Discriminations au travail : "Il faut travailler sur ce qui nous échappe et sur la prise de conscience des stéréotypes"

Discriminations au travail : "Il faut travailler sur ce qui nous échappe et sur la prise de conscience des stéréotypes"

07.03.2017

Gestion du personnel

La formation est l'un des aspects de la lutte contre les discriminations au travail. David Malgrain, qui dirige le cabinet Demactive Conseil, propose aux entreprises des sessions de formation afin de déconstruire les préjugés et permettre aux dirigeants comme aux salariés de s'interroger sur leur propre responsabilité en matière de lutte contre les discriminations.

La loi Egalité et citoyenneté a créé une obligation de former les recruteurs à la non-discrimination au moins une fois tous les cinq ans. Cette obligation concerne les entreprises spécialisées dans le recrutement ainsi que les entreprises d'au moins 300 salariés (nouvel article L. 1131-2 du code du travail). Ce travail d'accompagnement et de formation des entreprises dans la prévention des comportements discriminatoires, David Malgrain le mène depuis 8 ans au sein de son cabinet conseil Demactive Conseil, après un parcours au sein de Shell, dont les trois dernières années en tant que DRH d'une de ses filiales. Il aide principalement des entreprises du secteur privé. "Les PME entre 50 et 200 salariés qui n'ont pas de services RH sont les premières intéressées par cet accompagnement", explique-t-il. "Il y a une prise de conscience des entreprises à travailler sur la non-discrimination ; elles ne peuvent plus faire l'impasse sur le sujet".

Former et non seulement sensibiliser

"Les entreprises qui nous sollicitent ont deux types de demandes. Celles qui sont dans une nécessité de transformation et qui ont besoin d'un accompagnement pour franchir les étapes ou les entreprises confrontées à un problème bien particulier et qui veulent s'inscrire dans une logique de prévention". Certaines situations méritent d'être approfondies, insiste-t-il, par exemple celle d'un salarié qui se plaint d'être victime de harcèlement ou de discrimination. "Cela révèle une situation et un mal-être qu'il faut questionner même s'il n'y a finalement pas de comportement fautif".

"Nous traitons ces situations en procédant à des investigations, mais aussi par de l'écoute, de la médiation interne et de la conciliation. En parallèle, il s'agit de se demander comment prévenir ce genre de situation via des dispositifs de formation. D'ailleurs, David Malgrain insiste : "Il faut parler de formation et non de simple sensibilisation car il s'agit bien de compétences à acquérir. La sensibilisation vient en plus de la formation mais surtout pas au détriment de la formation ! Seul un processus de formation permet de mesurer les effets des compétences développées".

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Responsabiliser chacun à la lutte contre les discriminations

Ses formations s'adressent à tous : salariés, managers, cadres RH. Elles s'articulent autour d'un tronc commun composé de trois volets. Le premier axe consiste à partager un langage commun car "chacun peut avoir des définitions très différentes". Le deuxième volet vise à présenter le cadre légal et les sanctions encourues. "Mais cela ne suffit pas", souligne-t-il. Il faut - et c'est là le troisième aspect de la formation - mettre l'accent sur les conséquences individuelles autant que sur le collectif. "Nous travaillons sur ce qui nous échappe et sur la prise de conscience des stéréotypes. Il s'agit de s'interroger sur la manière dont on peut être à l'origine de discriminations grâce à des exercices qui permettent de faire émerger cela avec bienveillance et sans aucun jugement. Il s'agit de déclencher le principe du questionnement et de repartir avec ce même questionnement sur ses propres pratiques professionnelles". L'idée sous-jacente est de responsabiliser chacun car "tout le monde a sa part à prendre dans la non-discrimination".

Ce sont des questions simples qui permettent de mettre en lumière les préjugés que chacun peut avoir. "Tout poste dans une entreprise peut-il être occupé par une personne en situation de handicap ?". "En posant cette question, nous voyons alors surgir les clichés sur le handicap, notamment celui qui associe personnes en situation de handicap et fauteuil roulant alors que 98% des personnes handicapées ne sont pas concernées".

Trop de motifs de discrimination

Quel regard porte-t-il sur l'évolution du droit de la non-discrimination qui a fortement évolué ces dernières années avec cette tentation récente d'allonger la liste des motifs de discrimination ? "Jusqu'au lieu de résidence, cela allait. Puis on a ajouté la perte d'autonomie, la précarité sociale, la capacité à maîtriser une langue autre que le français, la domiciliation bancaire. Je partage le point de vue du Défenseur des droits ; nous sommes arrivés à introduire dans la loi de 2008, non plus des critères de discrimination qui tiennent à l'identité, mais des situations de discrimination. Le législateur a totalement oublié que la discrimination pouvait être autant directe qu'indirecte. La capacité à parler une langue autre que le français, par exemple, est une situation potentielle de discrimination indirecte en raison de son origine ; la perte d'autonomie peut - elle - être reliée à l'état de santé. C'est de plus en plus complexe ; le risque est de décrédibiliser la lutte contre les discriminations et de perdre en lisibilité".

Les multiples visages de la discrimination liée au lieu de résidence

Le critère du lieu de résidence donne d'ailleurs lieu "à beaucoup d'échanges lors des formations", constate David Malgrain. "Ce motif a été introduit pour prendre en compte les discriminations rencontrées par les résidents de quartiers défavorisés, notamment la stigmatisation qui peut toucher certaines zones de la Seine-Saint-Denis (93). Mais ce motif pourrait être retenu, selon lui, dans d'autres situations bien différentes de celles pour lesquelles elles ont été prévues. "La question se pose aux recruteurs qui hésitent à embaucher des personnes qui habitent loin", assure-t-il. "En se disant par exemple que la personne dont le domicile est éloigné du lieu de travail sera en retard, l'entreprise apporte des réponses à la place du candidat et anticipe sa volonté au détriment de ses motivations. La discrimination commence déjà là. En questionnant cela, on fait vaciller des repères. Il faut faire comprendre aux employeurs qu'ils se privent de certains profils qui peuvent être transformés en opportunités de recrutement".

Florence Mehrez
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