Discriminations liées à l'origine : le Défenseur de droits recommande la publication d'indicateurs dans les entreprises

Discriminations liées à l'origine : le Défenseur de droits recommande la publication d'indicateurs dans les entreprises

24.06.2020

Gestion du personnel

Dans un rapport publié lundi, Jacques Toubon, le Défenseur des droits, dresse un bilan plus que mitigé de la lutte contre les discriminations liées à l'origine. Face à des politiques publiques qui se révèlent peu efficaces, il propose de nouveaux leviers d'action mettant davantage à contribution les entreprises.

C'est un constat sans concessions que livre le Défenseur des droits, Jacques Toubon, dans un dernier rapport publié lundi sur les discriminations liées à l'origine. Des politiques publiques incapables depuis des années de se saisir de la question des discriminations sur le marché du travail, en ne s'attaquant pas au coeur de la question. Soit en l'appréhendant par le biais du concept flou de diversité, soit en la délayant dans la politique de la ville. Les voies contentieuses ne se révèlent pas forcément plus efficaces.

Face à cet immobilisme, le Défenseur des droits propose de nouveaux leviers d'action, sollicitant davantage les entreprises et la prévention. 

Développer une approche systémique de la discrimination

La question reste toujours aussi prégnante avec 35,5 % des saisines reçues par le Défenseur des droits en 2019 liées à ce type de discrimination. Le Défenseur des droits commence par prôner une approche systémique des discriminations. "Les discriminations liées à l’origine s’inscrivent dans un ensemble de représentations et de préjugés traversant l’ensemble de la société. Profondément ancrés dans nos structures sociales et mentales, ces biais cognitifs renvoient l’individu à une identité sociale dévalorisée, qui sous-tend les pratiques inégalitaires (...)".

Une approche systémique qui met le doigt sur les conséquences individuelles d'un tel système. "Lorsqu’ils sont discriminés ou stigmatisés, les individus sont confrontés à une « épreuve subjective de dissociation », c’est-à-dire à un processus qui les assigne à une identité dans laquelle ils ne se reconnaissent pas (...) Si la pudeur ou la lassitude rendent parfois la souffrance moins dicible ou visible, les personnes discriminées n’en sont pas moins affectées par de fortes réactions émotionnelles et des blessures individuelles, plus ou moins profondes, infligées par l’expérience de discrimination : colère et indignation, altération de l’estime de soi, peur d’être paranoïaque, dégradation de la santé et du bien-être, dépression, etc". 

Ces personnes développent alors des stratégies de contournement en privilégiant par exemple l’exercice d’une profession avec un statut d’autoentrepreneur ou libéral, ou bien le choix d’un emploi dans des secteurs caractérisés par une forte proportion de personnes immigrées ou descendantes d’immigrés. Ou bien encore l'expatriation vers des pays "plus ouverts à la différence". Des stratégies qui "enferment", déplore le Défenseur des droits.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

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Des politiques publiques parcellaires et inefficaces

Face à cette situation, les dispostifs développés n'ont pas su apporter de réponses adaptées. Tel est le cas des politiques de diversité qui s'articulent autour d'une "autorégulation des organisations (dont la Charte et le Label diversité) et qui ne se sont pas traduits "par des accords et des objectifs précis avec les partenaires sociaux". Les testings - dont une nouvelle vague va être lancée par le gouvernement - ne sont pas la panacée s'ils ne sont pas suivis d'effets. "Si des études par testing commandées par le gouvernement ont pu mettre en lumière la réalité des discriminations à l’embauche fondées sur l’origine, ces initiatives sont restées ponctuelles et n’ont été articulées à aucune action corrective". De la même manière, aborder la question des discriminations dans l'emploi par le prisme des politiques de la ville "traduit en réalité un affaiblissement de la prise en charge politique des discriminations fondées sur l’origine, la référence au territoire ou au lieu de résidence se substituant à celle de l’origine", déplore le rapport. "De manière plus générale, le ciblage des quartiers de la politique de la ville induit des actions centrées sur leurs habitants et habitantes et opère ainsi un « insidieux basculement » et un retour au répertoire de « l’intégration » : plutôt que d’interroger la discrimination comme « problème public »...".

Des actions en justice limitées

Côté contentieux, la situation ne se présente guère sous de meilleurs auspices. "Malgré la prévalence des discriminations fondées sur l’origine, le taux de non-recours reste très élevé : parmi les personnes ayant rapporté avoir vécu une discrimination dans l’emploi en raison de leur origine, seuls 12 % environ ont entamé une démarche judiciaire", constate le rapport. "Tout d’abord, les victimes peinent parfois à s’identifier comme telles, du fait du caractère voilé de la discrimination, de l’absence de preuves ou la peur d’être jugées paranoïaques, voire considèrent leur dénonciation comme illégitime (notamment dans le cas d’immigrés n’ayant pas la nationalité française). Ensuite, les signalements directs auprès des employeurs (...) semblent peu pris en compte et donnent trop peu souvent lieu à de véritables enquêtes et sanctions éventuelles". En outre, bien souvent, sont prononcées "des condamnations isolées", "avec un impact financier minimal pour l’entreprise, et sans conséquence sur les pratiques et relations sociales au sein de l’organisation". Enfin, "les réparations imposées par la justice aux entreprises sanctionnées se limitent à des dommages et intérêts fondés principalement sur la compensation des rémunérations perdues, ou des dommages moraux symboliques, ce qui reste peu coûteux pour l’organisation sanctionnée et ne porte pas d’effet de dissuasion pour les autres". 

Créer des indicateurs dédiés

Face à ce constat, le Défenseur des droits estime nécessaire de mettre davantage à contribution les entreprises. Il préconise ainsi d'inscrire la lutte contre les discriminations liées à l'origine dans la politique RSE des entreprises. Il s'agirait alors de créer une obligation légale de publier des indicateurs non financiers et statistiques, de mesurer les risques discriminatoires et d’évaluer l’efficacité des mesures mises en œuvre pour les contrer. En intégrant cette question à la RSE, l'objectif du Défenseur des droits est d'amener les entreprises à établir un véritable plan d’action avec un calendrier, des objectifs clairs, des méthodes d’action concrètes et la définition des acteurs chargés de mettre en œuvre cette politique au sein de l’organisation avec consultation en amont des élus. 

L'entreprise commencerait par formaliser l’engagement de la direction de l’entreprise puis réaliserait un diagnostic ou un état des lieux des risques discriminatoires dans l’entreprise et, enfin, mettrait en place des indicateurs. D'autres actions doivent être menées en parallèle : sensibiliser et former le personnel, promouvoir les principes d’objectivité, de transparence et de traçabilité des procédures et des critères appliqués, mise en place d'un dispositif permettant de prévenir et de traiter les signalements de discriminations.

Un autre levier d'action consiste à réaliser un audit des risques discriminatoires en analysant les procédures et les pratiques "afin d’alerter sur les pratiques risquant de produire des discriminations et le cas échéant de produire des actions correctives (révision des procédures, mise en place de bonnes pratiques, formation et sensibilisation des acteurs concernés)". L'audit se déroulerait selon plusieurs étapes : 

  • évaluer les risques discriminatoires ;
  • proposer des objectifs et des actions correctives et prévoir des évaluations périodiques ;
  • préciser les procédures RH de l’établissement concerné à partir d’une analyse documentaire (outils RH, documents de communication internet ou de reporting) ;
  • confronter ces procédures aux pratiques existantes, en observant le fonctionnement des services RH en situations concrètes et en interrogeant les acteurs concernés.
Florence Mehrez
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