Droit des contrats spéciaux : "la réforme de 2016 a été novatrice, il y a ici un effort de perfectionnement"

21.11.2022

Gestion d'entreprise

L'avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux fait partie des dossiers sur lesquels travaille la direction juridique du groupe Perial. Veille, conseil des opérationnels, participation à la consultation... Vincent Gautier, Group general counsel, nous explique comment il travaille avec son équipe afin d'anticiper les impacts du texte sur l'activité du groupe.

En avril 2020, la Direction des affaires civiles et du Sceau a mis en place un groupe de travail sur la réforme des contrats spéciaux. La consultation sur l’avant-projet devait prendre fin la semaine dernière : elle vient tout juste d'être prolongée jusqu'au 15 janvier 2023. Vincent Gautier, Group general counsel du groupe Perial et membre du Cercle Montesquieu, travaille d'ores et déjà sur le texte.

Pouvez-vous nous présenter votre groupe ?

Le groupe Perial est détenu à 100% par des investisseurs familiaux. La holding de tête détient 100 % de ses deux filiales opérationnelles :

  • Perial Développement, qui intervient pour le compte d'investisseurs privés et institutionnels dans la réalisation, la restructuration et la rénovation d'immeubles de bureaux ou d’immobilier tertiaire (type parks d’activités), via des opérations de développement. Perial Développement intervient également sur le marché d’immeubles value add en montant des partenariats avec des investisseurs tiers structurés en joint venture non réglementés ;
  • Perial Asset Management, en sa qualité de société de gestion de portefeuille, qui assure la gestion de fonds immobiliers pour compte de tiers et la distribution de produits d'épargne immobiliers. Nous avons ouvert les terrains d’investissement de la France vers des pays de la zone Euro. Depuis 2017, nous investissons aux Pays-Bas, en Allemagne, en Belgique, en Italie, en Espagne, au Portugal, etc. L’encours des fonds immobiliers sous gestion de Perial Asset Management représente à ce jour 6,3 milliards d’euros.

La réforme des contrats spéciaux va-t-elle profondément impacter votre activité ?

Oui, car nous travaillons sur un grand spectre de contrats. On a déjà dû recalibrer sur certains points notre approche contractuelle avec la réforme de 2016 qui a porté des vraies modifications de fond sur le régime général des contrats. Notre activité sera également impactée par la réforme des contrats spéciaux même si cet impact sera plus léger.

Comment avez-vous travaillé sur cet avant-projet de réforme ?

L’avant-projet vise les principaux contrats spéciaux. Notre activité cœur de métier est surtout visée par 3 types de contrats : la vente, le bail et le financement. Nous avons privilégié la solution consistant à prioriser notre intervention.

Nous avons un pôle dédié aux transactions composé de trois personnes. Nous avons regardé l’avant-projet et nous avons posé des warnings sur certains sujets. Nous attendons l’évolution de la réglementation : on attend de voir si on doit monter au créneau pour faire remonter des points à nos organisation professionnelles.

Comment anticipez-vous la réforme pour vos contrats de vente ?

Sur la vente, notre approche consiste à anticiper les impacts de la réforme dès maintenant. Nous avons fait un travail de veille juridique pour conseiller au mieux nos équipes opérationnelles. Nous suivons de près ce qui pourra avoir un impact matériel. 

A ce titre, nous partageons le constat de la Place concernant les objectifs de cet avant-projet de réforme du droit de la vente qui comporte deux piliers : le perfectionnement et la modernisation.

S’agissant du pilier du perfectionnement, nous avions des textes assez ancrés dans le temps qui suscitaient des interrogations aussi bien doctrinales que jurisprudentielles.

Il s’agissait de cas contentieux sur lesquels nous attendions des prises de positions. Nous nous félicitons que l’avant-projet pérennise avant tout des solutions soit dégagées par la pratique, soit par la jurisprudence.

La réforme de 2016 a été novatrice, il y a ici un effort de perfectionnement.

Perfectionnement : un exemple concret 

L’avant-projet vise à retenir dans le cadre des promesses synallagmatiques de vente la possibilité pour les parties de décider que la promesse de vente ne vaut pas vente. On leur reconnait donc la possibilité de se mettre d’accord sur les conditions de réitération de la vente.

C’est une pratique de place qui a été reconnue par la jurisprudence de façon très récente, en 2022. Cela va dans le bon sens que l’avant-projet vienne ancrer cette solution dans le droit positif par la plus forte des portes : l’inscription de ce principe dans le Code civil.

