Emplacement réservé, revente du terrain délaissé et indemnisation du propriétaire initial

15.06.2021

Immobilier

Une commune qui plus de 25 ans après l'avoir acquis, rend constructible le terrain délaissé puis le revend, est condamnée à verser 4,9 millions d'euros de dommages-intérêts pour atteinte excessive au droit au respect des biens.

Une commune crée, dans son POS, un emplacement réservé pour la réalisation d'espaces verts. Le propriétaire du terrain exerce son droit de délaissement et lui cède la parcelle pour la somme de  800 000 francs (121 959, 21 euros), prix fixé par le juge de l'expropriation à défaut d'accord amiable. Le terrain reste pendant 20 ans à l’état d’espaces verts, puis il est aménagé en jardin d’enfants pendant 8 ans. La commune modifie par la suite les règles d’urbanisme et rend le terrain constructible, avant de le revendre à une personne privée, moyennant une plus-value de plus de 5 millions d'euros.

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La gestion immobilière regroupe un ensemble de concepts juridiques et financiers appliqués aux immeubles (au sens juridique du terme). La gestion immobilière se rapproche de la gestion d’entreprise dans la mesure où les investissements réalisés vont générer des revenus, différents lois et règlements issus de domaines variés du droit venant s’appliquer selon les opérations envisagées.

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L'atteinte excessive au droit au respect des biens

L'ayant-droit du propriétaire d'origine réclame alors des dommages-intérêts. Les juges du fond refusent, au motif qu'il ne dispose pas d'un droit de rétrocession et qu'en conséquence, il n'a pas droit à des indemnités compensatrices. En effet, si le propriétaire d'un terrain réservé au POS ou au PLU peut mettre la collectivité en demeure d'acquérir son bien, dans les conditions prévues par les articles L. 230-1 et suivants du code de l'urbanisme, ce droit de délaissement n'est pas assorti d'un droit de rétrocession en cas de revente du bien. Le droit de rétrocession n'a lieu de s'appliquer que dans les hypothèses où les propriétaires font l'objet d'une prérogative exorbitante (comme en matière d'expropriation) (Cass. 3e civ., 26 mars 2014, n° 13-13.670, n° 409 FS - P + B +R). 

Le propriétaire n'est toutefois pas dépourvu de tout recours. Dans son arrêt du 18 avril 2019, la Cour de cassation estime en effet, bien qu'un délai de plus de 25 ans ait séparé l'acte d'acquisition et celui de la revente, qu'au regard du but légitime poursuivi, la mesure prise par la commune avait porté une atteinte excessive au droit au respect des biens protégés par l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) (Cass. 3e civ., 18 avr. 2019, n° 18-11.414, n° 399 FS - P + B + R + I).

Une question de proportionnalité

Les choses n'en restent pas là. La Cour de cassation renvoie l'affaire devant la cour d'appel de Lyon, qui condamne la commune à verser la somme de 4 907 014,58 euros au requérant.

Une somme conséquente, que la commune conteste. Elle forme un pourvoi, et l'affaire revient pour la seconde fois devant le juge de cassation.

La collectivité estime que la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH en retenant que les propriétaires, régulièrement indemnisés en 1983 par le juge de l’expropriation, avaient subi une ingérence injustifiée dans leur droit de propriété, sans établir que la commune ne poursuivait pas, en 1983, un but d’intérêt général et n’y avait pas satisfait par la suite.

Mais son pourvoi est rejeté. La Cour de cassation indique quelle a elle-même effectué un contrôle de proportionnalité dans son arrêt du 18 avril 2019, où elle précise « qu'en dépit du très long délai séparant les deux actes, la privation de toute indemnisation portait une atteinte excessive au droit au respect des biens de Mme [B] au regard du but légitime poursuivi, de sorte qu’en rejetant la demande de dommages-intérêts formée par celle-ci, la cour d’appel avait violé l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » .

Dès lors, le moyen tendant à remettre en cause le contrôle de proportionnalité surabondamment exercé par la cour d’appel de renvoi est inopérant  (Cass. 3e civ., n° 538, 10 juin 2021, n° 19-25.037).

Laurence GUITTARD, Dictionnaire Permanent Construction urbanisme
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