonctions de médiation sont en cours mais les ONG n'y sont pas favorables. Le point sur les procédures les plus avancées.

L’offensive des ONG a démarré en 2019 avec la toute première salve de mises en demeure. Puis, après 2 ans de bataille procédurale, la Cour de cassation a reconnu, fin 2021, la compétence du tribunal judiciaire pour connaître des actions portant sur le devoir de vigilance. Le législateur a alors clos le débat en attribuant l’ensemble de ce contentieux au tribunal judiciaire de Paris. Et si les procédures ont repris leurs cours depuis, aucune décision sur le fond n’a encore été prononcée.

Une première décision en référé en 2023

En juin dernier, dans l’affaire qui oppose un groupe d’associations françaises et ougandaises à TotalEnergies relative à l’impact des activités de sa filiale et de ses sous-traitants dans le cadre d’un projet de forage pétrolier et d’oléoduc en Ouganda, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a proposé aux parties de tenter une médiation. Faute d’accord de toutes les parties, le juge leur a enjoint de rencontrer un médiateur pour une réunion d’information, après laquelle les associations ont fait savoir qu’elles refusaient d’entrer en médiation. Une demande de renvoi a ensuite été formulée par les ONG pour disposer de davantage de temps afin de répliquer aux conclusions adressées tardivement par la défense. L’audience de plaidoirie a été repoussée à aujourd'hui, le 7 décembre. Entre-temps, la formation des référés a demandé à des amici curiae (trois universitaires) de venir l’éclairer sur la problématique du devoir de vigilance. C’est dans ce dossier que la seule décision sur le fond pourrait être prononcée en 2023, mais il s’agirait d’une décision du juge des référés.

Refus des ONG d’entrer en médiation

Deux autres affaires sont également arrivées à un stade similaire. En juin dernier, la juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a proposé une médiation au groupe Casino et aux associations qui l’accusent de contribuer à la déforestation en Amazonie via ses filiales en Amérique du Sud. Après la réunion avec le médiateur, les ONG ont refusé d’entrer en médiation avec le groupe de distribution qui lui avait accepté le principe. « L’audience prévue le 1er décembre n’a pas pu avoir lieu parce que la juge de la mise en état était malade, mais la décision de refus a été transmise dans la procédure », précise Lucie Chatelain, responsable contentieux et plaidoyer de Sherpa, qui fait partie du groupe d’associations. « Le calendrier n’a pas encore été fixé pour la suite de la procédure », mais le tribunal ne va pas se pencher sur le fond tout de suite car « Casino doit encore conclure dans un incident soulevé par ses avocats devant le tribunal judiciaire de Saint Étienne » concernant la régularité de la constitution d’une des parties brésiliennes.

Une proposition de médiation a également été faite en juin dernier par la juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris dans le dossier qui vise le Groupe Rocher, assigné en justice par deux associations françaises (dont Sherpa), un syndicat turc et des anciens salariés de la filiale turque du groupe, pour non-respect de la liberté syndicale et des droits des travailleurs en Turquie. Après la réunion d’information avec le médiateur, les associations ont fait savoir qu’elles refusaient d’entrer en médiation. Selon le calendrier de procédure fixé, les échanges d’écritures devraient avoir lieu d’ici juillet prochain et une audience est prévue en juillet pour voir s’il faut prolonger ce délai. « Il n’y aura probablement pas d’audience de plaidoiries avant fin 2023 » dans ce dossier non plus, et ce, « si les avocats du groupe ne soulèvent pas d’incident de procédure d’ici là », ajoute Lucie Chatelain.

Des débats publics qui donnent lieu à des précédents

Plusieurs raisons expliquent le refus des ONG d’entrer en médiation dans ces dossiers. Tout d’abord, le caractère confidentiel de ce processus de règlement des litiges ne répond pas à leur volonté « de soumettre la question de la responsabilité de l’entreprise à un débat public », d’autant plus qu’il s’agit « de questions d’intérêt général », explique la responsable contentieux et plaidoyer de Sherpa. Le caractère confidentiel de la médiation ne permet pas non plus aux associations de faire peser sur les négociations la pression médiatique qui permet de combler en partie « le déséquilibre économique qui existe entre les parties en termes de ressources ». Ensuite, dès lors que le contentieux ne donne pas lieu à une décision de justice, « il n’y pas de précédents judiciaires sur lesquels d’autres parties pourraient s’appuyer », or, c’est là l’un des principaux objectifs des contentieux dits stratégiques lancés par les associations telles que Sherpa.

Pas de « retour en arrière »

Enfin, « maintenant que nous avons accès au juge », le recours à la médiation apparaît comme « une sorte de retour en arrière », ajoute Lucie Chatelain :

« pendant longtemps, les victimes de faits relevant d’une entreprise française à l’étranger n’avaient pas d’autre choix que de s’en remettre à des solutions négociées en raison de la difficulté à accéder à un juge français. Elles ne pouvaient que tenter des médiations conventionnelles, or l’expérience a montré les limites de ces processus du fait du déséquilibre entre les parties et des difficultés à faire exécuter les accords conclus dans ce cadre. »

Autant de difficultés auxquelles Sherpa est actuellement confrontée dans l’affaire qui l’oppose (avec trois autres associations) au groupe Bolloré au sujet des activités de la Socapalm au Cameroun. Alors que le collectif a saisi les Points de contact nationaux français, belge et luxembourgeois en 2010, l’affaire est toujours en cours car, si le processus de médiation a bien abouti à un accord sur un plan d’action au profit des victimes, les associations en demandent encore l’exécution forcée 10 ans plus tard.

Débat sur la recevabilité de certaines des parties à la procédure

Plus de 3 ans après les premières mises en demeure et près d’un an après la clôture du débat sur la compétence du tribunal, les huit actions en justice introduites sur le fondement du devoir de vigilance (consulter la liste du radar de la vigilance) en sont toutes plus ou moins au même stade. Les plus avancées viennent ainsi de passer le stade de l’injonction à la médiation. Les prochains débats porteront sans doute sur la recevabilité de certaines des parties à la procédure. Ainsi, dans l’affaire relative aux engagements climatiques de TotalEnergies, le juge va devoir se prononcer en 2023 sur la recevabilité de certaines des collectivités territoriales engagées aux côtés des associations. Dans une note d’analyse, publiée en juillet dernier, Sherpa émet d’ailleurs tout un ensemble de propositions visant à faciliter et sécuriser l’action associative devant les juridictions pénales.

 

 

 

 

 

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Miren Lartigue
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