Entreprises, faites une place aux juristes en situation de handicap !

Entreprises, faites une place aux juristes en situation de handicap !

13.10.2020

Gestion d'entreprise

Qu'il soit visible ou invisible, le handicap peut faire peur aux recruteurs. Pourtant, les travailleurs handicapés ont bien des choses à offrir : des compétences techniques identiques aux autres candidats et des «soft skills» particulièrement utiles.

En France, 12 millions de personnes sont touchées par le handicap, rappelle Alexia Rigaud, avocate au barreau des Hauts-de-Seine. Parmi elles, 2,7 millions ont la qualité de travailleur handicapé. C’est donc une proportion non négligeable de la population française... Qui, en réalité, peine à se faire une place dans les entreprises - en 2019, le taux de chômage des personnes en situation de handicap atteignait les 18%, soit environ le double de celui de la moyenne nationale -.

Pourtant, les entreprises ont tout à y gagner : collaborer avec des travailleurs handicapés pourrait à la fois participer à l'amélioration de leur management interne et leur offrir de nouvelles idées en termes de création de produits. Réunis pour une table ronde « handicap et droit pour enrichir l’entreprise » organisée par l'association Droit comme un H, en partenariat avec l'AFJE et le Cercle Montesquieu, le 7 octobre dernier, recruteurs, directeurs juridiques avocats nous expliquent ainsi pourquoi les recruteurs devraient sérieusement faire une place au handicap. Et, plus largement, comment développer l'emploi de personnes en situation de handicap dans nos entreprises.

Un atout pour les entreprises

Marie Hombrouck, fondatrice d'Atorus Executive, l'assure : le handicap n’est pas ce que retiennent les chasseurs de tête. « On veut des compétences techniques, et des compétences comportementales (soft skills) », explique la spécialiste du recrutement. Et là où les travailleurs valides et les travailleurs handicapés seront susceptibles d’avoir les mêmes compétences techniques, elle souligne que les travailleurs handicapés auront peut-être développé d’autres atouts intéressants en matière de soft skills (résilience, persévérance, etc.).

D'autant que pour Aymar de Franqueville, DJ & compliance officer chez Adecco, compter des travailleurs handicapés dans son équipe oblige aussi à faire attention aux autres : immédiatement, l’ambiance devient alors plus humaine. L'entreprise a d'ailleurs intégré la question de l'inclusion dans son ADN bien avant d'y être contrainte par la loi (la première loi venant imposer aux entreprises l’embauche de 6 % de travailleurs handicapés ou, à défaut, une contribution auprès de l'Agefiph, date de 1987). Son équipe est ainsi composée de 30 juristes et parmi eux, 3 sont en situation de handicap. Pour lui, l’essentiel est de « ne surtout pas séparer la politique sociale du business : l’inclusion est déjà un sujet sur lequel tout le monde est d’accord, et la législation actuelle y joue beaucoup, aidée par les objectifs RSE des entreprises ».

Chez Microsoft, le sujet est traité depuis 6 ou 7 ans. C’est l’arrivée du nouveau PDG, Satya Nadella, lui-même père d’un enfant non voyant, qui a changé la donne : pour Mathieu Coulaud, head of legal, quand le top management prend le sujet à coeur, il irrigue forcément les branches en redescendant. Il l’affirme, « le handicap procure une force ». Il faut simplement rendre les gens autonomes. Dans son équipe, sur 10 juristes, 3 ont un handicap invisible. Et il l’admet, il ne s’en est pas rendu compte pendant les recrutements. Le handicap les empêche-t-il d’avoir du succès dans le travail ? Absolument pas. C’est même plutôt le contraire. Pour Mathieu Coulaud, ces trois collaborateurs ont développé des qualités précieuses en entreprise : l’endurance et la résilience.

Finalement, ils sont à l’origine d’un cercle vertueux qui apporte à l’entreprise un retour d’expérience quotidien pour qu’elle puisse s’améliorer. Autrement dit, « le handicap fait progresser le valide », pour le head of legal. C’est ce qu’il a d'ailleurs constaté pour Windows ou Office 365, qui comportent des produits inclusifs destinés à faciliter l’utilisation des outils par les personnes handicapées… et qui, en fin de compte, bénéficient également aux personnes valides : la traduction vocale de slides, le raccourci clavier Windows pour accéder à la dictée vocale ou encore le filtre pour les personnes daltoniennes sur Windows. Bref, s'entourer de collaborateurs en situation de handicap est un combo gagnant pour Microsoft, qui prend de l'avance à la fois sur ses produits et en interne. 

