DMA : les déclinaisons techniques du texte juridique

08.01.2023

Gestion d'entreprise

La Commission européenne travaille actuellement à l’interprétation pratique, et surtout technique, des règles fixées par le Digital Market Act (DMA). Une étape-clé pour l’efficience de cette nouvelle règlementation antitrust.

Petit à petit, le DMA fait son chemin. Entré en vigueur le 1er novembre 2022, ce nouveau cadre antitrust européen sera progressivement applicable à partir de mai 2023. Il constitue la première grande initiative pour réguler, en sus des règles du droit de la concurrence, la position ultra dominante des géants du numérique qui contrôlent l’accès (gatekeepers) à certains services en ligne (moteurs de recherche, places de marché, réseaux sociaux, etc.). Objectif : limiter les pratiques restrictives de concurrence afin de rétablir une concurrence plus ouverte entre les méta-plateformes et les autres acteurs sur le marché européen, et ainsi favoriser l’innovation et l’émergence de plateformes européennes.

Un processus collaboratif pour élaborer le règlement d’application

Adopté avec une très grande rapidité pour un texte de cette ampleur (2 ans contre 8 ans pour le RGPD), le DMA impose aux méta-plateformes toute une série d’obligations et d’interdictions qu’il convient encore de traduire sur le plan technique. Pour ce faire, la Commission européenne conduit actuellement un large processus de consultation pour définir les modalités d’application pratiques de mise en œuvre des règles fixées par le texte.

Cette démarche collaborative s’appuie notamment sur des workshops et des consultations publiques. Le premier atelier a eu lieu le 5 décembre dernier sur le thème de l’auto-préférence (le fait pour un acteur de favoriser ses propres services et produits). D’autres ateliers thématiques sont prévus en 2023. La première consultation publique a été lancée mi-décembre pour une durée d’un mois. Elle vise plus particulièrement les aspects procéduraux liés à l’application du DMA, tels que le droit des parties d’être entendues et d’accéder au dossier, ainsi que les éléments figurant dans les formulaires de notification.

Les forces et faiblesses de la nouvelle législation

« Le DMA est un texte révolutionnaire dans la mesure où il impose des règles ex-ante à des acteurs du numérique qui vont devoir les intégrer sous peine de sanctions. Cela a déjà été fait dans le secteur des télécoms mais pas dans le numérique », souligne Laurent Godfroid, avocat spécialisé en droit de la concurrence et associé du cabinet Gide à Bruxelles.

Mais pour mettre en œuvre et faire respecter ces nouvelles règles très techniques, Bruxelles va devoir se doter de solides ressources et compétences en la matière. « La Commission a dit qu’elle allait beaucoup recruter et mettre en place une direction chargée de la mise en œuvre de ce texte », rappelle l’avocat, pour qui le lancement de la phase de consultation est « un signal positif donné au marché » quant à la détermination de Bruxelles d’avancer, et vite.

Le corpus des sanctions prévues – financières, puis d’ordre structurel en cas d’infractions répétées – est-il dissuasif pour les géants du numérique ? « Ils ont atteint une telle surface financière que je ne suis pas sûr que les sanctions financières les affectent. En revanche, la sanction d’ordre structurel peut être catastrophique pour eux, c’est la véritable épée de Damoclès. » Reste que « c’est le juge qui va trancher en dernier ressort et il va donc falloir attendre les premiers contentieux pour connaître la règle ultime et les interprétations de la règle. Cela va prendre du temps. »

Dans quelle mesure le DMA peut-il réussir à changer la donne en termes de level playing field et à booster l’innovation chez les Européens ? « Je pense que cela va rééquilibrer les choses mais je ne suis pas sûr que cela suffira car il y a des efforts à faire en matière d’investissements pour permettre aux acteurs européens de faire face à la concurrence de ces géants qui continuent de grossir. Faudra-t-il interdire qu’ils puissent procéder à des killing acquisitions à l’avenir, ou tout simplement les démanteler ? »

Une temporalité jugée « très longue »

Quelles sont les attentes à l’égard du DMA du côté des concurrents européens des géants du numérique ? Chez Qwant, un des acteurs européens du search confrontés à la position ultra dominante du moteur de recherche de Google, la présidente, Corinne Lejbowicz, estime que

