Les listes des élections professionnelles doivent désormais refléter la proportion d’hommes et de femmes dans l’entreprise. Si les organisations syndicales ne contestent pas le principe, elles se heurtent à de nombreux freins techniques, culturels mais aussi structurels. La mixité est un long combat !
Place aux femmes ! La loi Rebsamen du 16 août 2015 impose, depuis le 1er janvier 2017, une représentation équilibrée pour les élections professionnelles des délégués du personnel (titulaires et suppléants), des membres du comité d’entreprise et des délégations uniques du personnel ainsi que l’alternance femme/homme en tête de liste. Concrètement, pour un électorat composé à 60% par des femmes, l'organisation syndicale devra présenter 60% de femmes et 40% d'hommes sur ses listes de candidats.
Une mesure qui vise à faire progresser la représentation des femmes au sein des instances représentatives. Mais qui constitue un véritable casse-tête pour les organisations professionnelles. Car faudra-t-il pousser hors des instances représentatives un certain nombre de militants aguerris pour laisser la place à l’autre sexe ? Et comment convaincre les femmes à candidater aux élections professionnelles ?
Difficile toutefois pour les centrales syndicales de s’opposer frontalement à cette obligation sans paraître rétrogrades. Reste que la grogne gagne du terrain.
"C’est une vraie difficulté, insiste Mariette Rih, déléguée syndicale centrale FO de Renault. Car contrairement à la loi de 2001 sur l’égalité professionnelle, celle-ci est contraignante. Que se passera-t-il si nos listes ne respectent pas à la lettre cette parité ?" Les premières élections professionnelles de Cléon et du Technocentre ont lieu fin 2017, les autres établissements en 2018. D’où la nécessité d’élaborer "de manière urgente" les listes électorales.
Les organisations syndicales doivent, en amont, surmonter plusieurs obstacles.
Les freins sont, tout d’abord, techniques. Car le monde du travail n’est pas mixte, "il y a des métiers à prédominance masculine, d'autres à prédominance féminine, rappelle Sophie Binet, membre de la direction de la CGT, en charge de l’égalité F/H. La loi Rebsamen peut conduire dans les secteurs non mixtes à ce que les salarié-es du sexe minoritaire ne puissent pas se présenter sur les listes". De même, les organisations syndicales sont à la peine dans les groupes multi-périmètres. "C’est ingérable, tempête Sébastien Crozier, président CFE-CGC d’Orange. Rien que pour la maison-mère, Orange compte 550 établissements pour les délégués du personnel et 19 établissements pour les comités d’établissement. Or, comment constituer des listes "chabada" avec alternativement un homme, une femme, ou une femme, un homme pour chacun d’entre eux alors que les hommes sont surreprésentés dans les métiers techniques et informatiques et que les femmes sont en force dans les fonctions de communication, du juridique, du commercial ou des RH". "Mathématiquement, nous ne pouvons pas toujours appliquer la loi. Dans des petits établissements, où jusqu'à 30% des salariés se présentent, vous n’avez parfois pas assez de représentants de chaque sexe", poursuit le syndicaliste qui demande le calcul de la proportionnalité au niveau de l’entreprise globale et non pas au niveau de chaque établissement.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Les freins sont aussi culturels. "Les femmes ne sont pas encore très nombreuses à choisir une carrière syndicale, poursuit Mariette Rih. Il s’agit d’une véritable révolution culturelle. Et ce type d’avancées prend du temps". Pour l’heure, il "n’y a pas d’élan spontané de candidates", reconnaît Sébastien Crozier.
Aux organisations syndicales de faire leur mea culpa. Car toutes n’ont pas pris la mesure de la mixité. "Elles restent un peu machistes et gardent une forte culture patriarcale, soutient Eric Ferreres, directeur de projets au sein d’Entreprise & Personnel qui défend la question du quota. Si les femmes sont représentées, le plafond de verre existe. Les hommes ne laissent pas toujours leur place. Elles n’ont pas toutes pris les clefs du camion". Car hormis Carole Couvert pour la confédération de l’encadrement et Nicole Notat, pour la CFDT, rares sont celles à avoir dirigé un syndicat ou à se hisser dans les instances de direction.
Mais pour Sophie Binet, les obstacles sont aussi structurels. "Les femmes sont davantage présentes dans les secteurs précaires du tertiaire, à temps partiel. Il est plus difficile pour elles de dégager de la disponibilité pour le mandat qui n’est pas adapté à leurs contraintes". Aussi est-il nécessaire "de prévoir un accompagnement pour aider les titulaires de mandat à la prise en charge des enfants, des tâches ménagères lorsqu’elles se rendent à un CCE à Paris ou un CCE à Bruxelles ou encore pour réguler les horaires de réunion afin que le mandat n’empiète pas sur leur vie privée".
