L’Allemagne est en passe de légiférer sur un devoir de vigilance. Markus Asshoff, avocat associé chez Taylor Wessing à Paris et Sebastian Rünz, collaborateur senior au bureau de Düsseldorf, nous expliquent le projet et le comparent avec le droit français.
A la mi-février, le gouvernement allemand adoptait une proposition législative pour obliger les grands groupes à assurer un devoir de vigilance.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Pouvez-vous nous décrire le projet ?
Sebastian Rünz : La future loi concernera les sociétés ayant au minimum 3 000 salariés en 2023. Dès 2024, le seuil sera abaissé à 1 000 employés. Le champ d’application de la loi sera donc plus large un an après son entrée en vigueur.
Les sociétés qui remplissent ces seuils auront plusieurs obligations de vigilance. Le projet les décrit en détail et indique exactement aux entreprises ce qu’elles auront à assurer en terme de compliance. Elles devront cartographier les risques, produire une analyse de ces risques, prendre certaines mesures si elles en identifient effectivement dans leur chaîne d’approvisionnement, etc. Elles auront aussi à adopter une procédure d’alerte interne, à documenter toutes les étapes de leur programme de conformité et à élaborer un rapport annuel sur celui-ci. Ce programme devra viser les risques concernant les droits de l’Homme dans leur chaîne d’approvisionnement.
Pouvez-vous nous donner des exemples de mesures à assurer ?
SR : Le texte est très détaillé. Il contient de nombreuses explications sur ce que les entreprises ont à assurer. Ce sont des mesures de compliance et de droit des contrats. Concernant le management des risques, tout d’abord, la loi recommande d’avoir un « human rights officer » qui travaille avec l’ensemble des directions de l’entreprise à associer au programme de conformité. Le département des achats doit notamment être associé afin de déterminer sa politique (rechercher uniquement à acheter au prix le plus bas ou prendre en compte d’autres éléments comme, par exemple, la certification des fournisseurs à certains standards sociaux, etc.).
Sur l’analyse des risques, il faut le faire régulièrement. Si l’entreprise envisage d’étendre son activité ou de développer de nouveaux produits, elle devra réaliser cette démarche par exemple. Lorsque le groupe identifie des risques - parfois liés à l’utilisation de certains matériaux de productions, à l’approvisionnement en provenance de pays où les standards sociaux sont très bas, les enfants travaillent, les travailleurs n’ont pas le droit de se syndiquer, etc. – alors elle doit prendre certaines mesures (préventives et éventuellement de réparation). Concernant les mesures préventives, il faut avoir une bonne politique de sélection de ses fournisseurs : opter pour ceux appliquant des standards, les interroger, notamment lorsqu’un risque est potentiel, les contrôler, etc. La société doit aussi avoir un code de conduite qui aborde ces sujets. Il faut former les salariés à ces questions.
En cas de conduite à risque d’un fournisseur, il est nécessaire, alors, de travailler avec lui à remédier à la situation. Il faut chercher à l’accompagner pour qu’il ne viole plus les droits de l’Homme. Mais si la violation est trop importante, alors il faut mettre un terme au contrat avec ce fournisseur.
L’entreprise doit aussi assurer un système de recueil des alertes portant sur les violations des droits de l’Homme. La loi détaille comment traiter l’alerte, la prendre au sérieux, etc.
Enfin la société doit documenter la réalisation de l’ensemble des mesures décrites ci-dessus et réaliser un rapport annuel revenant sur la mise en œuvre de son programme de conformité à adresser à l’autorité compétente.
La loi porte uniquement sur les risques liés aux droits de l’Homme ?
