Effets du privilège de prêteur de deniers en cas d'indivision

18.01.2019

Gestion d'entreprise

Le notaire, qui procède à l'inscription d’un privilège de prêteur de deniers sur la seule quote-part de l'emprunteur coacquéreur, engage sa responsabilité à l'égard du prêteur qui ne peut de ce fait exercer son droit de poursuite sur l’immeuble indivis.

Dans l’arrêt annoté, la Cour de cassation affirme d’abord que, même dans l’hypothèse où un prêt est souscrit par l’un seulement des acquéreurs d’un bien immobilier, pour financer sa part, l’assiette du privilège de prêteur de deniers est constituée par la totalité de l’immeuble et le prêteur, titulaire d’une sûreté légale née antérieurement à l’indivision, peut se prévaloir des dispositions de l’article 815-17, alinéa 1er du code civil.

La Haute juridiction précise ensuite que le notaire, tenu d’assurer l’efficacité des actes auxquels il prête son concours ou qu’il a reçu mandat d’accomplir, doit, sauf s’il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l’accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l’exécution.

En l’espèce, suivant acte reçu par un notaire, deux personnes physiques acquièrent un ensemble immobilier, en indivision pour la nue-propriété, à concurrence respectivement de 38 % et 62 %, et en tontine pour l’usufruit. L’un des acquéreurs finance l’acquisition de sa part au moyen d’un prêt consenti par une banque et garanti par un privilège de prêteur de deniers. Ce privilège est inscrit par le notaire sur la seule quote-part de cet emprunteur, lequel est, quelques années plus tard placé en liquidation judiciaire. Après avoir déclaré sa créance, la banque assigne, d’une part, les deux acheteurs en partage de l’indivision existant sur l’immeuble et, d’autre part, le notaire en responsabilité et indemnisation.

Déboutée de sa demande devant les juges du fond, la banque forme un pourvoi en cassation. Elle fait d’abord fait grief à la cour d’appel d’avoir retenu que la banque pouvait poursuivre la vente forcée sans passer par une procédure préalable de partage alors que le créancier prêteur de deniers qui n’est créancier que de l’un des emprunteurs indivisaires ne pourrait agir, avant l’acquisition indivise, sur l’immeuble qui n’appartient pas à son débiteur. La banque soutient, par ailleurs, que l’acte instrumenté par le notaire n’est pas efficace puisqu’il fait courir le risque à la banque de perdre le bénéficie de sa sûreté au moment du partage si le bien est attribuée au coïndivisaire n’ayant pas souscrit le prêt. En effet, en vertu de l’effet déclaratif du partage, l’indivisaire à qui le bien est attribué dans l’acte de partage est réputé en être seul propriétaire depuis la date de son acquisition. Ainsi, en décidant que le privilège grève de plein droit la totalité de l’immeuble acquis, la cour d’appel aurait violé les articles 1240 et 883 du code civil.

La Cour de cassation rejette le pourvoi sur ce point En effet, affirme-t-elle, la cour d’appel a exactement retenu que le privilège grevait de plein droit la totalité de l’immeuble acquis, même s’il était né du chef d’un seul acquéreur et que la banque aurait pu poursuivre la vente forcée de l’immeuble dont elle avait partiellement financé l’acquisition sans engager une procédure préalable de partage et sans que puissent lui être opposés les démembrements de la propriété convenus entre les acquéreurs.

Mais la Cour de cassation censure l’arrêt de la cour d’appel sur une autre branche du moyen, au visa des articles 1240, 815-17, 2377 et 2379, alinéa 1er du code civil.

En effet, pour rejeter la demande de la banque dirigée contre le notaire, la cour d’appel, après avoir relevé que l’acte d’acquisition de l’immeuble prévoyait l’inscription du privilège de prêteur de deniers sur l’entier immeuble et précisait que le coacquéreur était informé que l’inscription prise contre l’autre portait sur la totalité du bien, retient que la publicité foncière est destinée à l’information des tiers et à leur rendre opposables les conventions portant sur les droits réels et les sûretés. Dès lors, le caractère restrictif de l’inscription litigieuse, tenant aux règles issues du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, est sans incidence sur les droits que la banque tient du titre.

Mais la Haute juridiction affirme que, du fait de l’inscription du privilège de prêteur de deniers sur la seule part de l’emprunteur, la banque avait seulement, à l’égard des tiers, la qualité de créancier personnel du coïndivisaire emprunteur, de sorte qu’elle ne pouvait exercer son droit de poursuite sur l’immeuble indivis. Dès lors, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Olivier Gout, Professeur à l'Université de Lyon 3

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