Pour se conformer à la loi relative au devoir de vigilance, les entreprises doivent renégocier leurs contrats ou changer de partenaires commerciaux. En cas de manquement avéré, la mise en œuvre de leur responsabilité pourra entraîner un préjudice réputationnel important vis-à-vis des actionnaires, clients et salariés. C'est ce que nous explique Vincent Brenot, associé au sein du pôle droit public, réglementaire et environnement chez August & Debouzy.
La loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre a créé, pour les grandes entreprises françaises, l’obligation d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance lié à leurs activités, à celles des filiales ou sociétés qu'elles contrôlent et de leurs fournisseurs et sous-traitants (voir notre article). Éclairage sur cette nouvelle obligation.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Combien d’entreprises sont concernées par le devoir de vigilance ?
Compte tenu des seuils retenus par la loi - les sociétés employant plus de 5 000 salariés en France ou 10 000 salariés dans le monde, en incluant leurs filiales -, on estime que l’obligation de vigilance concerne environ 200 entreprises françaises. Cela étant dit, il n’est pas exclu que les seuils soient à l’avenir abaissés par le législateur de façon à couvrir un plus grand nombre d’entreprises, en particulier si nous sommes suivis par nos partenaires européens sur le sujet.
Quelle est la portée de la censure partielle de la loi par le Conseil constitutionnel ?
On peut parler d’une amputation assez sévère. La loi prévoyait des amendes civiles allant de 10 à 30 millions d’euros en cas de manquement au devoir de vigilance. Ce volet a été gommé par le Conseil constitutionnel. Sa sanction est logique car les termes employés par le législateur retranscrivent des notions et des principes, aussi nobles que larges, sans suffisamment les individualiser. C’est en ce sens que la loi a péché et pour cette raison qu’elle a été sanctionnée.
Le devoir de vigilance n’est pas pour autant relégué au rang de soft law car le volet « responsabilité extracontractuelle » demeure. Les sociétés concernées pourront donc voir leur responsabilité engagée si un lien de causalité direct est établi entre les manquements au devoir de vigilance et le dommage.
De surcroît, toutes les entreprises concernées par le devoir de vigilance, qui ont par définition pignon sur rue, ont besoin de préserver leur image tant vis-à-vis de leurs actionnaires, que de leurs salariés et de leurs clients. Un préjudice réputationnel peut avoir des conséquences financières considérables. Récemment, l’expulsion musclée d’un passager de United Airlines, largement diffusé sur les réseaux sociaux, a coûté un milliard de capitalisation boursière à la compagnie dans les jours qui ont suivi l’incident. Le simple fait d’être mises en cause sur le terrain du manquement au devoir de vigilance pourrait causer aux entreprises un préjudice d’image énorme. A l’inverse, une entreprise qui joue le jeu pourra communiquer positivement sur les actions entreprises dans le cadre de son plan de vigilance. En termes de communication, il y aura un effet de ciseaux entre les entreprises vertueuses et celles qui ne le sont pas.
Selon vous, le législateur reviendra-t-il sur les imprécisions du texte ?
Ce travail est toujours possible. Ce qui est certain, c’est que le calendrier électoral n’a pas donné la possibilité au chef de l’État de demander au législateur de revoir sa copie. Il aurait pu renvoyer la loi devant le Parlement pour que celui-ci tienne compte de la censure du Conseil constitutionnel. Est-ce que la prochaine législature va avoir comme priorité de retravailler la définition du périmètre du devoir de vigilance ? Je ne l’ai pas vu apparaître en haut des programmes des différents candidats susceptibles de remporter les élections présidentielles.
Les entreprises non visées par l’obligation de vigilance ont-elles aussi un intérêt à s’y soumettre ?
Dans les faits, un certain nombre d’entreprises – parmi lesquelles certaines des 200 visées par la loi – mettent déjà en œuvre des systèmes de contrôle de leurs chaînes de production très proches du plan de vigilance. Au titre de leur communication RSE et précisément pour éviter de s’exposer à une dégradation de leur image. Pour les entreprises non concernées, la mise en place d’un plan de vigilance est tout à fait envisageable mais il faut être conscient que cela a un coût, notamment en termes de contrôle et de sélection des fournisseurs. Ceux qui sont susceptibles d’être conformes au titre du plan de vigilance seront peut-être un peu plus chers que les autres. Il y aura un choix à opérer entre communication positive et surcoût.
Comment se mettre en conformité avec la loi ?
Il faut impérativement lancer un audit pour déterminer là où il y a des zones de risques dans la chaîne des entreprises avec lesquelles on entretient des relations commerciales établies. Puis renégocier les contrats avec les entités concernées pour leur imposer de respecter un certain nombre de normes ou dénoncer les contrats avec celles qui refuseraient de s’y plier. Et, en parallèle, mettre en place un système d’audit permettant d’assurer le suivi du plan de vigilance.
Quelles clauses spécifiques devront comporter les contrats commerciaux ?
Il y aura notamment deux catégories de clauses à ajouter. En premier lieu, des engagements de la part du prestataire ou du sous-traitant de respecter des standards en matière de libertés fondamentales et de droits de l’Homme. En second lieu, des clauses autorisant l’entreprise soumise au devoir de vigilance à réaliser des audits, des contrôles effectifs, pour prouver que le plan de vigilance est mis en place et qu’il fait l’objet d’un suivi et d’un contrôle. Certaines négociations de contrats seront peut-être difficiles, car cela signifiera soumettre des partenaires à des normes plus contraignantes que celles habituellement rencontrées sur leur marché national. Sur le long terme, les nouveaux contrats intégreront nécessairement ces éléments mais la loi est d’application immédiate et certains contrats en vigueur devront être modifiés. Si les opérations de contrôle, de surveillance ou d’audit ne sont pas prévues dans les contrats en cours, certaines entreprises auront peut-être des difficultés à imposer de telles mesures à leurs partenaires en cours d’exécution du contrat.
Sur le suivi du plan de vigilance, vaut-il mieux internaliser ou externaliser l’audit ?
C’est une question d’appréciation de chaque entreprise sur le confort probatoire dont elle souhaitera bénéficier dans l’hypothèse où sa responsabilité extracontractuelle serait engagée. Plus l’entreprise externalisera le contrôle de son plan de vigilance, plus elle disposera d’un instrument de preuve objectif et non contestable par les tiers. Évidemment, cela aura un coût. Il faudra également dédier des auditeurs internes au sein des directions compliance pour vérifier que le plan de vigilance est mis en œuvre et que le suivi est bien assuré.
Quel coût cela implique-t-il pour l’entreprise ?
Il peut être quasiment nul pour les entreprises qui ont déjà mis en place des mesures similaires à celles imposées par la loi. Pour les autres, le coût sera significatif car elles devront peut-être changer certains fournisseurs, mettre en place des systèmes de monitoring et de reporting de leur chaîne de production, appliquer dans leurs filiales des normes parfois plus strictes, rédiger de nouveaux contrats, etc.
Nos engagements
La meilleure actualisation du marché.
Un accompagnement gratuit de qualité.
Un éditeur de référence depuis 1947.
Des moyens de paiement adaptés et sécurisés.