Enquête interne anticorruption : les bonnes pratiques préconisées par l’AFA et le PNF

30.03.2023

Gestion d'entreprise

Que retenir du guide sur l’enquête interne anticorruption publié conjointement par l'AFA et le PNF le 14 mars dernier ? Procédure formalisée, garanties accordées aux salariés, rédaction du rapport d'enquête… Tour d’horizon des recommandations pratiques à connaître lorsqu’une enquête interne est menée au sein de l’entreprise.

Le 14 mars, l’Agence française anticorruption (AFA) et le Parquet national financier (PNF) ont dévoilé leur guide commun sur l’enquête interne anticorruption. Le document d'une quarantaine de pages se veut « complémentaire » aux recommandations de l’AFA du 12 janvier 2021 et fournit de nombreuses recommandations pratiques à mettre en œuvre dès lors qu'une entreprise décide de diligenter une enquête interne.

Remarques : le document n’a pas de caractère contraignant et ne crée pas d’obligation juridique.

Quand déclencher l’enquête ?

Le guide rappelle tout d’abord les occasions pour lesquelles le déclenchement d’une enquête interne peut être justifié.

 

Les faits générateurs internes à l’entreprise 

Les faits générateurs extérieurs à l’entreprise 

Réception d’un signalement reçu au moyen du dispositif d’alerte interne anticorruption en application de l’article 17 de la loi Sapin II

Suite d’un signalement d’un tiers :

  • cocontractants, sous-traitants ;
  • membres du conseil d’administration, de direction des cocontractants et des sous-traitants et leurs membres du personnel ;
  • personnes s’étant portées candidates à un emploi
  • soumissionnaires à un appel d’offres

Réception d’un signalement reçu au moyen du dispositif de recueil des signalements mis en œuvre en application de l’article 8 de la loi Sapin II modifié par la loi Waserman

Ouverture d’une procédure par une autorité de poursuite française

Suite d’un contrôle ou d’un audit interne

Demande d’information faite par une autorité étrangère

Suite d’un contrôle ou d’un audit externe (audit d’acquisition, audit d’un partenaire, certification des comptes, etc.)

 

Comment formaliser la procédure ?

Avant de diligenter une enquête interne, il est tout d’abord recommandé de « sécuriser juridiquement » la procédure. Cette formalisation permettra notamment d’organiser les modalités du recueil et de la conservation des éléments probants afin d’en garantir l’intégrité et la recevabilité « dans la perspective d’une procédure disciplinaire et/ou judiciaire » éventuelle, souligne le guide.

La formalisation doit idéalement décrire les éléments suivants :

  • les critères nécessaires au déclenchement d’une enquête interne et les éventuelles dérogations envisagées ;
  • les différentes étapes de la procédure d’enquête interne ;
  • la qualité et le rôle des acteurs appelés à intervenir pour chaque étape, ainsi que les modalités de déclaration et de gestion de leurs éventuels conflits d’intérêts ;
  • la description des objectifs et du périmètre de l’enquête ;
  • le format et la composition de l’équipe d’enquête ;
  • les méthodes et les moyens d’enquête pouvant être mis en œuvre ;
  • les mesures permettant de garantir l’absence de représailles, la confidentialité de l’identité des personnes impliquées et des informations recueillies ainsi que les modalités de protection, de conservation et de stockage des données, notamment les données à caractère personnel ;
  • les critères permettant de déterminer les suites à donner à l’enquête interne.

Le guide suggère en outre de rédiger une « charte de l’enquête interne » à destination des collaborateurs. L’objectif : formaliser les principes directeurs suivis par les enquêteurs, les droits des salariés et les comportements attendus par l’employeur dans le cadre de l’enquête.  Facilement accessible, la charte pourra être annexée à la procédure d’enquête interne.

