Dispositif d’alerte et enquête internes : quelles bonnes pratiques ?

Dispositif d’alerte et enquête internes : quelles bonnes pratiques ?

07.04.2025

Gestion d'entreprise

A l’occasion de la sortie de 2 guides « Dispositif d’alerte interne » et « Enquête interne » réalisés conjointement par l’AFJE et le CEA, plusieurs directeurs juridiques et professionnels de la compliance ont livré leurs réflexions et bonnes pratiques.

Si les dispositifs d’alerte interne sont aujourd’hui bien encadrés et développés au sein des entreprises qui doivent les mettre en place, il n’en reste pas moins source de nombreuses interrogations. Il en va de même pour les enquêtes internes qui leur succèdent et qui en plus ne disposent pas de cadre légal. Qu’en est-il réellement au sein des entreprises ? Quelles questions restent incertaines et quelles bonnes pratiques peuvent-elles mettre en place ? Des questions auxquelles ont répondu des membres de l’AFJE (association française des juristes d’entreprise) et du CEA (Cercle d’Ethique des affaires) lors de deux tables rondes organisées le 3 avril à l’Université Paris Dauphine. 

Culture de conformité et d’éthique 

Créé par la loi Sapin 2, complété par la loi Waserman de 2022 - sans oublier les apports du code du travail, les recommandations et décisions de la CNIL, du Défenseur des droits… - le dispositif d’alerte interne est aujourd’hui « suffisamment équilibré pour préserver à la fois les intérêts de l’entreprise, l’intérêt général, la protection du lanceur d’alerte », introduit Jean-Yves Trochon, senior advisor chez Roëdl & Partner. Il permet aussi de diffuser une culture de conformité et d’éthique dans l’entreprise « qui est la meilleure garantie de pérennité de l’entreprise et de sa compétitivité », selon lui. 

Pour mettre en place, un dispositif d’alerte interne, il faut d’abord définir un périmètre et un cadre : dispositif général, anticorruption, dispositif lié au devoir de vigilance, dispositif sectoriel… et pour tous ces dispositifs, la question se pose de créer un dispositif global ou par typologie d’alerte. La recommandation est de « faire une seule procédure pour donner plus de visibilité au lanceur d’alerte » et lui expliquer « à qui s’adresser et comment s’y adresser », explique Carmen Briceno, directrice juridique et conformité du groupe Raja, responsable de la commission compliance de l’AFJE. 

Il s’agit ensuite de rédiger la procédure ce qui n’est pas sans poser problème. Avant cette étape, « un des enjeux est de savoir comment articuler le dispositif groupe versus les dispositifs mis en place dans les entités, filiales etc. », rappelle Iohann Le Frapper, Group chief ethics officer de SNCF, membre de la commission compliance. Sur ce point, le guide livre une bonne pratique : « la mise en place d’un mandat donné par chaque entité à la holding qui va gérer le recueil des alertes, voire leur traitement, en particulier pour les alertes les plus sensibles », poursuit-il. Se pose aussi la question du champ d’application d’une alerte éthique dont la clarification est essentielle dans la procédure mais aussi en sensibilisation des équipes, des acteurs RH… ou encore celle des conditions de traitement des alertes anonymes sans oublier la description dans la procédure du statut de lanceur d’alerte protégé… 

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Acceptabilité croissante du dispositif d’alerte 

Pour que la procédure soit efficace, « il est nécessaire d’avoir une communication claire, transparente et fréquente du dispositif d’alerte en interne et en externe », indique Carmen Briceno. Et cette communication est d’autant plus importante qu’elle va être contrôlée par les autorités. Il faut aussi communiquer avec les lanceurs d’alerte, les institutions représentatives du personnel, les dirigeants… Cela pose aussi la question de la transparence vis-à-vis du lanceur d’alerte une fois le dispositif actionné, l’enquête déclenchée… Or, l’entreprise n’est pas tenue de communiquer. 

