Devoir de vigilance : la bataille autour de la compétence du tribunal se poursuit

Devoir de vigilance : la bataille autour de la compétence du tribunal se poursuit

14.02.2021

Gestion d'entreprise

Dans l’affaire qui oppose 5 associations et 14 collectivités territoriales au groupe Total pour inaction climatique, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre s’est déclaré compétent pour juger sur le fond cette action engagée sur le fondement du devoir de vigilance. Le groupe Total va faire appel de cette décision.

Tout a commencé en juin 2019 lorsqu’un collectif d’associations et de collectivités territoriales* ont adressé une mise en demeure au groupe Total lui demandant de mettre son plan de vigilance en conformité avec la loi en y intégrant des actions en matière d’atténuation du risque climatique et de prévention des atteintes graves à l’environnement et aux droits Humains. Le groupe Total estime au contraire qu’il répond à ses obligations en la matière.

Le 28 janvier 2020, le collectif a assigné la multinationale en justice devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour obtenir du juge qu’il enjoigne à la multinationale de mettre son plan de vigilance en conformité avec la loi et d’aligner sa trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre avec l’Accord de Paris. Une action engagée au civil sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance, ainsi que sur l’article 1252 du code civil qui prévoit la possibilité de faire appel au juge pour prescrire des mesures propres à prévenir ou faire cesser un dommage écologique.

Bataille autour de la compétence du juge judiciaire

Les avocats du groupe Total, Denis Chemla et Romaric Lazerges, associés d’Allen & Overy, ont alors soulevé l’incompétence du tribunal judiciaire et demandé à ce que le litige soit porté devant le tribunal de commerce. « La loi sur le devoir de vigilance relève du code de commerce, le plan de vigilance est un document social et les questions soulevées par le devoir de vigilance relèvent de la vie et de la gestion de la société », pointe Denis Chemla. « Le juge consulaire, qui est au cœur de la vie des entreprises, est donc une juridiction naturelle », pour les contentieux relatifs au devoir de vigilance.

Une argumentation qui a convaincu le tribunal judiciaire de Nanterre dans une autre affaire. Total a en effet obtenu gain de cause sur ce point dans l’affaire qui l’oppose à deux ONG et des associations ougandaises qui lui reprochent de ne pas respecter son devoir de vigilance dans le cadre d’un projet pétrolier mené en Ouganda : le 30 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce, décision qui a été confirmée le 10 décembre 2020 par la cour d’appel de Versailles.

L’arrêt Uber et l’option de compétence

Mais, 2 mois plus tard, le 11 février 2021, le juge de la mise en état du tribunal de Nanterre a rejeté l'exception d’incompétence et confirmé sa compétence pour statuer sur le fond du litige opposant la multinationale au collectif d’associations et de collectivités territoriales. Car, entretemps, « la Cour de cassation a rendu un arrêt très important que nous avons versé au dossier et sur lequel le juge de la mise en état de Nanterre s’est appuyé dans sa décision », explique l’avocat du collectif, Sébastien Mabile, associé du cabinet Seattle Avocats. Il s’agit de l’arrêt Uber rendu le 18 novembre 2020 par la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui a jugé que « dès lors que les faits reprochés sont en lien direct avec la gestion d’une société, le demandeur non-commerçant dispose du choix de saisir le tribunal civil ou le tribunal de commerce ».

La bataille se poursuit 

Le groupe Total a décidé de faire appel de cette dernière décision du tribunal judiciaire de Nanterre. « L’arrêt Uber s’est prononcé sur des faits totalement différents, cette option de compétence ne s’applique pas au devoir de vigilance », estime l’avocat Romaric Lazerges. Outre les arguments déjà avancés par la défense dans ce dossier, la demande va également s’appuyer sur la décision rendue par la cour d’appel de Versailles dans l’affaire ougandaise. Une décision contre laquelle les ONG ont déclaré envisager un recours en Cassation. La bataille sur la compétence du tribunal se poursuit.

Vigilance climatique : d’autres entreprises dans le viseur des ONG

En mars 2020, l’association Notre Affaire à Tous a appelé 25 multinationales françaises à mettre le volet climatique de leur plan de vigilance en conformité avec leurs obligations. Sont visés les groupes Aéroports de Paris, Airbus, Air France, Air Liquide, ArcelorMittal, Auchan, Axa, BNP Paribas, Bouygues, Carrefour, Crédit Agricole, Danone, EDF, Eiffage, Engie, Michelin, Natixis, PSA, Renault, Schneider Electric, Société Générale, Suez, Total, Veolia, Vinci. Mention partielle ou inexistante de la question climatique dans leur plan de vigilance, informations incomplètes sur leur mix énergétique et leur empreinte carbone, manque d’ambition ou de crédibilité de leurs objectifs et de leurs actions de réduction de leur impact climatique… La liste des griefs est longue et l’ONG a adressé des lettres d’interpellation aux dirigeants de chacune des entreprises visées. Si ces dernières ne se conforment pas aux demandes, des mises en demeure formelles pourraient leur être envoyées.

L’association Notre Affaire à Tous est également à l’origine de l’« Affaire du siècle », un dossier dans lequel l’État français vient d’être reconnu coupable de ne pas avoir respecté ses engagement en matière climatique et condamné à verser un euro symbolique aux demandeurs.

* Le collectif est composé des associations les éco-Maires, Sherpa, Zea, France nature environnement, Notre affaire à tous, et des collectivités d’Arcueil, Bayonne, Bègles, Bize-Minervois, Centre-Val de Loire, Champneuville, Correns, Est-ensemble Grand Paris, Grenoble, la Possession, Mouans-Sartoux, Nanterre, Sevran et Vitry- le-François.

Miren Lartigue

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