Informer a minima l’instance dirigeante

Quelles ressources devraient être impliquées dans le cadre de l’enquête ? Concernant l’ouverture de l’enquête, la décision peut relever de l’instance dirigeante ou des personnes qualifiées désignées (directeur juridique, directeur de l’audit interne, directeur de la conformité, DRH, DAF). Un comité spécial ou ad hoc regroupant ces personnes peut également être mis en place pour les alertes les plus sensibles afin de prendre une décision collégiale.

Si l’instance dirigeante ne prend pas elle-même la décision, le guide recommande de l’informer a minima de l’ouverture des enquêtes relatives aux situations les plus sensibles (à l’exception de celles où elle est mise en cause). Il est alors possible de prévoir une « procédure de déport » vers l’organe de direction ou de surveillance ou l’une de ses formations restreintes (comité d’éthique, comité d’audit).

Pour mener l’enquête, une équipe pourra être définie en amont par l’instance dirigeante ou les personnes qualifiées siégeant au comité ad hoc ou spécial. Quid des groupes de sociétés ? Le guide préconise sur ce point de faire revenir la responsabilité d’agir à « l’entité compétente la plus proche des faits sur lesquels il s’agit de faire la lumière » : une approche « cohérente avec le fait que les sanctions disciplinaires éventuelles seront prononcées par l’employeur du salarié mis en cause ». Il est ainsi suggéré de mettre en place un comité spécial ou ad hoc composé des dirigeants de la filiale au niveau local. Le recours à un tiers maîtrisant le cadre juridique local constitue également une bonne pratique. Selon les ressources et compétences dont dispose l’entreprise, ou encore pour des problématiques de conflits d’intérêts, celle-ci pourra décider soit de mener l’enquête soit de confier l’enquête à un tiers.

Le guide préconise par ailleurs la désignation d’un référent au sein de l’entreprise, qui sera responsable de la conduite de l’enquête et de son suivi.

Une attention particulière devra être portée à « la formation et à l’expertise » des personnes composant l’équipe d’enquête, ainsi qu’à « l’indépendance de leur action et leur objectivité ».

L’AFA et le PNF rappellent que « quelle que soit la qualité des membres de l’équipe d’enquête, le document rédigé à l’issue de l’enquête n’est protégé par aucun secret professionnel ».

Informer les personnes visées par l’enquête

L’enquête interne devra par ailleurs répondre à des « principes directeurs » pour se prémunir d’éventuels risques en cas de non-respect : irrecevabilité des moyens de preuve, dommages et intérêts au bénéfice du salarié dont les droits n’ont pas été respectés ou encore condamnation pénale sanctionnant l’usage de procédés illicites. Sont notamment évoqués le principe de proportionnalité, le principe de discrétion et le respect de la réglementation relative à la protection des données personnelles.

Certaines garanties procédurales devront être accordées aux personnes visées par l’enquête interne. L’entreprise devra par exemple informer les personnes visées par l’enquête (témoins, auteurs présumés des faits, tiers). Une exception est prévue si l’équipe d’enquête estime que l’information pourra compromettre la réalisation de ses objectifs. Dans ce cas, elle pourra être suspendue jusqu’à la fin de l’enquête.

Envoi d’une convocation à l’entretien dans un délai raisonnable

Les salariés sont-ils tenus de répondre à l’enquête ? Le guide indique que le salarié doit se présenter aux entretiens organisés pendant son temps de travail, sauf motif légitime d’absence. S’il ne se présente pas à l’entretien, l’employeur pourra « en tenir toutes les conséquences, y compris disciplinaires ». Dans le cadre de la mise en place des entretiens, quelques préconisations à retenir :

  • envoyer une convocation dans un délai raisonnable ;
  • mentionner les faits objets de l’enquête dans la convocation ;
  • donner à la personne entendue avant son entretien l’accès aux pièces du dossier la concernant directement ;
  • préparer une trame d’entretien comportant les faits à vérifier, les questions clefs à poser et la liste des documents soumis durant l’entretien à la personne interrogée ;
  • durant l’entretien : la présence de deux enquêteurs a minima ;
  • recueillir par écrit le consentement de la personne interrogée pour l’enregistrement de l’entretien ;
  • faire signer un document en début d’entretien à la personne entendue (rappel de ses droits, des règles en matière de protection des données, et engagement à respecter la confidentialité des entretiens et de l’enquête) ;
  • faire lire et signer un PV de retranscription de l’entretien avec recueil de l’accord pour la production du document en justice.

