Directive CSRD : «Nous sommes désormais dans une logique de texte contraignant»

Directive CSRD : «Nous sommes désormais dans une logique de texte contraignant»

19.07.2022

Gestion d'entreprise

Le compromis trouvé sur la future directive CSRD vient d’être adopté en commission au Parlement européen. Le point avec Pascal Durand, député européen, rapporteur sur ce texte majeur pour les grands groupes à horizon 2023.

La directive CSRD (pour Corporate Sustainable Reporting Directive) viendra remplacer le texte actuel imposant à certains grands groupes de présenter un reporting extra-financier de leurs activités (directive dite NFRD de 2014). La prochaine mouture concernera davantage d'entreprises qui se verront dans l'obligation de dresser un reporting de durabilité, aux contours étendus (s’intéressant tant aux questions environnementales, que de respect des droits humains et sociaux ainsi qu'à leur bonne gouvernance), contrôlé par des auditeurs financiers et présenté selon des standards harmonisés au sein de l'Union européenne. 

Sur ce texte, un compromis politique a été trouvé à la fin du mois de juin. Il vient d'être formellement adopté en commission au Parlement européen. Le vote en séance plénière est prévu pour le mois d'octobre 2022. Il restera ensuite l'étape du vote formel au Conseil de l'UE, bien que le COREPER ait déjà donné son aval sur le compromis. 

La publication de la directive devrait vraisemblablement intervenir au mois de janvier 2023 et ses dispositions auront ensuite à être transposées dans les différents droits des Etats membres.  

Le compromis a été adopté le 14 juillet en commission des affaires juridiques au Parlement européen. Pouvez-vous nous décrire les points essentiels de ce texte ?

A la différence de la directive NFRD, nous sommes désormais dans une logique de texte contraignant pour les entreprises assujetties. Nous ne serons plus dans un espace d’ « auto contrôle » et de simple liberté en matière de déclaration de performance extra-financière. Nous allons avoir des standards normés exactement comme pour les bilans financiers et comptables. Nous bénéficierons de normes très précises nous permettant d’avoir une égalité de traitement entre toutes les entreprises d’un même secteur ou plus généralement. La plus grande avancée est que nous sortons de l’arbitraire du déclaratif libre et non contrôlé pour entrer dans le normatif.

Il faut aussi retenir le champ d’application de la nouvelle directive qui évolue par rapport à la directive NFRD. Nous passons de 11 000 entreprises concernées au sein de l’UE à environ 50 000. L’augmentation est très importante. Les entreprises qui réuniront deux de ces trois critères au moins - 20 millions de bilan, 40 millions de chiffre d'affaires et/ou 250 salariés - seront concernées. A l’origine, toutes les entreprises cotées devaient l’être. Le compromis a finalement débouché sur une dérogation jusqu’en 2028 pour les PME cotées (avec une possibilité de volontariat en amont).

Troisième point fondamental : le contrôle des rapports réalisés par les entreprises sera désormais opéré par des auditeurs financiers (les commissaires aux comptes en France et tous les contrôleurs financiers dans l’ensemble de l’UE). Ils devront valider, en même temps que les éléments financiers, l’extra-financier. Seront donc situées au même niveau, avec la même rigueur, les déclarations financières et extra-financières ainsi que la présentation des provisions allouées pour faire face aux risques subis par l’entreprise ou ceux qu’elle pourrait engendrer.

J’espère que le texte s’appliquera de manière uniforme dans les vingt-sept pays de l’UE. Avec cette directive, l’UE tente de mettre en œuvre une véritable extraterritorialité. Les entreprises non européennes, mais qui opèrent sur le marché européen, seront soumises - sous certaines conditions (réaliser 150 millions d'euros de chiffre d'affaires annuellement pendant au moins 2 années cumulées au sein de l’UE) - aux dispositions du texte. Elles seront obligées d’avoir les mêmes schémas déclaratifs.

Quelles sont les sanctions à la clé ?

C’est un problème majeur au sein de l’UE. Les Etats membres ne veulent pas perdre leurs pouvoirs de sanctions à l’égard de ce qu’ils considèrent être leur souveraineté et donc leurs propres entreprises. Nous n’avons pas réussi à obtenir une uniformisation des sanctions et des contrôles au niveau de l’UE. Le texte demande donc aux Etats qu’il y ait effectivement des sanctions qui soient mises en œuvre. A ce stade ce seront celles déjà prévues par la directive NFRD. Elles pourront être de différentes natures : administratives, avec des amendes, de l’ordre de l’interdiction d’accès aux marchés publics, etc. Malheureusement, il est à craindre que certains Etats ne jouent pas le jeu de la sanction et du contrôle. Nous sommes face à un risque de « cherry picking » de la part des entreprises et de leurs conseils.

