Droit des contrats : les directions juridiques prennent le virage de la réforme (1/3)

Droit des contrats : les directions juridiques prennent le virage de la réforme (1/3)

10.03.2016

Gestion d'entreprise

Elles ont en ligne de mire le 1ᵉʳ octobre 2016. Les directions juridiques se mettent en mouvement pour se conformer aux nouvelles exigences du code civil. Que pensent-elles de l’ordonnance du 10 février ? Sentiments recueillis auprès de cinq d’entre elles dans un premier article d'une série en trois volets.

Les directions juridiques accueillent positivement la réforme du droit des contrats qui, en pratique, ne devrait pas causer de grand bouleversement. Elles se sentent prêtes, notamment parce qu’elles ont anticipé la réforme. Elles ont constitué des groupes de travail sur le sujet, souvent avant la publication de l’ordonnance du 10 février, afin de s’en imprégner et d’identifier les potentiels sujets qui impacteront leurs contrats.

Le souhait d’un modernisme

« Depuis 1804, le droit des obligations a connu peu de modifications », rappelle Rémy Rougeron le directeur juridique du groupe Thales. « Donner un coup de peigne, certaines touches de rajeunissement au code civil, va dans le bon sens », souligne-t-il. Son sentiment est partagé. La réforme rend le droit des contrats « plus moderne, plus pragmatique », juge Antoine Arsac, juriste au sein de la direction juridique de Natixis et sans doute « plus lisible, parce qu’elle détaille la phase précontractuelle, jusqu’ici absente du code civil, ainsi que les pouvoirs des cocontractants une fois le contrat conclu. Elle simplifie également la transmission des droits et des obligations. Enfin, elle offre des moyens d’actions aux cocontractants en cas de situation de blocage sans avoir recours au juge ». Surtout, « l'ordonnance codifie de nombreuses solutions jurisprudentielles au sein du nouveau code civil », commente le directeur juridique Western Europe de Goodyear, François Colin de Verdière. Toutefois, « cette lisibilité est temporaire puisque la jurisprudence continuera d’évoluer », mesure-t-il. Et elle sera avant tout perçue par les juristes, car le droit des contrats reste technique, pointe François Colin de Verdière : « je doute qu’un profane se précipite sur le code civil ».

Toutes les directions juridiques s’accordent à le dire : entre l’avant-projet et l’ordonnance publiée, la copie de la Chancellerie a été ajustée dans le bon sens. « Le texte définitif bénéficie d’une présentation plus claire et plus didactique, ce qui évitera sans doute quelques difficultés », analyse François Colin de Verdière. Même s’il demeure des imprécisions ici ou là, selon Valérie Valais Senior Director - Affaires publiques - de Dassault Systèmes.

Une comparaison fine entre les deux versions du texte a été rendue possible par la participation de certaines directions juridiques à la consultation de place sur l’avant-projet d’ordonnance organisée par la Chancellerie aux mois de mars et avril 2015 (voir notre article). Aidé par Myriam Roussille, professeur agrégée de droit à l’Université du Maine, le groupe de travail de Natixis a, par exemple, adressé sa contribution. D’autres directions ont pris part aux discussions lancées par les associations professionnelles. Valérie Valais a piloté le groupe de travail du Cercle Montesquieu sur la réforme et représenté le Cercle dans ses échanges avec ses homologues : l’AFJE (Association française des juristes d’entreprise) et l’AFEP (Association française des entreprises privées). Si chacune des associations a adressé sa contribution à la consultation de place, une lettre commune avait été rédigée à destination du Premier ministre, Manuel Valls et de l’ancienne garde des Sceaux, Christiane Taubira. Après la publication de l’ordonnance, le groupe de travail commun aux trois associations ne s’est pas réuni, mais la directrice des affaires publiques de Dassault Systèmes continue de discuter de l’impact de la réforme avec ses pairs de manière informelle. D’autres tempèrent : « Nous avons pu échanger entre nous sur les grands axes de la réforme. Aujourd’hui est venu le temps du détail : chaque direction juridique décide seule de sa propre stratégie », estime Rémy Rougeron.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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S’organiser pour être prêts

« Le 1er octobre 2016 c’est demain », lance François Colin de Verdière. En effet, c’est à cette date que l’essentiel de la réforme entrera en vigueur. « Un choix que l’on a du mal à s’expliquer », estime le directeur juridique de Goodyear. Au sein de son groupe, ce sont surtout des contrats annuels qui sont conclus. Selon lui, « il aurait été plus logique d’attendre le 1er janvier 2017 ».

Néanmoins, Valérie Valais conseille de ne pas attendre pour prendre « de bonnes habitudes ». La directrice des affaires publiques de Dassault Systèmes recommande de déployer des contrats conformes aux nouvelles exigences du code civil « dès que la direction juridique est prête, sans attendre le 1er octobre 2016 ».

Faut-il aussi adapter les contrats en cours d’exécution ? Techniquement non, puisque les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme demeurent soumis au régime actuel, sauf les actions interrogatoires qui sont d’application immédiate. Via le renouvellement de ses contrats, Valérie Valais se pose pourtant la question de leur appliquer la loi nouvelle, afin de bénéficier rapidement d’une bibliothèque contractuelle soumise au même régime juridique. Une option à laquelle ne songe pas Goodyear. « Le texte n’impose pas de changement si radical au point de devoir arbitrer entre un maintien de l’ancien code civil et un passage au nouveau texte en accélérant le processus de renouvellement des contrats », estime François Colin de Verdière. Même constat pour Accor : « L’adaptation de nos contrats soumis au droit français se fera au fil de l’eau, lorsqu’ils arriveront à échéance et qu’il faudra les renouveler », nous explique Jaïro Gonzalez, le directeur juridique de la direction corporate et supports internationaux du groupe hôtelier. « Nous sommes une direction juridique pragmatique », poursuit-il.

Un acte manqué, celui de l’attractivité du droit français

La réforme était également motivée par une volonté de rendre le droit français plus attractif. « Il était intéressant de constater que les rapports Doing business de la Banque Mondiale* aient pu influencer la Chancellerie pour faire aboutir un projet qui était sur la table depuis des décennies », note François Colin de Verdière.

Néanmoins, l’objectif ne serait pas atteint, notamment du fait de l’augmentation du pouvoir accordé au juge et de la volonté affichée par la réforme de protéger la partie faible. « Il est difficile de vouloir adapter le droit français aux réalités économiques et sociales en développant, en même temps, la protection de la partie faible », commente le directeur juridique de Goodyear. Il regrette toutefois une chose « que cette réforme n’ait pas suscité un engouement de la part de l’opinion publique contrairement à d’autres qui, pourtant, impactent moins le quotidien des particuliers ».

L’objectif d’attractivité était-il seulement réalisable ? La suprématie du droit anglo-saxon dans le domaine des affaires ne fait aucun doute pour l’ensemble des directeurs juridiques interrogés. « Nous ne pouvons occulter l’omniprésence des droits américain et anglais dans nos contrats internationaux », déclare Jaïro Gonzalez. « C’est à nous de montrer l’attractivité du droit français. C’est aussi notre travail », tente de convaincre Valérie Valais.

* On trouve cette référence dans le rapport au Président de la République sur l’ordonnance du 10 février.

Sophie Bridier
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