Il peut être proposé au salarié de modifier ou d’ajouter des précisions sur le document. Attention à ne pas confondre le compte-rendu, le PV de l’entretien et les notes personnelles des enquêteurs, alerte le guide.

Sur le choix des personnes à entendre, l’employeur devra veiller à ce que l’échantillon des personnes soit suffisant pour faire la lumière sur les faits à l’origine de l’enquête. Il peut à ce titre être pertinent « d’entendre d’anciens salariés ou des tiers », sous réserve qu’ils en acceptent le principe.

Rédiger un rapport d'enquête

Et après ? Le guide préconise « fortement » de rédiger un rapport d’enquête. Est proposé un plan type répondant à la structure suivante :

  • sommaire,
  • lettre de mission (période, lieux et personnes objets de la mission),
  • composition de la mission (titulaires, assistants, déroulement pratique),
  • synthèse de la mission,
  • exposé détaillé de la mission (liste des actes et opérations réalisés),
  • conclusions de l’enquête (faits dont la preuve a été rapportée grâce aux actes d’investigation),
  • annexes (preuves documentaires, comptes-rendus et PV des entretiens).

Le rapport d’enquête pourra être complété d’un plan d’action « en listant les mesures envisagées afin de réduire le risque de récidive ».

Si le rapport d’enquête confirme la commission de faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ou de manquements au code de conduite anticorruption, l’instance dirigeante ou l’organe compétent devra en prendre connaissance afin de déterminer les suites à donner.

Si l’enquête ne confirme pas les soupçons, il est préconisé de : la clôturer et d’archiver le rapport d’enquête (avec accès strictement restreint aux personnes habilitées). Si le fait générateur de l’enquête est un signalement issu du dispositif d’alerte, l’auteur devra être informé par écrit dans un délai n’excédant pas 3 mois des mesures prises pour évaluer l’exactitude des allégations et de la clôture des opérations de vérification dans le cas où l’enquête n’a pas permis de corroborer les éléments signalés.

Si l’enquête confirme les soupçons, des mesures pourront être envisagées :

  • application de sanctions disciplinaires / action en justice à l’égard d’une personne physique,
  • dénonciation par l’entreprise à l’autorité judiciaire (élément pouvant être pris en compte pour minorer l’éventuelle amende de la CJIP).

Si les résultats ne sont pas probants, un audit externe pourra compléter le rapport d’enquête.

Mettre à jour le dispositif anticorruption de l’entreprise

Le guide préconise enfin de mettre à jour le dispositif anticorruption de l’entreprise afin de limiter l’impact et les dysfonctionnements identifiés lors de l'enquête pour l’avenir :

  • cartographie des risques : inclure le scénario établi lors de l’enquête interne, modifier l’évaluation des risques bruts et nets s’il était déjà référencé ;
  • code de conduite : rediffuser une version amendée aux collaborateurs, communication de l’instance dirigeante sur cette nouvelle diffusion ;
  • formation : mettre à jour les supports de formation, évaluer le besoin de formation des collaborateurs exposés ;
  • évaluation des tiers : évaluer la nécessité de mettre à jour la procédure notamment si l’absence de suivi du tiers au cours de la relation n’a pas permis de prévenir et de détecter les faits en cause ;
  • alerte interne : diagnostiquer le fonctionnement du dispositif et vérifier la correcte application de la procédure ;
  • contrôles comptables et régime disciplinaire : évaluer la nécessité de réviser les procédures.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Leslie Brassac
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