Il y a eu une volonté très forte de la France d’aboutir. Je pense que la France aussi bien sur la directive NFRD - et maintenant la CSRD – ou le devoir de vigilance a toujours été pionnière sur ces sujets-là. Olivia Gregoire, lorsqu’elle était ministre en charge de ce dossier à Bercy, a mis une très grosse pression pour que la présidence française du Conseil de l’UE aboutisse à un compromis. Les ministres de l’Economie et de la Justice ont également été impliqués sur ce dossier. Je n’ai pas, non plus, d’inquiétude au niveau allemand, des Pays-Bas ou de l’Italie, par exemple. D’autres pays ont des priorités davantage tournées vers un développement du business plutôt que vers le contrôle de leurs entreprises, mais je ne fais pas de procès d’intention.

Avez-vous des regrets sur certains éléments du compromis trouvé ?

Sur les sanctions, nous n’avons pas été assez « intégrationnistes ». Nous n’avons pas assez démontré une volonté européenne plutôt que nationale.

Deuxième chose : il y a eu un tir de barrage extrêmement puissant contre le fait de séparer les audits financiers des audits extra-financiers. C’est-à-dire le fait de renforcer de facto le monopole des auditeurs financiers sur les questions extra-financières. Les allemands, notamment, étaient vent debout contre le fait qu’il y ait des auditeurs indépendants sur les questions extra-financières.

C’est un sujet sur lequel il faudra que l’on travaille encore davantage. Il faut à mon sens que l’Union se dote de moyens afin de développer en Europe une expertise extra-financière. Les plans de transition, la taxonomie, les droits humains requièrent des compétences spécifiques. En France, nous bénéficions de Bureau Veritas, en Allemagne de TÜV, RvA aux Pays-Bas, etc. L’expertise existe au sein de l’UE et désormais avec la directive CSRD, nous allons pouvoir bénéficier d’une certification. Nous n’aurons toutefois pas en l’état - et j’espère qu’on en reparlera en 2028 (date prévue par la clause de révision du texte) - la possibilité d’avoir des auditeurs extra-financiers au même niveau que les auditeurs financiers et les commissaires aux comptes.

Concernant le reporting de durabilité, des standards seront émis par l’EFRAG ? Où en sommes-nous ?

Les majors américains, à travers l’ISSB (International Sustainability Standards Board) installé à Francfort, essaient de nous refaire le coup de l’IFRS (International Financial Reporting Standards Foundation). Ils veulent être les premiers à développer des standards pour pouvoir, d’une part, les contrôler sur leurs seuls critères et ensuite les imposer naturellement au monde entier en édictant la norme internationale. Il y a ici un défi de souveraineté européenne et de vision du rôle dévolu à l’entreprise. L’idée n’est pas de se comporter de manière arrogante en disant que nos standards sont les meilleurs au monde. Nous devons cependant avoir nos propres standards, notre vision des questions environnementales, sociales, de taxonomie, celle liée aux droits humains, etc., de manière à anticiper au niveau mondial et de ne pas se voir imposer systématiquement les normes anglo-saxonnes. Par ailleurs, l’ISSB à la différence de l’EFRAG, ne travaille que sur les enjeux et risques climatiques, délaissant toutes les autres questions et ne souhaite pas appliquer la double matérialité qui concerne les impacts que l’entreprise peut engendrer par sa propre activité.

Sur ce sujet, il y a donc un vrai défi de temps et d’objectifs. L’EFRAG a déjà beaucoup travaillé. Quand je vois les moyens dont bénéficie la fondation ISSB, le nombre d’experts qu’ils sont en train de recruter, le prix et les financements alloués, j’ai une certaine inquiétude… Il faut que l’EFRAG soit financée à la hauteur des objectifs et des demandes de l’UE. Un vrai travail est actuellement fait en Europe. Cependant, les moyens financiers ne sont pas les mêmes que ceux des anglo-saxons. A priori, le premier paquet de standards (plus d’une centaine en dehors de secteurs spécifiques et à hauts risques) de l’EFRAG sera rendu publics en juin 2023. J’espère que nous pourrons tenir le délai.

L’Union européenne légifère beaucoup ces derniers temps sur la thématique de l’ESG : on pense à la taxonomie, la future directive CSRD et au devoir de vigilance, par exemple… Le même travail déclaratif ne risque-t-il pas d’être imposé plusieurs fois aux entreprises ?

Nous avons évidemment conscience de cela. Ces différentes briques doivent se mettre en place pour former un ensemble cohérent tout en évitant de verser dans une logique de silos. Il est évident qu’il y aura un lien entre « l’obligation de dire », imposée par la directive CSRD et la future « obligation de faire » que portera le texte sur le devoir de vigilance. Nous n’allons pas imposer aux entreprises de faire des reporting sur certains sujets pour ensuite ne pas leur demander de les mettre en œuvre ou de les respecter. Il y aura une recherche de complémentarité. Très rapidement nous allons essayer de faire en sorte, par exemple sur le plan climat – le seul sujet intéressant l’administration Biden à ce stade -, de converger en trouvant des normes et des standards communs. C’est une évidence. Nous y sommes arrivés en matière financière ; on doit pouvoir y arriver en matière extra-financière.

