Entrepreneur individuel : la révolution est en marche

10.05.2022

Gestion d'entreprise

Deux décrets précisent les conditions d'application du nouveau statut de l'entrepreneur individuel créé par la loi du 14 février 2022, notamment les modalités de la mise en extinction du régime de l'EIRL et celles relatives à son nouveau patrimoine affecté.

Le 15 mai 2022, des centaines de milliers d’entrepreneurs individuels verront leur statut patrimonial changer. Une révolution inscrite dans la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 (v. bull. 257, « Entrepreneur individuel :  nouvelles règles de protection de son patrimoine », p. 3 et bull. 258, « Entrepreneur individuel en difficulté : ce qui change au 15 mai 2022 », p. 1), que complètent les deux décrets d’application ci-dessous référencés.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Modalités de mise en œuvre de la mise en extinction de l’EIRL

Le premier, du 26 avril 2022, est relatif à la mise en extinction du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (D. n° 2022-709, 26 avr. 2022). On ne réitérera pas ici les doutes exprimés s’agissant de la technique de la « mise en extinction » (L. n° 2022-172, 14 févr. 2022, art. 6), laquelle conduit à une inutile complexité du droit en ce domaine. Le contenu du décret n’apporte en réalité rien de substantiel et se borne à tirer les conséquences très formelles de cette mise en extinction. On notera néanmoins en passant une anticipation de l’autre révolution à venir au 1er janvier 2023 que l’article 4 de ce décret envisage d’ores et déjà : l’institution de l’« organisme unique » et du « guichet unique électronique » (v. bull. 247, « Décret Pacte : mise en place du guichet électronique des formalités des entreprises », p. 9). On conclura la présentation du décret en précisant qu’il ne comprend aucune disposition relative aux dispositions réglementaires du livre VI du code de commerce.

Précisions sur le statut nouveau d’entrepreneur individuel

Il en va au vrai de même du second décret, du 28 avril 2022, « relatif à la définition du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel et aux mentions sur les documents et correspondances à usage professionnel » (D. n° 2022-725, 28 avr. 2022). Muet s’agissant du livre VI du code de commerce, celui-ci comprend cependant d’importantes précisions s’agissant du nouveau statut de l’entrepreneur individuel qui méritent d’être signalées.

Définition du patrimoine professionnel « mobilier »

Le patrimoine professionnel « mobilier » est ainsi cerné (C. com., art. R. 526-26, I). Et l’énumération des éléments qui le composent ne convainc pas. Sont tout d’abord visés « le fonds de commerce, le fonds artisanal, le fonds agricole (…) et le droit de présentation de la clientèle d’un professionnel libéral » (C. com., art. R. 526-26, I, 1°). Les rédacteurs du décret n’ont manifestement pas été informés que la Cour de cassation avait créé, il y a maintenant plus de 20 ans, « le fonds d’exercice libéral » (Cass. 1re civ., 7 nov. 2000, n° 98-17.731). A moins que le pouvoir réglementaire refuse d’entériner une institution qu’il n’a pas créée… A sa décharge, il est vrai que la notion peine à s’imposer et qu’il est encore régulièrement question en pratique de « droit de présentation », lequel concerne stricto sensu certaines professions réglementées seulement (par ex. : les notaires). Il n’empêche que la confusion conceptuelle est regrettable. Car c’est bien de confusion dont il s’agit et la lecture de l’article R. 526-26, I, 1°, 2° et 4° le confirme.

Le 1° énumère « tous les biens corporels ou incorporels qui les [fonds] constituent et les droits y afférents » tandis que le 2° envisage « les biens meubles comme la marchandise, le matériel et l’outillage, le matériel agricole, ainsi que les moyens de mobilité pour les activités itinérantes telles que la vente et les prestations à domicile, les activités de transport ou de livraison » et que le 4° évoque « les biens incorporels comme les données relatives aux clients, les brevets d’invention, les licences, les marques, les dessins et modèles, et plus généralement les droits de propriété intellectuelle, le nom commercial et l’enseigne ». Dans ces conditions, les rédacteurs devraient nous expliquer ce qu’ils entendent par « fonds » (simplement la « clientèle » ?), eux qui énumèrent ensuite tous les éléments qui les composent, comme si évoquer ceux-là n’incluaient par per se ceux-ci. Des rédacteurs qui ignorent manifestement certaines dispositions légales (C. com., art. L. 142-2 ; C. rur., art. L. 311-1 ; L. n° 96-603, 5 juill. 1996, art. 22…) et qui n’ont pas une idée très précise de ce que représente un « fonds » et des relations entre un contenu et un contenant… La matière mérite mieux que ces approximations confinant à l’amateurisme.

Définition du patrimoine professionnel « immobilier »

Reconnaissons en revanche l’audace de ces mêmes rédacteurs quand il est question de délimiter le patrimoine professionnel « immobilier » de l’entrepreneur individuel (C. com., art. R. 526-26, I, 3°), soit « les biens immeubles servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel ». Le texte ajoute : « lorsque ces immeubles sont détenus par une société dont l’entrepreneur individuel est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l’entrepreneur individuel, les actions ou parts d’une telle société ». Assimiler détention directe et par personne morale interposée de l’immeuble est sans doute opportun même s’il n’est pas certain que les conséquences pratiques d’une telle assimilation aient toutes été envisagées. Il faut en effet se souvenir que le « patrimoine professionnel » est théoriquement le gage des seuls créanciers professionnels ; autrement écrit, et à bien suivre le texte, les créanciers non professionnels de l’entrepreneur individuel n’ont plus de droit de gage sur les titres sociaux de ce dernier dans le capital de la société détenant l’immeuble professionnel.

Mentions sur les documents et correspondances à usage professionnel

Le décret précise enfin les mentions que doit apposer l’entrepreneur individuel pour l’exercice de son activité professionnelle dans les documents et correspondances à usage professionnel (C. com., art. R. 526-27). Cet entrepreneur utilise ainsi une dénomination incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : « entrepreneur individuel » ou des initiales : « EI ». « La dénomination figure sur les documents et correspondances à usage professionnel de l’intéressé. Chaque compte bancaire dédié à son activité professionnelle ouvert par l’entrepreneur individuel contient la dénomination dans son intitulé. » Cette disposition est à rapprocher de l’article R. 134-12 du code de commerce qui dispose désormais que « Si l’agent commercial est un entrepreneur individuel relevant du statut défini à la section 3 du chapitre VI du titre II du livre V, y figure également la dénomination incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : " entrepreneur individuel" ou des initiales : " EI". »

Thierry Favario, Maître de conférences HDR, Université Jean Moulin Lyon 3
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