Au-delà, les organisations syndicales doivent faire face à une chute des vocations. "Les jeunes générations sont plus attirées par un engagement sociétal que syndical, note Daniel Dreux, vice-président ressources humaines de Disneyland Paris. De plus, les syndicats n’ont pas bonne presse. Le renouvellement sera compliqué". D’autant qu’on "ne peut pas demander à de jeunes militants d’endosser des responsabilités si cette expérience n’est pas valorisée", poursuit Françoise Vallin, coordinatrice CFE-CGC au niveau du groupe Airbus et titulaire d’un mandat depuis 2007, qui présente des listes équilibrées depuis six ans.
Et c’est là que le bât blesse : hormis les grands groupes, à l’instar de Renault, Orange, Airbus, peu d’entreprises se sont penchées sur le sujet. La reconnaissance des compétences acquises lors d'un mandat syndical reste difficile.
Du coup, les organisations syndicales s'organisent. Les confédérations ont mis quelques outils à disposition des équipes syndicales pour faciliter l’appropriation de ces enjeux. La fédération "services" CFDT a ainsi développé une application dotée d’une fonction de calcul de la représentativité pour vérifier la validité des listes CFDT comme des listes concurrentes. La FGMM (Fédération générale des Mines et de la Métallurgie) de l’avenue de Belleville a, de son côté, concocté un simulateur en ligne permettant de calculer la bonne répartition femmes-hommes sur une liste électorale ainsi qu’une application Excel téléchargeable. La CGT a publié plusieurs guides sur l’égalité professionnelle et propose des formations sur l’accompagnement dans le prise de mandat, la prise de responsabilité ou encore le fonctionnement non sexiste des instances…
Mais les syndicats réfléchissent également à des stratégies de contournement pour rester dans les clous de la loi. "Par le jeu des ratures, les électeurs peuvent remettre en cause la composition paritaire de la liste", rappelle Sébastien Crozier. Exemple : une liste présente quatre candidates femmes et quatre candidats hommes. Elle obtient deux élus. Cependant, la femme placée en deuxième position rassemble plus de 10% de rature sur son nom. Les ratures étant prises en compte, deux hommes seront élus en première et deuxième position. Mais "faudra-t-il, en amont, promettre à des candidates qui ne veulent pas être élues d’être rayées de la liste pour respecter les règles de parité ?", s’interroge Sébastien Crozier.
La CGT plaide, de son côté, pour un système plus soft du type "plus un, moins un" : "Dans une entreprise comportant deux tiers d’hommes et un tiers de femmes où six postes sont à pourvoir, quatre seraient attribués aux hommes et deux aux femmes avec une souplesse de "plus un, moins un" pour les entreprises de moins de 300 salariés, par exemple", avance Sophie Binet.
Côté DRH, il y a aussi fort à faire. "La valorisation des parcours syndicaux est une étape nécessaire pour favoriser l'engagement, insiste Françoise Vallin. Peu de titulaires de mandats lourds souhaitent, en effet, revenir à leur métier d'origine. Ce come-back crée une énorme frustration. Le manque de perspectives professionnelles les pousse à opter pour une carrière militante". Et ne facilite pas la rotation. A charge pour les professionnels RH d'établir un référentiel de compétences syndicales pour évaluer les savoir-faire transférables dans la vie professionnelle.
Autre piste à creuser : "une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie syndicale, complète Eric Ferreres. C’est-à-dire dans la conciliation entre le maintien d'un haut niveau d'expertise et l'acquisition d'un bon niveau de compréhension des enjeux économiques et stratégiques de l'entreprise. Car le problème de l’engagement ne réside pas dans le cumul des mandats, mais leur durée". Peu de jeunes souhaitent être syndicalistes à vie.
Ce travail serait bénéfique aux deux parties. Car la mixité est importante. "Les préoccupations qui concernent plus directement les femmes, telles que les droits liés à la maternité, à la parentalité, à la garde d’enfants ou encore des sujets relatifs à la conciliation vie pro/vie perso, aux écarts salariaux … ne sont pas toujours revendiquées de la même façon, suivant le genre des représentants du personnel", relève Azzam Ahdab, délégué syndical central CFDT de Bouygues Télécom.
D'ailleurs, en cas de non-respect de ces nouvelles règles, la sentence sera immédiate : le juge d’instance peut annuler l’élection du ou des candidats du sexe surreprésenté. C 'est la décision prise, par exemple, par le tribunal d'instance de Châteauroux. Dans un jugement rendu le 23 février, il a invalidé l’élection de deux suppléants CFDT qui auraient dû présenter non deux hommes mais deux femmes candidates dans le collège cadre, ce dernier comptant 77% de femmes. En revanche, l’élection du titulaire homme FO du collège cadres est confirmée, car c’était le seul candidat de la liste. Le plaignant, la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de l’Indre, s’est pourvue en cassation.
Ce jugement est une première. Mais il pourrait faire boule de neige.
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