Malgré ces difficultés, tous les intervenants constatent une acceptabilité croissante des dispositifs d’alerte interne. En témoigne le nombre d’alertes qui augmente sans cesse. Par exemple à la SNCF, le nombre d’alertes a dépassé les 1 300 en 2024. Sans que cela signifie une « acceptabilité totale », « le système fonctionne et produit des effets tangibles », témoigne Iohann Le Frapper. Le nombre d’alerte augmente aussi au sein du groupe LVMH. Estelle Gabillet, head of ethics & compliance de Parfums Christian Dior qui fait partie du groupe indique que « 90 % utilisent la plateforme en grande majorité de façon anonyme » mais récemment l’anonymat diminue « ce qui montre une certaine confiance », poursuit-elle. Chez ADP, le nombre d’alertes ne cesse d’augmenter aussi. « Entre 2019 et 2024, il est passé de 30 à 90 alertes » et « sur le périmètre international, qui est sûrement un effet de la communication efficace, le nombre d’alertes venant des filiales à l’étranger a explosé », explique Arnaud Nicolas, enquêteur interne pour le groupe ADP. Autre tendance récente : l’instrumentalisation de l’alerte ou l’enquête éthique est un recours à une enquête précédente considérée comme insuffisante ou insatisfaisante. 

Mais quoi qu’il en soit, qui dit utilisation du dispositif d’alerte, dit enquête interne. Louis Colin, délégué général du CEA constate « une structuration, une institutionnalisation de l’enquête interne » sans pour autant avoir « un cadre légal arrêté, c’est une pratique évolutive en entreprise ». 

Développement d’une culture d’enquête dans l’entreprise 

Et pour que le dispositif fonctionne, tout comme l’enquête interne ensuite, il faut mettre en place une gouvernance au sein de l’entreprise ce qui n’est pas toujours simple : « quels sont les acteurs du recueil de l’alerte ? Y a-t-il des acteurs différents pour le traitement des alertes ? Y a-t-il une tour de contrôle qui bénéficie de l’indépendance venant de la direction générale pour piloter le dispositif à l’échelle groupe ? Quels sont les référents « alerte » dans les différentes entités ? … « Tout doit être organisé » rappelle Ioann Le Frapper. Même discours pour l’enquête. Les entreprises se dotent de plus en plus de professionnels pour les mener parce que c’est un métier. « LVMH vient d’embaucher un enquêteur », indique Estelle Gabillet. « J’ai cet appui, la référente enquête et ensuite j’ai un pool RH, contrôle interne et juridique mais ce n’est pas un comité vraiment établi ». C’est au cas par cas en fonction de la nature de l’enquête. 

Ensuite les discussions portent sur : est-ce une alerte au sens de la loi ou est-ce un malaise d’un collaborateur ». Qui qualifie ? Le comité. Chez ADP, il y a également un examen de recevabilité à travers des critères figurant dans la charte de traitement des alertes. « Au niveau de la direction de l’éthique, on intègre aussi depuis peu les filiales concernées pour avoir des éléments de contexte que nous n’avons pas à Paris », explique Arnaud Nicolas. « Une fois que l’alerte est recevable, se déclenche une structure collégiale qui est un comité de traitement », poursuit-il. Il est composé de plusieurs personnes : la directrice de l’éthique, l’enquêteur, un responsable du pôle investigation et toute autre compétence intéressante (achat, juridique…) en fonction de l’alerte. « Son objectif est de cadrer le traitement de l’alerte, la stratégie d’enquête, valider les actions de traitement, des enquêteurs… » précise l’enquêteur interne d’ADP. L’institution d’« organe collégiale de décision » a été retenue comme une bonne pratique dans le guide.  

Chez ADP toujours, il y a 2 enquêteurs et un responsable et dans les filiales, ils s’appuient sur le réseau de compliance officer. « On a commencé à former sur la méthodologie de l’enquête car c’est un enjeu à l’échelle d’un groupe d’avoir une approche commun » sachant qu’on a parfois des cultures d’investigation très différentes », témoigne Arnaud Nicolas. Chez LVMH, Estelle Gabillet indique disposer d’une sorte de clausier, un guide où sont compilés toutes sortes de documents, lettres et messages types correspondant à chaque situation et étape de l’enquête. Pareil chez ADP. Pour Louis Colin, délégué général du CEA, « c’est un peu le « starter pack de l’enquêteur ». S’en suivent la conduite de l’enquête, les entretiens, le rapport d’enquête qui ne sont pas sans soulever de nombreux points sensibles abordés dans le guide. 

Avec le dispositif d’alerte interne, c’est une culture d’enquête dans l’entreprise qui a vu le jour et qui aujourd’hui interroge sur l’opportunité de créer un statut d’enquêteur car il comporte de nombreuses difficultés. Pour Arnaud Nicolas, enquêteur interne pour le groupe ADP, « Il y a une forme d’exposition. C’est un statut particulier. Et avec le recul de la pratique, c’est aussi un métier à reconnaître et à protéger au sein de l’entreprise ». 

Laurine Tavitian
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