SR : Les risques environnementaux ne sont pas directement couverts par ce texte. Les violations du droit de l’environnement sont concernées uniquement si elles engendrent une violation des droits de l’Homme. Ce qui est souvent le cas. Prenons l'exemple d'une pollution d’un lac causée par du pétrole, si elle entraîne une impossibilité pour des pêcheurs locaux de travailler ou pour une population d’avoir accès à de l’eau, alors il pourrait y avoir un risque de violation des droits de l’Homme. Deux traités internationaux sont toutefois mentionnés directement : la Convention Minamata sur le mercure de 2013 (visant à protéger la santé humaine et l’environnement contre les effets néfastes du mercure) et la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants de 2001.
Quelles sont les sanctions encourues et qui en décide ?
SR : Les amendes peuvent aller jusqu’à 2 % du chiffre d’affaires annuel du groupe concerné. Elles ne sont applicables qu’à certaines violations : si vous aviez connaissance d’une violation réalisée par un fournisseur et que vous n’avez rien fait, notamment. Au contraire, si vous ne produisez pas votre reporting, que votre code de conduite n’est pas exhaustif, etc., vous encourez une amende de 800 000 euros. Le texte ne prévoit pas de sanctions pénales à l’encontre des dirigeants du groupe.
C’est l’Autorité fédérale pour les affaires économiques et les contrôles à l’exportation qui est chargée de sanctionner les sociétés si nécessaire. Le concurrent d’une société, une ONG, un lanceur d’alerte peut lui donner des informations en ce sens. Mais seule l’Autorité peut déclencher des poursuites.
Quelles sont les similarités et les divergences avec la loi française sur le devoir de vigilance ?
SR : Les deux textes peuvent être comparés parce qu’ils adressent le même sujet. Mais ils contiennent beaucoup de différences. La loi française est très courte. Elle n’explique pas aux entreprises ce qu’elles doivent faire. Au contraire, la loi allemande est très détaillée.
Markus Asshoff : Les seuils allemands sont beaucoup plus bas, davantage de sociétés sont donc concernées. En France c’est le champ d’application matériel qui est plus large. Les atteintes à l’environnement sont, par exemple, incluses dans le devoir de vigilance.
La loi allemande est en revanche beaucoup plus détaillée que la loi française, et surtout il existe en Allemagne une Autorité spécialement dédiée qui sanctionne les contrevenants. Tandis qu’en France il faut passer par la voie judiciaire, souvent longue.
SR : Le droit français vise l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. En Allemagne, seule la société et ses fournisseurs directs sont concernés. Les fournisseurs indirects doivent être pris en compte seulement si l’entreprise reçoit des notifications substantielles de violations ou de menaces de violations des droits de l’Homme. Mais cela peut aller très vite. On ne sait pas encore comment cela va fonctionner en pratique. C’est une divergence qui pourrait s’avérer ne pas être si grande en réalité.
Il s’agit pour l’instant d’une proposition de loi. Quelles sont les étapes suivantes ?
SR : Le texte doit être adopté par le Parlement d’ici les élections qui sont prévues en septembre. Le gouvernement souhaite qu’il soit promulgué avant que les Allemands ne se rendent aux urnes. Le texte pourrait être amendé par les députés. Toutefois, le projet est issu des travaux d’une coalition entre deux partis majoritaires : les socio-démocrates et le parti conservateur des chrétiens-démocrates.
MA : Les ministres de l’économie et du travail, qui ne sont pas du même parti, ont donné leur aval à ce projet. Les chances que cette loi soit adoptée avant les élections législatives sont très élevées.
Il y a aussi la perspective d’un texte européen sur ce devoir de vigilance…
MA : Le 12 mars, le Parlement européen a officiellement demandé à la Commission européenne de proposer un texte sur ce sujet. Les sociétés doivent l’avoir en tête. Il y a une multiplication des législations sur ce thème au sein de l’UE. Il y aura probablement un texte européen. Les multinationales doivent anticiper ce qui pourrait se passer. En attendant, il convient d’ores et déjà pour les entreprises de se mettre en conformité avec les standards les plus élevés afin de réduire au maximum les risques auxquels elles sont exposées, et surtout pour éviter de devoir modifier leurs propres dispositifs à l’entrée en vigueur de chaque nouvelle législation.
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