Elargissement de la garantie des systèmes de règlement financiers aux pays membres de l’EEE et procédures d’insolvabilité

28.06.2021

Gestion d'entreprise

La France ne sera pas tenue par les décisions de pays tiers prises dans le cadre de procédures d'insolvabilité si elles sont contraires aux règles de la directive « Finalité » qui sécurise les paiements intervenant dans les systèmes de règlements financiers.

À l'approche de la présidence française de l'Union européenne le 1er janvier 2022, le gouvernement a présenté en procédure accélérée, un projet de loi, que le Sénat vient d'adopter le 20 mai 2021, pour transposer plusieurs directives européennes, afin de respecter les obligations de la France vis-à-vis de la législation européenne. Le projet de loi doit être débattu en séance publique à l’Assemblée nationale, le 6 juillet 2021.

Parmi les mesures en cours d'adoption, des modifications sont apportées au code monétaire et financier, pour appliquer plus largement les dispositions de la directive européenne du 19 mai 1998 relative au caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres (Dir. n° 98/26/CE du Parlement européen et du Conseil, 19 mai 1998, JOUE L166, 11 juin 1998), dite « directive Finalité ». Cette directive avait introduit des dérogations au droit des procédures collectives pour rendre irrévocables les transactions effectuées au sein d’un système de règlement financier, notifié à l'Autorité européenne des marchés financiers.

Exceptions dérogeant aux règles du droit commun du livre VI du code de commerce

On connaît les exceptions apportées par cette directive (et transposées en droit français dans le code monétaire et financier), qui dérogent aux règles de droit commun figurant au livre VI du code de commerce :  le paiement par compensation, l'interdiction des paiements ou le sort des contrats en cours. Ces dérogations garantissent le dénouement des opérations aux participants aux systèmes de règlement interbancaire et de livraison d’instruments financiers, selon l'exposé des motifs.

Il s'agit par ce projet de loi d'étendre ces mêmes dérogations aux systèmes des Etats parties à l'Espace économique européen qui ne sont pas membres de l'Union européenne comme le Liechtenstein, la Norvège et l’Islande.

Ces différents Etats appliquent déjà la directive « Finalité » et ont notifié leur système de règlement à l'Autorité européenne des marchés financiers. Le projet de loi a ainsi pour objet de leur étendre le mécanisme dérogatoire, afin d'éviter la reconnaissance ou l'exécution en France d'une procédure collective étrangère qui contredirait le code monétaire et financier dans ses dispositions ayant transposé cette directive.

Dans ce but, il est prévu que le tribunal français (le tribunal judiciaire, seul compétent à cet égard), qui serait saisi d'une demande d'exequatur portant sur un jugement rendu par une juridiction étrangère en matière de procédure collective, devrait rejeter cette demande, si celle-ci faisait obstacle à l'exécution d'un ordre enregistré dans un système de règlement financier. Concrètement, le projet de loi complète les dispositions des articles L. 330-1 et L. 330-2 du code monétaire et financier, en précisant qu’aucun jugement ou décision émanant d'un pays tiers ne pourra obtenir la reconnaissance, ni recevoir exécution en France dans la mesure où elle ferait obstacle à l'opposabilité des instructions et des opérations de compensation y compris celles introduites avant le jour du jugement d'ouverture d'une procédure collective en France ou dans un autre pays.

Sont visées les procédures d'insolvabilité ouvertes non seulement dans les pays membres de l'Union européenne mais aussi celles des pays membres de l'Espace économique européen. Cela ne concerne pas le Royaume-Uni depuis sa sortie de l'Union européenne, qui met fin à sa participation à l’EEE, en vertu de l’accord sur l’espace économique européen (Accord sur l’EEE, art 126).

Identification des procédures d’insolvabilité

Cela pose également le problème de l'identification des procédures d'insolvabilité en cause pour les Etats concernés. La détermination de ces procédures serait aisée au sein de l’UE, dans la mesure où elle résulte de la définition contenue dans le règlement (UE) n° 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité et de l'annexe A de ce règlement, qui énumère pour chaque pays les procédures couvertes par ses dispositions. Pour les Etats non membres de l'Union européenne ou pour ceux qui tout en étant membres de l’UE ne sont pas liés par ce règlement (comme le Danemark), il faut se référer au contenu de la loi étrangère appliquée par la juridiction ayant ouvert une procédure, pour reconnaître ou dénier à celle-ci la qualité de procédure d'insolvabilité, en raisonnant nécessairement par analogie, suivant les règles d'interprétation du droit international privé.

La difficulté concernera naturellement les procédures qui ne sont pas expressément qualifiées de procédures d'insolvabilité par le droit étranger applicable, telles que les procédures amiables parfois confidentielles, celles ouvertes à l'initiative des dirigeants sociaux ou de leurs créanciers sans une intervention judiciaire, et sans publication légale (tel que le « Scheme of arrangement » du droit britannique), les décisions d’homologation d’accords non judiciaires  ou les mécanismes judiciaires de liquidation volontaire: pour ces diverses procédures, il revient au droit international privé des autres Etats de définir les conditions de reconnaissance et d'exécution. Le projet de loi met en conséquence les participants à un système de règlement financier à l'abri des conséquences de l'ouverture d'une procédure dans un autre État et qui ferait obstacle à l'achèvement des instructions et des opérations en cours.

Le tribunal français pourra donc accorder l'exequatur à un jugement étranger si la procédure d'insolvabilité répond aux conditions élaborées par la Cour de cassation, relatives à la compétence du juge étranger, au respect de l'ordre public et à l'absence de fraude, mais également aux critères d'une procédure d'insolvabilité. Il pourra également choisir d'accorder l'exequatur si les conditions jurisprudentielles sont établies, en mentionnant de lui-même dans le dispositif les limites du caractère exécutoire de sa décision, qu'elle ne pourrait porter atteinte aux règlements et aux ordres de règlement opérés ou en cours à la date de l'ouverture de la procédure d'insolvabilité.

Jean-Luc Vallens

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