« le simple fait de passer de mesures réactives – des procès qui durent 10 ans – à des mesures proactives constitue un grand pas, c’est un changement important et porteur d’espoir pour nous. La Commission doit acquérir une grande expertise technique de chaque métier et le processus de consultation qu’elle conduit avec les acteurs de chaque écosystème est également très positif, c’est une démarche très pragmatique. »

Mais « tout cela va prendre du temps » et c’est là « un des points faibles de la méthodologie : la temporalité est très longue », poursuit-elle. Selon le calendrier annoncé, Bruxelles doit désigner les premiers gatekeepers entre juillet et septembre 2023, et ces derniers auront alors 6 mois pour se mettre en conformité avec le DMA, soit d’ici mars 2024.

« Tout va dépendre de la mise en musique du DMA »

Pour l’heure, il y a encore un grand nombre d’inconnues quant aux modalités pratiques, et surtout techniques, d’application des règles, et il est difficile d’évaluer l’efficacité future de ce nouveau cadre juridique. « Tout va dépendre de la mise en musique du DMA, de la façon plus ou moins équilibrée avec laquelle il va être mis en œuvre », explique Raphaël Auphan, directeur général de Qwant.

Le caractère équilibré de la déclinaison pratique du DMA va dépendre, en premier lieu, « de la capacité de la Commission à faire face au fort lobbying des géants du numérique », lequel constitue « un véritable frein à une mise en musique efficace du texte », poursuit-il. Très présents à Bruxelles, les GAFAM sont très bien représentés lors des échanges avec la Commission. « Ils viennent en grand nombre aux réunions : quand nous avons un représentant, eux en ont 25… » Face à ce lobbying très puissant et organisé, « la multiplicité des acteurs européens sur certains marchés est une source de complexité pour la Commission ». Cela pose la question « de l’intermédiation, de l’intérêt d’avoir un interlocuteur désigné pour chaque écosystème » pour mieux se faire entendre. « Sur le marché du search, on y arrive, parce que nous ne sommes que quatre ou cinq acteurs européens. »

De la règle de droit à son interprétation technique

Le caractère équilibré de la mise en musique du DMA va aussi dépendre « des moyens déployés par la Commission pour répondre aux nombreux points techniques » à résoudre pour traduire en pratique les obligations prévues par le texte, et qui sont autant de contraintes techniques que les gatekeepers vont nécessairement chercher à contourner ou alléger. Par exemple, en ce qui concerne les dispositions prévues à « l’article 6.11 sur le partage des logs de recherche [données concernant les requêtes, les clics et les vues], l’intention est bonne, mais tout va dépendre de son interprétation et de la façon dont l’obligation sera mise en œuvre sur le plan technique », explique Raphaël Auphan.

Et si au final les modalités d’application du DMA s’avéraient être équilibrées, cela pourrait-il changer la donne en matière d’innovation technologique en Europe ?

« Un cadre juridique peut contribuer à favoriser l’innovation mais ce n’est pas suffisant, il faut aussi que les choses évoluent en matière de financement de l’innovation en Europe », répond-il.

« C’est le bon moment pour se manifester »

Ces derniers mois, la Commission a reçu plusieurs courriers faisant état de « signalements » ou de « recommandations » liés au DMA. Ainsi, en juillet dernier, Qwant, DuckDuckGo et Ecosia, qui sont les principaux acteurs européens du search, ont cosigné une lettre ouverte dans laquelle ils émettent dix recommandations pour assurer une réelle liberté de choix du navigateur et du moteur de recherche. En octobre, la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, a reçu un courrier adressé par une quarantaine de comparateurs de prix en ligne européens et l’invitant à se pencher, à la lumière du DMA, sur la place qu’occupe Google Shopping dans les résultats après une requête avec Google Search. En novembre, c’est une association de défense des droits de l’homme, le Conseil irlandais des libertés civiles, qui a adressé une lettre à la Commission européenne pour dénoncer l’utilisation – jugée abusive – que ferait Facebook des données qu’il collecte. « C’est le bon moment pour se manifester et une bonne façon de procéder puisque la Commission travaille dans une démarche qui se veut collaborative », explique la présidente de Qwant, Corinne Lejbowicz.

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Miren Lartigue
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