 

Deuxième pilier auquel je souscris également : la modernisation. L’un des soucis du législateur a été de moderniser la vente en faisant en sorte que de nombreuses zones grises soient complètement remédiées.

Exemples de modernisation 

La fusion du régime des vices cachés avec le régime du défaut de conformité :

En l’état du droit actuel, le régime juridique de ces deux obligations peut se transformer en deux actions ayant des régimes différents en cas de contentieux. Le délai de prescription est de 2 ans pour les vices cachés et il est de 5 ans pour le défaut de conformité.

Cela ne va pas dans le sens de la sécurité juridique et dans la bonne compréhension des règles.

La réforme induite par l’avant-projet fusionnerait les deux régimes : ce sera la garantie des vices au sens large qui fondera l’action en justice. Un régime unique s’appliquera avec un système de prescription unique (on tend sur les deux ans).

Le régime du vendeur professionnel :

Auparavant, le vendeur professionnel d’immeuble était réputé de façon irréfragable avoir eu connaissance du vice caché. C’est une vision un peu excessive qui n’était pas systématiquement adaptée aux contraintes économiques. Maintenant, on glisse vers une présomption simple : il pourra apporter la preuve contraire qu’il ne pouvait pas connaitre ce vice.

On n’est pas forcément dans une révolution par rapport à l’existant mais on est dans cette approche dualiste de perfectionnement et de modernité.

Toutefois, dans notre pratique (dans l’immobilier tertiaire), le vendeur et l’acquéreur sont des professionnels et aujourd’hui on peut donc exclure la garantie des vices cachés, ce qu’on fait de façon usuelle. L’impact sera donc relativement léger sur notre activité. 

 

Comment la réforme impactera-t-elle votre pratique concernant le bail ?

Nous participons à l’initiative de notre organisation professionnelle (l’ASPIM) de faire remonter auprès de ses adhérents tous les sujets sur lesquels le bail serait affecté par l’avant-projet. L’objectif est de recueillir toutes les remarques des adhérents, de les consolider, et de faire une action auprès du législateur si nécessaire. Nous avons participé à la consultation de cet avant-projet sur les baux. Notre pôle locatif a fait remonter des commentaires point par point. Dans un second temps, l’ASPIM va se faire le porte-parole des sociétés de gestion de portefeuille immobilier vis-à-vis du législateur.

Nous concluons massivement des baux commerciaux : il faut savoir que les spécificités particulières du statut des baux commerciaux ne rentrent pas dans le périmètre de l’avant-projet. Le tronc commun aux baux commerciaux n’a donc pas vocation à changer.

Le périmètre de l’avant-projet sur les baux concerne exclusivement le Code civil. Ce qui est modifié en ce qui concerne le bail sont les articles 1709 à 1753 du code civil. Cela concerne les stipulations générales des baux commerciaux contenues dans le code civil.

 

Exemple de modernisation : le contrat de bail

L’article 1722 envisagé par l’avant-projet concerne une obligation importante : la délivrance de la chose qu’on loue. On doit mettre à disposition la chose louée : dans la nouvelle définition, on parle « d’usage convenu ». A travers l’usage convenu, on inclut dans le code civil qu’au commencement du bail, l’usage doit être conforme à la réglementation applicable à l’immeuble.

Avant, cette règle n’était pas dans le Code civil : néanmoins le bailleur professionnel devait déjà respecter cette règle parce que c’était la solution retenue par la jurisprudence.

Désormais, la solution arrêtée par la jurisprudence et retenue par l’avant-projet c’est qu’au jour où il rentre dans le bail, le locataire doit bénéficier de locaux conformes aux règles applicables. En revanche, en cours de bail, le bailleur pourra valablement mettre à la charge du locataire des travaux de mise en conformité avec la réglementation nouvelle. Cela pourra ressortir de l’accord des parties.

 

Et enfin sur le contrat de financement, quels changements seront apportés par la réforme ?

Concernant le financement, notre priorité actuelle est de pouvoir se mettre à jour pour pouvoir déployer une politique de financement vert : du green loan, ou substainable linked loan.

A partir du moment où l’avant-projet sera un peu plus mature, on abordera ce sujet. Mais pour le moment, c’est un sujet qui sera préempté par les banques : notre marge de manœuvre s’exprimera par la suite. C’est donc un chantier que nous ouvrirons plus tard.

propos recueillis par Leslie Brassac

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