Droit des contrats : "La réforme tranche le débat sur le moment de la formation du contrat", selon Nicolas Molfessis

Droit des contrats : "La réforme tranche le débat sur le moment de la formation du contrat", selon Nicolas Molfessis

17.02.2016

Gestion d'entreprise

La réforme du droit des contrats oscille entre consécrations jurisprudentielles et innovations concernant la formation, la conclusion et l’inexécution du contrat.

L’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, publiée au Journal Officiel du 10 février dernier (voir notre article) a plusieurs mérites, notamment ceux de trancher le débat sur le moment de la formation du contrat, de consacrer la phase de négociation précontractuelle, de rendre nul le contrat conclu en violation d’une promesse unilatérale et de poser le principe de l’exécution forcée en nature.

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Explications avec Nicolas Molfessis, professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas et secrétaire général du Club des juristes.

Cet article fait partie d'une série que nous dédions cette semaine à la réforme du droit des obligations.

Que change l’ordonnance quant à  la formation et la conclusion des contrats ?

Au sein de l'ordonnance figure un nombre important de dispositions sur la formation du contrat qui viennent traiter de sujets laissés sous silence par le Code de 1804 (Chapitre II, section 1), notamment toute la phase de négociation précontractuelle qui s’est développée sous l’influence de la jurisprudence, ainsi que les avant-contrats.

S’agissant de la partie relative aux négociations précontractuelles, la réforme vise surtout à inscrire dans le code des solutions issues de la jurisprudence. Le code pose désormais un principe de liberté contractuelle dans l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations. En même temps, il précise que les négociations précontractuelles doivent satisfaires aux exigences de la bonne foi. Il consacre également la jurisprudence « Manoukian » de la Cour de cassation : en cas de faute commise au cours des pourparlers, la réparation ne doit pas avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu (article 1112 alinéa 2).

La réforme innove en consacrant une obligation d’information (article 1112-1), qui ne devrait pas venir contredire, toutefois, les solutions actuelles du droit positif. Ainsi, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation, ce qui constitue une reprise de la jurisprudence « Baldus » de la Cour de cassation. L’information visée est celle dont l’importance est « déterminante pour le consentement de l’autre », ce qui renvoie principalement à des hypothèses classiquement sanctionnées sur le terrain des vices du consentement.

Le lieu de formation du contrat est celui de l’acceptation, ce qui est nouveau dans le code civil

La deuxième sous-section porte sur l’offre et l’acceptation. La réforme tranche le débat concernant le moment de la formation du contrat - rencontre entre l’offre et l’acceptation - qui est récurrent devant les tribunaux. Cette question classique est traitée par l’article 1121, selon lequel le contrat est conclu dès que l’acceptation parvient à l’offrant. Le lieu de formation du contrat est aussi celui de l’acceptation, ce qui est nouveau dans le code civil.

Dans ces dispositions, un certain nombre d’articles concernent le régime de l’offre, la liberté de la rétracter tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire ou le fait qu'elle est caduque à l’expiration de son délai ou d’un délai raisonnable.

La réforme définit-elle justement la notion de délai raisonnable ?

Plusieurs dispositions de cette réforme renvoient au délai raisonnable. En l’occurrence, l’offre sans délai a, par nature un délai raisonnable, selon la solution classiquement posée en jurisprudence. Il est sain et de bonne méthodologie que la réforme ne définisse pas la durée raisonnable de l’offre car l’appréciation relève du pouvoir du juge.

Que doit-on retenir désormais du pacte de préférence et de la promesse unilatérale ?

Le pacte de préférence reçoit d’abord une définition. Ensuite, le code civil traite désormais de la question de la conclusion d’un contrat avec un tiers en violation de la préférence octroyée à son bénéficiaire. Sur ce point, l’article 1123 reprend la jurisprudence en prévoyant la possibilité d’agir en nullité ou de demander la substitution dans les droits du tiers si celui-ci a conclu en connaissant l’existence du pacte et l’intention de son bén��ficiaire de s’en prévaloir.

La réforme innove, ici, en prévoyant une action interrogatoire dans des hypothèses où il existe une incertitude pour un tiers sur l’existence même d’un pacte de préférence qui l’empêcherait de conclure. Le tiers va pouvoir demander par écrit, à celui qu’il suppose être un bénéficiaire, de lui confirmer s’il l’est effectivement, et s’il entend se prévaloir de son éventuel droit de préférence. Cette action interrogatoire, véritable nouveauté de la réforme, doit permettre de lever l’ambiguïté sur l’existence de droits conférés par un pacte de préférence.

Le contrat qui serait conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence, est désormais nul

L'autre véritable innovation concerne la promesse unilatérale. La Cour de cassation a toujours refusé l’exécution forcée en matière de promesse unilatérale depuis une solution de 1993. L’ordonnance a pour intérêt de venir contredire cette solution : la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêchera pas la formation du contrat promis, elle sera privée d’effet. De la même manière, le contrat qui serait conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence, est désormais nul.

 Selon vous, qu’apporte cette réforme dans la phase de formation du contrat ?

Elle apporte une sécurisation comme le montrent les solutions sur les avant-contrats. Surtout, elle clarifie notre droit en apportant des précisions sur des questions laissées à la jurisprudence. Nous avons, aujourd’hui, un corps de règles qui va permettre de traiter toute la phase précontractuelle de façon assez explicite.

Il faut ajouter la consécration des principes généraux, énoncés dans les dispositions liminaires aux articles 1101 et suivants : la liberté contractuelle (article 1102), la force obligatoire du contrat (article 1103 ancien 1134) et la bonne foi (article 1104), qui irriguent les phases de négociation, de formation et d'exécution du contrat.

Dans cette partie, la réforme a prévu de nouvelles définitions, comme celles du contrat cadre et du contrat d’adhésion, par opposition au contrat de gré à gré, qui ne figurait pas dans les textes anciens. Ces définitions, dont les termes ont été discutés, risquent de soulever des difficultés d’interprétation.

Quel est votre point de vue sur la nouvelle rédaction concernant l’inexécution du contrat ? (articles 1217 et suivants)

Elle vient, dans une lignée jurisprudentielle assez claire, poser le principe de l’exécution forcée en nature (article 1221). Il est très important de noter que ce droit à l’exécution en nature a pour exception les hypothèses dans lesquelles cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. Cette disposition permet de faire face à un certain nombre de situations où l’exécution en nature est beaucoup trop radicale et ne tient pas compte de la balance des intérêts entre débiteur et créancier.

Dorénavant, une réfaction du contrat peut s’opérer avec l’acceptation du créancier 

L’article 1223 prévoit une faculté pour le créancier insatisfait d’accepter une réduction du prix en cas d’exécution imparfaite du contrat. Ce qui est aussi tout à fait innovant. Dorénavant, une réfaction du contrat peut s’opérer avec l’acceptation du créancier.

En cas d’inexécution, cinq solutions, aussi appelées remèdes, sont donc à retenir :

  • l’exception d’inexécution, qui n’est jamais qu’une solution provisoire et qui ne se manifeste que par une suspension de l’exécution de l’obligation. Elle peut désormais être réalisée par anticipation (article 1220) ;
  • l’exécution en nature avec cette limite de la disproportion manifeste ;
  • la réduction du prix ;
  • la résolution du contrat ;
  • la réparation du préjudice.
Propos recueillis par Delphine Iweins
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