Droit du salarié de se taire pendant l'entretien préalable : "une telle décision est de nature à bouleverser les pratiques"

Droit du salarié de se taire pendant l'entretien préalable : "une telle décision est de nature à bouleverser les pratiques"

01.07.2025

Gestion du personnel

La Cour de cassation vient de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le droit à se taire du salarié lors de son entretien préalable à un licenciement disciplinaire. Sébastien Millet, avocat associé au sein du cabinet Ellipse Avocats, répond aux questions que suscite cette QPC.

Le salarié pourra-t-il bientôt faire valoir son droit au silence lors de l'entretien préalable de licenciement disciplinaire ? Par une décision du 20 juin 2025, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative au droit disciplinaire. Il est demandé aux Sages de trancher ces deux questions :

  • "Les dispositions de l'article L.1332-2 du code du travail, en ce qu'elles ne prévoient pas la notification aux salariés faisant l'objet d'une sanction disciplinaire, de leur droit de se taire durant leur entretien, portent-elles atteinte aux droits garantis par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ?" ; 
  • "Les dispositions combinées des articles L.1232-3 et L.1332-2 du code du travail, en ce qu'elles ne prévoient pas la notification aux salariés faisant l'objet d'une procédure de licenciement disciplinaire, de leur droit de se taire durant leur entretien préalable, portent-elles atteinte aux droits garantis par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ?".

Le Conseil constitutionnel dispose de trois mois pour y répondre et une réponse positive bouleverserait notre droit du travail et les pratiques actuelles. Sébastien Millet, avocat associé au sein du cabinet Ellipse Avocats, analyse de manière prospective la portée de cette QPC.

L'émergence du droit de se taire pour le salarié vous surprend-elle ? 

Non, car le droit de se taire est omniprésent que ce soit en droit pénal, mais aussi en droit administratif par exemple dès lors qu'une sanction est susceptible d'être prononcée. Très récemment le Conseil d'Etat a acté ce droit au silence pour les agents publics. Le droit au silence n'est pas purement jurisprudentiel ; il y a un ancrage constitutionnel avec l'article 9 de la DDHC. Il n'y a dès lors pas de raison que ça ne puisse pas s'appliquer en droit du travail dès lors que ce principe s'applique à toute sanction présentant le caractère d'une punition, et ce dans un contexte jurisprudentiel de forte évolution autour de la protection des droits fondamentaux. 

Dans sa décision du 4 octobre 2024, le Conseil constitutionnel a ainsi indiqué : Aux termes de l’article 9 de la Déclaration de 1789 : "Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire".

 

Le Conseil constitutionnel pourrait très bien émettre une réserve d'interprétation sur les articles L.1232-3 et L.1332-2 du code du travail. Si leur rédaction n'est pas contraire aux principes de droit du travail, ces dispositions pourraient ne trouver application que sous réserve du respect du droit au silence. Il semble difficile d’imaginer que la position du Conseil constitutionnel puisse être "circulez il n’y a rien à voir". Ce serait vraiment très surprenant.

Quel impact aurait la consécration d'un droit à se taire en droit du travail ?

Une telle décision est de nature à bouleverser les pratiques aussi bien procédurales que rédactionnelles, tout particulièrement en matière de licenciement disciplinaire, même si la question pourrait se poser pour des sanctions moindres dès lors qu’elles sont soumises à des garanties de procédure.

Le but de l'entretien préalable de licenciement est de permettre au salarié de fournir des explications et de faire valoir ses droits ; il a toujours intérêt à venir s'expliquer afin soit d'éviter une sanction, soit d'obtenir une sanction moindre. Toutefois, dans certains cas, le salarié peut préférer garder le silence. C'est notamment le cas si les faits sont de nature à donner lieu à des poursuites pénales où le droit à ne pas s’auto-incriminer prend toute son importance Il peut décider de réserver ses explications pour le juge comme en matière pénale. Ce peut être aussi un droit au silence partiel ; le salarié peut réserver ses réponses seulement sur certaines questions. A partir du moment où le silence est considéré comme un droit du salarié, l'employeur ne pourra pas en faire état comme un grief dans la motivation du licenciement. Ce qui se profile alors est la nullité de la rupture puisque le droit au silence est un droit fondamental du salarié.

Peut-on craindre des contentieux dans la foulée de la décision du Conseil constitutionnel ? 

Ce qui se profile est la nullité de la sanction, donc de la rupture, puisque le droit au silence est un droit fondamental du salarié. En cas de contentieux, la nullité du licenciement sera invoquée dans l'hypothèse où l'employeur n'aura pas notifié au salarié le droit de se taire et que le salarié aura fait une déclaration qui sera retenu contre lui comme un élément majeur à charge pour justifier son licenciement. Si le salarié avait su qu'il pouvait garder le silence il se serait abstenu et n'aurait peut-être pas été licencié.

On peut se demander si tous les licenciements intervenus avant que la Cour de cassation ne se prononce seront concernés. Le Conseil constitutionnel pourrait-il décider de l'effet rétroactif de sa décision ? Ce serait très problématique pour les entreprises en termes de sécurité juridique.

La nullité serait-elle la sanction dans tous les cas ?

A la lecture de la jurisprudence du Conseil d'Etat, il y a une distinction à faire selon que la non-information sur le droit au de se taire a eu une incidence déterminante sur la motivation de la sanction ou non. Si la conséquence est mineure, ce serait plutôt qualifié comme un vice de forme. 

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Florence Mehrez
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