Les Etats membres pourront-ils prendre des options en termes de transposition ? Une marge de manœuvre leur est-elle laissée ?

La directive laisse une place à la transposition nationale. Il va donc y avoir des adaptations en fonction des spécificités de chaque Etat. Cependant, nous allons bénéficier d’une plateforme centrale – c’est un projet de la Commission européenne sur lequel le Parlement travaille – qui servira d’espace déclaratif commun pour toutes les entreprises de l’UE. C’était une demande des investisseurs et des ONG. A partir de là, il sera possible d’étudier comment les entreprises remplissent leurs obligations déclaratives. Et de la même manière, de voir dans quels Etats membres les sociétés déclarent plus ou moins d’éléments. Je pense donc qu’il y aura un temps d’adaptation mais qu’on ira vers une convergence européenne assez forte.

Il n’y a pas d’ « opt-out » prévu par le texte. En d’autres termes, aucun Etat n’a demandé à être exonéré de telles ou telles obligations.

La part de marché des big four peut être extrêmement importante dans certains Etats (en Allemagne ou dans les pays de l’est, par exemple). Lorsque l’un de ces cabinets de conseil va engager sa signature auprès de sociétés, il est peu probable qu’il le fasse différemment en République Tchèque ou en France, par exemple. La cohérence d’ensemble viendra aussi du réseau d’experts sollicités.

Un groupe présent en Europe pourra-t-il émettre une seule déclaration ?

Oui. Il y a cependant un garde-fou : lorsqu’une filiale a des « pratiques différenciées » par rapport à sa société mère. Prenons l’exemple d’un grand groupe de textile : il peut avoir des politiques d’achat au niveau du groupe ou sur le respect des droits humains ou la non-pollution de cours d’eau dans une autre région du monde. Le groupe émettra des déclarations en ce sens. Mais si une filiale développe ses propres politiques, dans ce cas, la holding devra aussi déclarer ces « politiques différenciées » tout en mentionnant expressément la filiale concernée. Les sociétés auront donc le devoir de déclarer des pratiques notablement divergentes.

Pour les entreprises non européennes, elles devront être vigilantes sur les conditions d’applicabilité du dispositif à leurs activités. Si elles ont une filiale en Europe et qu’elle rentre dans les seuils, alors cela ne posera pas de difficulté. En revanche, pour les sociétés qui font de la vente directe au sein de l’UE et qui réalisent un chiffre d'affaires très important, le texte n’est pas très clair. Il va falloir qu’on trouve les éléments juridiques à mettre en musique. Il y aura vraisemblablement des actes délégués de la Commission européenne. Nous devons auparavant voir ce que la Commission sera en capacité de faire ou non.

Ce texte est-il une manière de mettre fin au greenwashing ?

Je ne suis pas en mesure de dire cela. Je peux dire que ce texte permet de réguler les carrefours avec des feux rouges et des feux verts. Il y aura toujours des gens qui pourront brûler des feux rouges. Et il faut qu’il y ait des services de police pour pouvoir les sanctionner. Mais globalement, avec des feux rouges et verts, on régule 99,9 % de la circulation à un carrefour. C’est ce qui devrait se passer. Nous sortons d’un momentum où plusieurs milliers de déclaratifs diffèrents sont utilisés autour de l’extra-financier. C’est la part belle au greenwashing car certains opérateurs déclarent ce qu’ils veulent. D’autres ne déclarent rien du tout. Certains présentent seulement ce qui les arrange. Et d’autres font preuve d’une réelle volonté de transparence mais sont en concurrence avec ceux qui ne respectent pas les mêmes règles.

Demain, cela sera fini. Nous aurons de vraies normes, qui seront les mêmes pour tous. Des secteurs seront identifiés. Des contrôles et des engagements d’experts-comptables et de commissaires aux comptes seront portés sur ces déclaratifs. Nous allons donc sortir de l’arbitraire. Une nouvelle période s’ouvre. On fait bouger les lignes des objectifs et des moyens des sociétés commerciales au 21e siècle. Celui-ci ne pourra plus être exclusivement financier, il intégrera des externalités plus fortes et les entreprises participeront à un enjeu et à un effort global, notamment le respect de l’Accord de Paris qui ne relève pas seulement de la volonté étatique. Elles répondront mieux aux attentes des parties prenantes, consommateurs et société civile, mais également des investisseurs. On ne pourra plus aussi facilement, par exemple, faire fabriquer puis réimporter des produits fabriqués selon des règles sociales ou environnementales interdites chez nous. Cela ne marchera plus.

propos recueillis par Sophie Bridier

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