Mathieud Coulaud est confiant : tous ces retours d’expérience vont permettre de renforcer la progression de l'emploi des travailleurs handicapés. Les entreprises ont besoin d’éléments, de chiffres, et toutes ces illustrations vont créer « un faisceau qui devrait permettre d’ouvrir le métier aux personnes en situation de handicap ».

Avancer des deux côtés

Les atouts sont là. Il ne reste plus, pour les entreprises, qu'à franchir pleinement le cap. Pour Marie Hombrouck, l’idée est ainsi de « faire avancer la cause du handicap par petits pas ». Petits pas car elle le reconnaît, le marché de l’emploi des juristes en situation de handicap est difficile des deux côtés. Pour être recruté, d’abord. Et côté recruteur également : au-delà de la conduite d’un entretien potentiellement perturbant selon le handicap, la consultante explique que les recruteurs ont des difficultés à recruter des cadres. Et pour cause : peu de travailleurs handicapés ont un bac + 5.

C’est donc des deux côtés qu’il faut faire avancer les choses. Elle invite ainsi les travailleurs handicapés à évoquer leur handicap ouvertement, dès la première prise de contact avec le recruteur. Une sorte de « coming out du handicap », qui pourrait aussi permettre de dédramatiser : puisque le recruteur n’a pas le droit de poser des questions sur le handicap, dédramatiser permet de briser la glace.

Ce que confirme Alexia Rigaud : ce n’est qu’après de nombreux entretiens et stages qu’elle a pour la première fois évoqué son handicap lors d’un entretien pour un cabinet du Big Four. Avant, elle ne se rendait pas forcément compte de ce que cette révélation pourrait lui apporter. Mais avec le temps, elle a compris que c’était bénéfique, pour elle comme pour l’employeur : « il vaut mieux l’évoquer, et c’est aussi un plus pour le recruteur ». Elle tient à le souligner : elle n’est pas moins performante que d’autres. Aymar de Franqueville le résume simplement : finalement, tout repose sur un travail de pédagogie. « Il faut démystifier l’emploi des personnes handicapées : on ne met pas des gens à l’emploi parce qu’ils sont handicapés, mais bien parce qu’ils sont compétents ».

En tout cas, pour le DJ & compliance officer d'Adecco, une chose est sûre : « c’est à l’entreprise de s’adapter, pas au travailleur handicapé ». Microsoft l’a compris également : la bienveillance est dans le programme des managers. Et par bienveillance, Mathieu Coulaud ne veut pas dire « bisounours ». Mais simplement s’intéresser régulièrement à la personne, ou vérifier qu’elle a bien les outils adaptés. Aymar de Franqueville est optimiste : pour lui, la tendance est positive, et devrait le rester. Il a d'ailleurs remarqué que de plus en plus, les jeunes recrutés dans ses équipes manifestent leur besoin de pratiquer un management qui a du sens. Ils incitent ainsi les collaborateurs à se déclarer lorsqu’ils ne le font pas, ou ignorent qu’ils en ont la possibilité.

La question finale est donc toute trouvée : comment convaincre les entreprises qui seraient encore réticentes d'embaucher des travailleurs handicapés ? Pour Aymar de Franqueville, c’est un triptyque évident : formation, révélation et communication. Former les recruteurs, révéler les handicaps et faire de la pub sur les progrès des entreprises. Marie Hombrouck, de son côté, imagine un effet boule de neige : « soyons ambitieux. Le handicap peut tous nous toucher : que chacun y mette un petit coup, aille voir ses ressources humaines, communique. Que l’emploi de travailleurs handicapés devienne naturel ». De quoi rêver, peut-être, de leaders de demain eux-même en situation de handicap. Pour Mathieu Coulaud, ils seraient de véritables role models pour l’ensemble des organisations.

Olivia Fuentes

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