Le texte, dont l'examen législatif est bientôt fini, pourrait conduire les entreprises donneuses d'ordre à revoir leurs relations avec leurs partenaires d'affaires. Ce serait parfois non sans difficulté. Pour autant, la mise en cause de leur responsabilité ne semble pas si facile. Et l'assurance constituerait toujours une solution.
Le devoir de vigilance des donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs fournisseurs et sous-traitants « est une réalité que nous juristes nous devons prendre en compte dans la forme [d'une proposition de loi] telle qu’elle est aujourd’hui ». L’introduction faite par Sophie Schiller, professeur à l’Université Paris Dauphine, de la table ronde organisée autour de ce sujet par l’AFJE (Association française des juristes d’entreprise), a le mérite d’être claire. Le projet de loi, qui a été rejeté par les sénateurs hier en nouvelle lecture (voir le communiqué), revient à l’Assemblée pour sa lecture définitive. Les députés devraient le rétablir dans la forme votée fin novembre (voir notre article). Dès lors, il devrait rapidement être finalisé. L’AFJE a donc choisi de le mettre à l’ordre du jour de sa journée annuelle qui se déroulait mardi. Quels sont les risques que pourrait faire peser ce texte, une fois promulgué, sur les entreprises ? Éléments de réponses délivrés par les intervenants.
Le texte de loi devrait imposer aux entreprises - ayant leur siège social en France et un effectif de 5 000 salariés (en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes) ou en France ou à l’��tranger et un effectif de 10 000 salariés (idem) -, d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance. Il devra identifier les risques et prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société, de ses filiales (directes ou indirectes), ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie. Cette dernière notion est « imprécise », pour Sophie Schiller mais « il faudra faire avec ».
L’esprit du texte incitera les sociétés à mieux choisir leurs fournisseurs et sous-traitants. Mais des intervenants à la table ronde pointent déjà la difficulté à trouver un remplaçant. « Certains partenaires indispensables, si ce n’est cruciaux, ne peuvent être remplacés ». Notamment « car il n’y a parfois qu’un seul fournisseur dans le monde entier » d’un microprocesseur ou d’un matériau, précise Maxence Demerle, déléguée générale du Syndicat de l’industrie des technologies de l’information (SFIB). Toutes les entreprises ne bénéficieraient donc pas nécessairement d’ « un réseau pléthorique de partenaires d’affaires ». On à la même opinion chez Atos : « on ne peut pas toujours renouveler le panel de ses fournisseurs », acquiesce Stéphane Larrière, le directeur juridique « achat » du groupe. Certaines technologues sont inédites et il n’existe pas de concurrent capable de les fournir sur le marché. Pour autant le texte « va entraîner un renforcement du processus de sélection » des fournisseurs et sous-traitants. « Des garanties supplémentaires vont être demandées par rapport à ce que nous exigions auparavant pour sécuriser la chaîne », poursuit-il.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Le texte aura de l’influence au moment de la sélection des partenaires d���affaires mais aussi de la négociation contractuelle. « Les clauses de collaboration devront être renforcées », estime Stéphane Larrière. Ainsi les obligations d’informations et les possibilités d’audit, seront à revoir et à mener dans de nouvelles conditions. Car pour lui « les fournisseurs et les sous-traitants vont être assimilés [par l’entreprise] à certaines filiales », ce qui induira une augmentation des contrôles à réaliser chez eux. Il « faudra le faire comprendre à certains de nos partenaires étrangers qui n’ont pas forcément cette approche ».
« Le plan à vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, le cas échéant dans le cadre d’initiatives pluripartites au sein de filières ou à l’échelle territoriale », précise le texte. Il comprendra :
- une cartographie des risques sur les items présentés plus haut,
- des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants et des fournisseurs,
- un mécanisme d’alerte sur les risques,
- ainsi que le descriptif d’actions destinées à atténuer ou prévenir les risques,
- et un dispositif de suivi et d’évaluation des mesures mises en œuvres par l’entreprise donneuse d’ordre.
Qui sont ces parties avec lesquelles le plan devra être opéré ? Pour Sophie Schiller, il peut s’agir d’organisations non gouvernementales (ONG), de consommateurs, tout comme des actionnaires de la société. « Vous devrez vous interroger avec vos confrères et consœurs du secteur », ajoute Maxence Demerle. Le plan va donc « différer d’un secteur, d’une filière à l’autre », poursuit Sophie Schiller, ce qu’elle estime « favorable » aux entreprises. « Des standards de bonne conduite vont se dégager au fur et à mesure », analyse ensuite Stéphane Larrière.
Le plan devra être rendu public et intégré au rapport de gestion de l’entreprise. Or pour Maxence Demerle, il pourrait contenir des « données extrêmement confidentielles ». Dans ce contexte, elle « s’interroge sur le secret des affaires ». « Les tiers parties prennent une part extrêmement gênantes », complète Stéphane Larrière. « Les sous-traitants, les fournisseurs peuvent constituer l’ADN d’un produit technologique, une partie du savoir-faire de l’entreprise, ils devraient être couverts par le secret des affaires. Or les tiers sont étrangers à la relation d’affaires. Ils doivent être liés par une clause de confidentialité extrêmement verrouillée », conseille-t-il.
Le non-respect du devoir de vigilance pourrait conduire à la mise en cause de la responsabilité de l’entreprise devant le juge civil ainsi qu’au prononcé d’une amende pouvant aller jusqu’à 30 millions d’euros. Le risque d’une responsabilité du fait d’autrui a été avancé par les sénateurs. Mais ce n’est pas la lecture que fait Sophie Schiller du texte. Il s’agit d’une responsabilité pour faute. Un préjudice pourra donc être réparé si un lien de causalité peut être trouvé, par la victime, entre ce préjudice et la non-exécution du plan de vigilance, normalement destiné à l’éviter. « J’espère que vous avez soufflé », lance-t-elle à l’auditoire.
Et le contrat responsabilité civile du dirigeant pourrait permettre de transférer le risque d’une condamnation à l’assureur, démontre Sony Houadj, responsable RC et lignes financières chez Gras Savoye. Ce contrat pourrait être mobilisé et conduire à la prise en compte des frais d’avocats et à la condamnation pécuniaire de l’entreprise, dès lors que son dirigeant serait mis en cause par les actionnaires, les salariés ou d’autres dirigeants de l’entreprise. Une possibilité certes. Mais va-t-elle se traduire par une augmentation des primes d’assurance ? Une question de Sophie Schiller à laquelle n’a pas précisément répondu Sony Houadj.
Toutes ces questions restent en suspens. Le texte pourrait faire l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel avant promulgation.
Nos engagements
La meilleure actualisation du marché.
Un accompagnement gratuit de qualité.
Un éditeur de référence depuis 1947.
Des moyens de paiement adaptés et sécurisés.